mardi 1 décembre 2009

LA FICELLE ÉTAIT ÉNORME

LA FICELLE ÉTAIT ÉNORME

Paru le Mardi 01 Décembre 2009
KARL GRÜNBERG*

ContrechampMINARETS - Au lendemain du plébiscite de l'initiative anti-minarets, les milieux antiracistes et leurs soutiens lancent un appel de solidarité avec les musulmans. Pour Karl Grünberg, d'ACOR SOS Racisme, la propagande des initiants renvoie aux heures les plus sombres de la Suisse des années trente.
«Nous ne sommes pas racistes, nous combattons l'islamisation rampante.» Les islamophobes ont tiré sur une énorme ficelle et la Suisse s'est réveillée lundi matin avec la gueule de bois. Une très large majorité de citoyen-ne-s suisses – 57,7% – a voté l'interdiction de construire des minarets que revendiquaient, avec le soutien de l'UDC, des politiciens islamophobes. L'opinion publique internationale découvre avec effroi cette Suisse xénophobe que nous connaissons bien. Les moutons noirs avaient écoeuré. L'inscription d'une disposition antimusulmane dans la loi stupéfie. Depuis des années les identitaires européens font de l'islamophobie leur cheval de bataille. La Suisse qu'ils découvrent aujourd'hui leur donne des ailes. Du Vlaams Belang à la Lega Nord, elle ouvre l'appétit aux nationalismes xénophobes. Empêtré dans son débat sur l'identité nationale. Sarkozy n'en demandait pas tant.
Le vent du boulet en a décoiffé plus d'un. Mais qui l'a tiré, où est-il tombé? De nombreux commentaires attribuent ce résultat à une information insuffisante sur les musulmans en Suisse, à une démystification insuffisante des peurs qu'ils soulèveraient.
Oui, dès demain toutes celles et tous ceux qui sommes engagé-e-s dans la lutte contre le racisme et les discriminations, nous ne pourrons pas nous limiter à combattre la peur qu'éprouveront de nombreux musulmans. Nous devrons mettre un accent tout particulier sur la lutte contre cette peur qui a conduit de nombreux-se-s citoyen-ne-s à soutenir une disposition raciste.
Mais qui donc, sinon des politiciens racistes et xénophobes, a patiemment, systématiquement, alimenté ces peurs en manipulant les rumeurs et les fantasmes? Mais pourquoi la majorité de la classe politique ne s'est-elle pas explicitement attaquée à ce racisme? Pourquoi ne l'a-t-elle pas clairement dénoncé? Faut-il reconnaître une part de responsabilité?
La globalisation de l'économie mondiale ébranle les Etats et les sociétés. Dans le monde entier se développe la conviction que les identités nationales, culturelles ou religieuses constitueraient des obstacles à l'avance de son rouleau compresseur.
Qu'il surgisse dans le monde musulman ou dans l'occident dominateur, le fantasme du clash des civilisations en est le fruit. La défense de valeurs universelles et le développement de nouvelles solidarités sont évidemment nécessaires.
Le syllogisme identitaire d'Oskar Freysinger, conseiller national UDC, est évocateur: «L'islam est milliardaire. Cette 'puissance étrangère' grouille de pauvres, cache des terroristes. Les musulmans 'nous' envahissent. Chacun connaît un camarade de classe, un voisin, un collègue musulman... En Suisse, l'islam ne pose apparemment aucun problème: c'est précisément la preuve du danger qu'il représente. Il faut interdire la construction de minarets pour 'leur' montrer qu'on n'est pas dupe.» La ficelle était énorme. Comment se fait-il qu'un tel truc ait pu marcher?
Cette propagande hélas a très bien marché dans le passé. Et pas seulement en Allemagne. En Suisse, les juifs ont dû attendre 1867 pour obtenir l'égalité des droits. Le droit d'initiative date de 1892 et la première initiative antisémite, de 1893. La Loi sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE, l'ex-LEtr) légalisera dès 1931 la lutte contre «l'enjuivement». - La manipulation: Le musulman (le juif) ressemble à Madame ou Monsieur tout le monde et voilà bien la preuve qu'il se cache, qu'il dissimule l'âme noire que dévoile la caricature! Le racisme, faut-il le rappeler, est «la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression». (Albert Memmi, 1964).
- Déguiser la victime en agresseur: Malheureusement la lutte pour le contrôle des ressources en gaz et en pétrole conduit l'Occident à multiplier dans le monde arabo-musulman (Afghanistan, Irak) des guerres que son rapport à la Palestine conduit Israël à soutenir. Au XIXe siècle, la diffusion du christianisme et du progrès avaient été brandies pour justifier le pillage colonial. Celui-ci se réclame aujourd'hui de la démocratie et du droit des femmes.
- Insécurité réelle et prétendu «sentiment d'insécurité»: La peur du chômage et de la régression sociale, mais aussi l'incertitude face à l'avenir se déclinent de plus en plus sur le mode de l'insécurité... Les partis gouvernementaux acceptent ces désastres comme une fatalité sans les combattre. Tous accusent un bouc émissaire: le mendiant, le réfugié, le délinquant étranger multirécidiviste, le Rom, le Maghrébin... le musulman. CQFD. I
* ACOR SOS RACISME



