Une nette majorité de Suisses a refusé la construction de minarets dans le pays. Ismaël Amid, ex-président de l'Union des organisations islamiques de Zurich, a été totalement pris au dépourvu par ce résultat. Il explique celui-ci par une campagne agressive et trompeuse.
Ismaël Amin, originaire d'Egypte, vit en Suisse depuis 1960. Il a notamment été professeur de philologie arabe à l'Université de Zurich.
swissinfo.ch: Les citoyens suisses ont très clairement approuvé l'initiative interdisant les minarets. Vous attendiez-vous à un tel score?
Ismaël Amin: Absolument pas. Je n'ai jamais imaginé que cette initiative serait acceptée. Cela a été une surprise totale pour moi, car je misais sur un refus, voire un refus de justesse. Cela a été une bien triste journée pour moi.
swissinfo.ch: Comment la communauté musulmane de Suisse a-t-elle réagi?
I.A.: Je n'ai pas vraiment connaissance des réactions. Hier, j'ai téléphoné à quelques amis. Tous sont choqués et déçus de ce résultat.
swissinfo.ch: Six électeurs sur dix se sont prononcés contre la construction des minarets. Comment interprétez-vous ces chiffres?
I.A.: La campagne a été conduite de manière très dure et très agressive. On a beaucoup plus parlé de l'islam que des minarets, et en plus avec des arguments trompeurs.
Ainsi, on a parlé des mariages forcés, alors qu'ils sont expressément interdits par la Charia. On a parlé de l'excision des femmes, alors que tous les Etats de droit l'interdisent. On a parlé du port de la burka, alors qu'on ne voit jamais de burka en Suisse.
On a aussi évoqué des thèmes qui n'ont absolument rien à voir avec les minarets. On a exploité et on a instrumentalisé la peur et l'ignorance de la population. C'est ce qui explique ce résultat décevant.
Mais je ne critique pas le peuple suisse, car il a été induit en erreur.
swissinfo.ch: Une autre explication ne serait-elle pas dans le manque d'intégration de la population musulmane en Suisse?
I.A.: Je ne crois absolument pas que la communauté musulmane soit mal intégrée en Suisse, au contraire. La majorité est bien intégrée et pratique sa religion sans problème.
swissinfo.ch: Il s'agit donc plus de peur, de méfiance?
I.A.: Après la chute de l'URSS, on a cherché un nouvel ennemi et on l'a trouvé dans l'islam. Depuis, le ton utilisé par les médias sur l'islam n'est pas bon. C'est la raison pour laquelle il a été si facile de manipuler les gens et d'utiliser leur méconnaissance.
swissinfo.ch: Quand vous parler de méconnaissance, cela signifie-t-il que la communauté musulmane devrait plus faire parler d'elle, se rapprocher des Suisses?
I.A.: Oui, certainement. Nous devrions affirmer plus notre présence en Suisse. Nous ne pouvons plus continuer à rester à l'arrière-plan, comme si nous n'existions pas dans cette société.
La communauté musulmane est mal représentée dans la société et c'est pourquoi elle n'a pas pu mener sa campagne, contrairement à l'Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice).
swissinfo.ch: Quelque 400'000 musulmans vivent en Suisse. Que va-t-il se passer maintenant?
I.A.: C'est difficile à prévoir. Mais j'imagine que les gens sont tristes, qu'ils vont chercher des solutions, discuter et analyser la situation entre eux pour savoir comment vivre avec cette nouvelle situation.
swissinfo.ch: Et justement, comment continuer?
I.A.: Comme je l'ai constaté dans la presse, il est difficile de dire comment ce vote va se traduire dans les fait. On ne sait même pas si son résultat est applicable. Il est possible que la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg soit saisie. Mais je ne sais pas si cela va se faire, ni comment.
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