De Tunisie, via l’île de Lampedusa, ou de la Turquie via la Grèce, des migrants cherchent à gagner l’Union européenne.
Migrants venus de Tunisie, sur l'île italienne de Lampedusa, dimanche 13 février (Photo : AP /Daniele La Monaca).
Les révoltes dans le monde arabe provoquent de nouveaux mouvements de population. L’afflux soudain de migrants vers l’Italie depuis la semaine dernière, via l’île de Lampedusa, en témoigne et rappelle les difficultés de l’Europe à faire face collectivement à ces pressantes demandes, auxquelles la Grèce est aussi soumise.
Par quelles voies les migrants rejoignent-ils l’Europe ?
Environ 80 % des migrants en situation irrégulière aujourd’hui dans l’UE y sont entrés régulièrement avec un « visa Schengen » autorisant un séjour de trois mois dans les 23 pays signataires de la Convention de Schengen, qui permet le libre passage des personnes entre eux (1). En restant en Europe une fois cette période écoulée, ils deviennent « clandestins » et susceptibles d’être interpellés lors d’un contrôle.
Les entrées directement clandestines concernent, elles, 20% des flux. Ceux-ci n’ont cessé de se déplacer au cours des dernières années. Au milieu des années 2000, un flux important transitait par l’archipel espagnol des îles Canaries pour rejoindre l’UE au départ du Sénégal. Sur la seule année 2006, près de 35 500 personnes sur plus de 900 embarcations avaient emprunté cette voie.
« Ensuite, ce fut Lampedusa », énumère Ewa Moncure à l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex. Le flux d’immigration irrégulière vers cette île sicilienne dépassa les 30 000 en 2007. La conclusion d’un accord bilatéral entre l’Italie et la Libye, principal pays de transit des migrants, permit de tarir cette voie de passage.
Les clandestins se sont alors reportés sur la Méditerranée orientale et la Turquie. Ce pays, en concluant des accords de facilités d’entrée avec le Pakistan, l’Afghanistan et l’Irak, a incité les migrants à gagner la Grèce par voie terrestre.
Mais l’immigration irrégulière vient aussi de l’intérieur de l’Europe et notamment des Balkans. Les Albanais sont arrivés en tête des migrants arrêtés l’an dernier en Grèce, devant les Afghans et Pakistanais.
Quels accords sont passés avec les pays de provenance ?
Nombre d’accords de réadmission, aussi appelés pudiquement accords de « gestion concertée des flux migratoires », ont été signés entre des États de l’UE et des pays de transit ou d’origine, de façon bilatérale. La France en a conclu depuis 2008 une douzaine avec plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, des Balkans ainsi que la Tunisie.
Par ces accords, « les États s’engagent à réadmettre leurs propres ressortissants en situation irrégulière, voire les ressortissants de pays tiers ayant transité par leur territoire », explique le Gisti, association d’aide aux étrangers, qui dénonce des accords déséquilibrés.
En contrepartie des réadmissions, l’État signataire doit bénéficier d’investissements européens et de facilités de visas pour que ses citoyens puissent venir en Europe, notamment pour répondre à des emplois non pourvus.
Pour l’ensemble des Vingt-Sept, la Commission conclut aussi de tels accords. Elle vient de clore les négociations avec la Turquie, un accord qui doit être encore validé par les Vingt-Sept. La « directive retour » votée en 2008 sert à encadrer ces rapatriements organisés pour qu’ils s’effectuent dans le respect des conventions internationales.
Comment sont traitées les demandes d’asile ?
Les flux de migrations vers l’Europe sont « mixtes », c’est-à-dire qu’ils comprennent des personnes en droit de demander l’asile et un statut de réfugié, et d’autres qui migrent pour raison économique. Pour empêcher que des personnes déposent des demandes dans plusieurs États de l’UE, le règlement dit « Dublin II » de 2003 stipule qu’un seul État, celui par lequel est entré le demandeur d’asile, est responsable de l’examen d’une demande d’asile.
Ainsi, si un clandestin arrive en France après avoir transité au départ de la Grèce, il pourra être renvoyé dans ce premier pays dit « responsable » de son arrivée en Europe. Il devra y rester, le temps de l’examen de sa demande d’asile. Du coup, dénonce la Commission européenne, « 80 % de la charge des demandes d’asile repose sur cinq à six États membres », en particulier la Grèce.
Pourquoi le droit d’asile est-il aujourd’hui en panne ?
Cinq à six États, du fait de leur géographie, servent de porte d’entrée dans l’UE. Pour Pierre Henry, directeur général de l’association France Terre d’asile, « avec ce règlement Dublin II, on part du principe que chaque État membre a un système d’asile équivalent, ce qui est faux ».
Un tout récent arrêt de la Cour européenne de justice l’a démontré : le 21 janvier, elle a condamné la Belgique à verser 200 000€ d’amende, à titre de dédommagement, à un demandeur d’asile afghan renvoyé en Grèce et traité dans des conditions dégradantes, selon la Cour – l’homme avait été abandonné sans ressources dans la rue.
En réaction, plusieurs ont déjà suspendu les renvois de réfugiés vers la Grèce, comme la Finlande, le Danemark, la Suède et l’Allemagne. D’autres pourraient suivre. « Les États ont peur (…) Maintenant ils ne peuvent plus se laver les mains en renvoyant des demandeurs arrivés par la Grèce », commente un responsable européen.
Pour Pierre Henry, cet arrêt révèle « la non-conformité de la Convention européenne des droits de l’homme et du système d’asile actuel ». La Commission européenne propose, du coup, une révision du règlement Dublin II qui permettrait de suspendre les renvois vers l’État d’entrée lorsque celui-ci se retrouve sous forte pression de demandes. Mais ce projet de révision se heurte au refus de certains gouvernements, dont la France et l’Allemagne.
En attendant, le respect du droit d’asile est aléatoire. Les nouveaux flux en provenance du monde arabe ne vont rendre que plus tendue la situation. D’où les appels pressants de l’Italie et de Malte à traiter de cette question sensible en sommet européen des chefs d’État et de gouvernement.
Élisa Perrigueur et Sébastien Maillard dans La Croix
(1) La convention de Schengen autorise la libre circulation des personnes dans l’ensemble des pays de l’UE, ainsi qu’en Suisse, Norvège et Islande, mais à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande, de la Roumanie et de la Bulgarie.