MIGRANTS, UNE AFFAIRE SYNDICALE
Paru le Mardi 19 Janvier 2010MAURITANIE-SÉNÉGAL - Très exposée aux flux migratoires, la Mauritanie est à la fois un pays de transit vers l'Union européenne et un pays d'accueil de migrants ouest-africains. Dans le cadre d'un partenariat bilatéral mauritano-sénégalais, les syndicats se sont imposés comme des acteurs clés dans la gestion des migrations.
Nouakchott a des allures de grand chantier... où les travailleurs et travailleuses immigrés sont partout. Dans le bâtiment, les garages, les ateliers de tôlerie ou de menuiserie, les petits commerces, les restaurants, ou encore le transport routier et les services domestiques. En semaine, le long du boulevard de l'Ambassade de France du centre ville, c'est un va et vient permanent de camions qui viennent chercher les clandestins pour des chantiers, et de particuliers à la recherche d'un «boy» ou d'un chauffeur. Le dimanche, l'église toute proche et ses abords sont pleins à craquer de tous ces ressortissants ouest-africains partis à la recherche d'une vie meilleure. Au nord du pays, Nouadhibou, capitale économique, abrite aussi des communautés étrangères importantes, dont une majorité de Sénégalais. Sur les quais du port, des centaines de travailleurs errent dans tous les sens à la recherche d'un travail journalier. Certains ont déjà tenté la traversée clandestine vers l'Espagne mais ont été refoulés par les marines espagnoles ou marocaines. D'autres se sont fait avoir par des soi-disant «passeurs» qui leur ont pris leur argent.
La Mauritanie a pourtant longtemps ignoré la problématique de l'immigration dont les effets ont longtemps été très peu perceptibles dans ce pays constitué d'une grande zone désertique, avec des frontières très perméables et une côte atlantique de 700 km. Les rares flux migratoires visibles étaient constitués par les entrées et sorties de ressortissants maliens et sénégalais venus, à partir de ces deux pays frontaliers, travailler en Mauritanie.
«Durant les quatre décennies qui ont suivi l'indépendance (proclamée en 1960), ce n'était pas un sujet de préoccupation. La législation n'a d'ailleurs pas bougé, si ce ne sont les conventions bilatérales conclues avec les pays voisins concernés. Mais ces dernières années, le renforcement des contrôles aux frontières de l'Afrique du Nord a détourné toutes les routes de l'immigration qui partaient au préalable directement du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie et de la Lybie pour rejoindre l'Europe par l'Espagne et l'Italie», explique Mamadou Niang, de la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM).
Cette nouvelle donne s'est traduite par un déplacement des migrations vers les régions sahariennes et subsahariennes. Les interpellations de ressortissants indiens, pakistanais et bangladeshi dans le nord de la Mauritanie à la frontière du Sahara occidental ont révélé l'existence d'un flux migratoire important et insoupçonné jusque là. Cette nouvelle réalité de zone de transit de la Mauritanie vers l'Europe méridionale a été accentuée par la nouvelle route Nouakchott-Nouadhibou qui relie l'Afrique du Nord à l'Afrique de l'Ouest et par l'existence de la «route de l'espoir» entre Néma (frontière avec le Mali) et Nouakchott qui traverse le pays d'Est en Ouest.
Outre cet essor du transit migratoire vers l'Europe, la Mauritanie est aussi une zone où de plus en plus de migrants viennent s'établir. «Il y a un mouvement de circulation de personnes naturelle entre nos deux pays, qui sont aussi des pays d'accueil de nombreux autres pays pour des migrants occupés pour la plupart dans l'économie informelle. Une importante frange d'immigrés traverse la frontière sénégalo-mauritanienne à pied. Il s'agit généralement d'ouvriers agricoles, de domestiques placés par des intermédiaires, d'aventuriers en quête d'emploi qui longent le fleuve à la nage ou dans des pirogues. Les confréries maraboutiques contribuent également au mouvement de travailleurs en favorisant le passage clandestin de la frontière lors de pèlerinages ou défilés religieux. Dans le secteur de la pêche, les pêcheurs originaires de Saint Louis du Sénégal sont très largement majoritaires en Mauritanie», explique Mamadou Niang.
En raison de son développement économique fondé notamment sur l'exploitation de ressources minières, halieutiques et plus récemment pétrolières, la Mauritanie attire en effet davantage de travailleurs migrants. Les 300 000 travailleurs, chiffre estimé, qui y résident proviennent d'autres pays africains, mais aussi d'Asie, notamment en raison de l'essor des investissements chinois.
Violences et guerres, aléas climatiques, attrait aveugle d'une image mirobolante de l'économie mauritanienne, mais plus que tout pauvreté systémique, sont les causes de ces migrations. La prolifération d'intermédiaires pour le recrutement est un autre paramètre qui facilite l'afflux de travailleurs et travailleuses migrants. Par ailleurs, l'accès à l'emploi en Mauritanie est relativement facile pour les migrants car les structures de contrôle (bureaux d'emploi et inspection du travail) n'ont pas les moyens d'assurer un contrôle réel.
«D'une conception aujourd'hui dépassée, Le décret de 1964-65 est fondé sur le souci des pouvoirs publics nouvellement indépendants d'affirmer leur souveraineté interne, aujourd'hui en déphasage avec les engagements internationaux de la Mauritanie qui a ratifié la convention internationale de l'ONU (1990) sur les droits des travailleurs migrants et de leurs familles», regrette Mamadou Niang. Son aspect répressif à l'égard des migrants clandestins et son silence sur le droit protecteur des migrants contrastent avec la pratique des pouvoirs publics qui reconnaissent aux migrants, conformément à la Constitution, plusieurs garanties fondamentales. Via le code du travail (2004), les travailleurs immigrés en ordre de permis de travail sont protégés par le principe de non discrimination qui leur confère les mêmes droits que ceux des travailleurs mauritaniens, notamment en matière de sécurité sociale. L'emploi illégal de travailleurs migrants tombe sous de coup de la loi de 2003 portant sur la répression de la traite des personnes. «Nous sensibilisons les autorités pour qu'elles ne privilégient pas les mesures sécuritaires mais prennent également en compte les droits des migrants en ratifiant les Conventions 97 et 143 de l'OIT et en procédant à une adaptation des lois nationales. Vu l'absence actuelle de synergie entre les différentes instantes concernées (notamment les trois ministères concernés), nous demandons la mise en place d'un organe tripartite pour la gestion de la migration sous forme d'un observatoire national», ajoute Mamadou Niang.
En matière de liberté syndicale, tout travailleur étranger peut librement adhérer et constituer un syndicat professionnel. Mais pour accéder aux fonctions de direction d'un syndicat, il doit justifier au moins cinq années consécutives d'exercice sur le sol mauritanien de la profession défendue par le syndicat. I
Note : * Confédération syndicale internationale. Les textes de cette page sont parus dans Vision syndicale (n° 16 – Décembre 2009), le magazine mensuel de la CSI.
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