mardi 1 décembre 2009

Pourquoi ce rejet des minarets?


L’acceptation massive de l’initiative traduirait un certain malaise. Ce n’est pas sur l’architecture des mosquées que l’on a voté, mais sur tout un système de valeurs

Muriel Jarp - le 30 novembre 2009, 22h53
Le Matin

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Stupéfaction, consternation. L’heure est à l’analyse et à la réflexion. Comment l’initiative a-t-elle pu être acceptée par 57,5% des votants, alors que les sondages annonçaient le contraire.

Ignorance et méfiance
Les hypothèses sont multiples. Tout d’abord, la communauté musulmane est «très, très mal» comprise des Suisses, comme l’explique Mallory Schneuwly Purdie de l’Observatoire des religions en Suisse (ORS). Une communauté discrète que l’on assimile pourtant souvent à des «intégristes» pour les arabophones, ou à des «délinquants» pour la communauté balkanique. Selon Fawzia al-Ashmawi, experte en islamologie auprès de l’Unesco, les déprédations commises dans les banlieues françaises ont aussi joué un rôle. «Or les musulmans de Suisse sont très différents de ceux de France. Jamais ils n’ont brûlé de voitures.» Sans parler de l’affaire Kadhafi, et ce d’autant que la votation coïncidait avec les 500 jours de détention des otages. «Bien sûr que ça a joué un rôle. C’est un pays islamique, dirigé par un dictateur, qui retient deux Suisses!» s’exclame Naïm Sinanovski du centre islamique de Sion. Des clichés d’autant renforcés que beaucoup de Suisses n’ont probablement jamais discutés avec des musulmans. «Vous avez vu les résultats à Appenzel Rhodes-Intérieures, lance Hisham Maizar, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse. Je peux vous assurer qu’il n’y a pas foule de musulmans là-bas.»

Fawzia al-Ashmawi note aussi une certaine condescendance des Suisses. Phénomène qu’elle explique par des raisons historiques, les premiers musulmans arrivés en Suisse étant des ouvriers saisonniers, Maghrébins ou Turcs, à qui l’on confiait les «sales boulots». «L’attitude était très différente avec les Portugais ou Espagnols, du fait qu’ils étaient chrétiens», se souvient-elle.

Suisse repliée
Du côté de la Suisse, il ne faut pas négliger la période de crise qu’elle traverse. Economique, bien sûr, mais aussi politique et familiale ou encore scolaire. Un sentiment de fragilité parcourt la population. «On ne sait peut-être plus qui on est, mais on sait qui on n’est pas», analyse la chercheuse de l’ORS. En l’occurrence, des musulmans caricaturés comme misogynes, violents ou encore intégristes. La peur – infondée – d’une immigration incontrôlée est aussi latente, estiment les spécialistes. Doit-on y voir de la xénophobie? «Peut-être pas de la xénophobie, nuance Mallory Schneuwly Purdie, mais si la population suisse était perçue comme conservatrice et s’ouvrait à son rythme, cette votation traduit un certain repli sur elle-même.»

Christianisme en berne
La question se pose aussi quant à notre identité religieuse. «Le christianisme, dans sa forme institutionnelle, recule. On s’est battus, en Suisse et en Europe, contre le pouvoir de l’Eglise. Se retrouver face à une communauté religieuse qui, au contraire, demande une visibilité, ça remet en question tout ce combat», analyse Mallory Schneuwly Purdie. Une visibilité croissante de l’islam, avec de jeunes fidèles qui fréquentent volontiers les mosquées, voilà en effet de quoi questionner notre religiosité.

Craintes des femmes
On le voit, l’objet du vote a été largement dépassé. Ce n’est pas sur un aspect architectural que l’on a voté, mais sur tout un système de valeurs. «C’est vrai, estime Naïm Sinanovski. Tous les débats étaient hors sujet. Les minarets n’en ont occupé qu’un petit pourcentage.» Parmi ces débats, celui de la situation de la femme dans l’islam, récupéré par l’UDC. Si quelques féministes, à l’instar de la Thurgovienne Julia Onken, se sont mobilisées pour le oui, ce sont plutôt des cas isolés, relève Silvia Ricci Lempen. «Dans les cantons romands, il n’y a, à ma connaissance, pas eu de féministe qui se soit profilée en faveur de l’initiative. Mais il n’est pas impossible que des femmes, surtout des régions conservatrices, se soient laissé influencer par l’idée assez abstraite que la femme musulmane était soumise.» La féministe dénonce là un discours simpliste de l’UDC qui veut embarquer les femmes dans l’islamophobie. «Je trouve incroyable que ceux qui s’opposent aux crèches utilisent de manière utilitariste ce droit des femmes», dénonce-t-elle. Quant à la burqa, l’invasion n’est pas pour demain: «Jamais je n’ai rencontré de femme portant la burqa en Suisse, tonne Fawzia al-Ashmawi, même pas aux mosquées de Genève.» Impossible pour l’heure de préciser si la participation féminine a été massive, les analyses devraient être disponibles d’ici à deux mois, précise-t-on à l’institut GSF de Berne. Tout au plus sait-on que «les régions rurales et l’électorat de droite» se sont plus mobilisés pour cette votation.

Musulmans invisibles
La communauté musulmane aurait-elle dû mieux communiquer? «A voir, répond Mallory Schneuwly Purdie. Il faut aussi aller à sa rencontre. Si les musulmans prennent la parole, on leur reprochera de prendre trop de place.» Ce que confirme le président du centre islamique de Sion. S’il n’y a pas encore eu de véritable journée portes ouvertes, Naïm Sinanovski précise que «la porte est ouverte. Mais c’est vrai qu’on ne va pas placarder partout que tout le monde est bienvenu au repas du ramadan.» La peur qu’un affichage trop visible soit mal interprété le retient, avoue-t-il. En revanche, Hisham Maizar, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse, estime, lui, qu’ils auraient dû plus s’impliquer. «Les Suisses ne vont pas venir à notre rencontre par curiosité, ce n’est pas dans leur nature, et je comprends», explique-t-il. Et de déplorer une confusion entre l’islam traditionnel et politique: «Ce n’est pas un islam politique que nous vivons ici. Nous faisons très attention à ce qu’il n’y ait aucun excès dans la communauté.»

Sondages trompeurs
Quant à l’establishment politique, il s’est peut-être trop reposé sur le sondage GSF – qui prédisait un rejet à 53% – et a négligé d’écouter la population. Or ce chiffre de 53% était à prendre avec des pincettes pour un sujet si émotionnel, analyse Marie-Hélène Miauton, directrice de l’institut de sondage MIS Trend. «C’était une marge bien trop courte pour affirmer quoi que ce soit, d’autant qu’il faut compter avec les indécis et ceux qui n’ont pas envie de dire ouvertement leur choix sur un thème si tabou.»

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