Quels sont maintenant les moyens que va se donner la démocratie suisse pour empêcher que sa grande vertu – le pilotage politique par consultation fréquente des citoyens – ne soit dévoyée par l’excitation des passions primaires qui résident dans les individus?
La question est ancienne. Les fondateurs en ont eu conscience dès le début. Ils ont à plusieurs reprises exprimé les risques qu’il y aurait par exemple à confier l’élection du Conseil fédéral aux humeurs pas toujours bien inspirées de «l’opinion». Dans tous les systèmes politiques démocratiques, la hantise des sages a toujours été le débordement par la démagogie. En Suisse ce dimanche, démonstration a été faite que les sages ont perdu le contrôle et que les démagogues l’ont emporté. Leur objet, les minarets, était d’autant plus captable qu’il était symbolique et gratuit du point de vue matériel: l’idéal pour y engouffrer les remugles.
La démocratie directe a été conçue comme contre-pouvoir populaire aux pouvoirs délégués des élus et de l’Etat. Il n’a jamais été question d’en faire une poubelle à émotions où le premier venu, muni d’un peu d’argent, d’un peu de talent ou d’un peu de roublardise peut appeler le «peuple» à se lâcher.
Dans l’esprit politique qui est le sien à l’origine, la démocratie directe est l’exercice du droit d’exprimer un désaccord avec un projet explicite et précis ou de promouvoir un changement. Lorsque cet exercice aborde sans précaution les questions de société, comme avec l’initiative sur l’emprisonnement à vie des délinquants sexuels, ou d’identité religieuse comme avec les minarets, il soulève des passions dangereuses qu’aucune campagne de raison n’est de taille à maîtriser. Ces passions de société méritent de rester dans la société, éloignées autant que possible du champ politique.
A moins que la sacralisation du peuple par les populistes n’ait entièrement paralysé les sages, ceux-ci ont des moyens institutionnels d’endiguer les dérapages. Il ne leur faut que du courage.
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