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Les islamophobes l'ont-ils emporté?

ACOR, SOS RACISME

A l'époque nazie, sévissait en Suisse une politique contre «l'enjuivement». Aujourd'hui, certains parlent d'«islamisation rampante» de la Suisse, obtiennent l'interdiction de la construction de minarets, déjà, des mosquées sont souillées. Que se passera-t-il demain? Quel résultat choquant! Quel manque de confiance entre le peuple et le gouvernement! Quel gâchis cette peur de nombreux Suisses vis-à-vis de la communauté musulmane! Ce succès qu'elle n'attendait pas étonne l'UDC, ses politiciens identitaires sont débordés. Aujourd'hui, grâce à eux, la Constitution suisse est la seule constitution antimusulmane au monde.
Suivant Lausanne, quelques villes suisses avaient compris l'enjeu et condamné la campagne du comité antiminarets. Elles sont restées isolées. Leur volonté de chasser le racisme de l'espace public n'a pas été suivie. Elles dénonçaient le danger que des droits fondamentaux soient violés et n'ont pas été écoutées. Aucune coalition ne s'est constituée pour combattre l'islamophobie.
Plutôt que d'affronter clairement l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, but réel des initiants, la grande majorité des adversaires de l'initiative avaient exprimé leurs propres doutes à l'égard de l'islam. La conseillère fédérale Evelyn Widmer Schlumpf avait envisagé il y a quelques jours l'interdiction de la burqa.
Pourquoi tant de complaisance? Peut-on oublier la vieille politique d'Überfremdung (altération excessive de l'identité) qui a servi des années 1920 aux années 1940 à la lutte contre «l'enjuivement» du pays? Peut-on oublier que les autorités suisses ont attendu 1995 pour critiquer cette politique? Peut-on ignorer qu'elles ont fait adopter, en 2006, une 1oi sur les étrangers inspirée de cet esprit: elle limite l'accès de la Suisse «aux ressortissants des pays qui ont les idées européennes (au sens large)».
Après des années de propagande, le résultat est là. «Nous ne pouvons pas être racistes, la religion n'est pas une race» ricanaient les Baettig, Freysinger, Perrin. Et les juifs sont-ils une race? Et n'est-ce pas le racisme qui les a assassinés par millions? Et depuis quand les races existent-elles? Contre la science, seuls les racistes croient à leur existence.
La prétendue «délinquance étrangère» fait les choux gras des médias. Elle fait grimper les scores des politiciens qui manipulent le sentiment d'insécurité plutôt que de combattre l'insécurité réelle, le chômage, le prix de la santé, la détresse des personnes âgées. Le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin devait fêter la démocratie, il nous montre un champ de ruines. Chômage et régression sociale, logements hors de prix ou introuvables, service public et prestations délabrés. Les retraites s'effritent, le futur de nos enfants est incertain.
Comment la Suisse pluriculturelle progressera-t-elle contre les fantasmes et les préjugés que nourrissent ceux qui divisent ses citoyen-ne-s en communautés opposées? Comment la minorité musulmane en Suisse devra-t-elle vivre avec l'image haineuse et repoussante qu'a glissée dans l'urne une large majorité du corps électoral?
Aux côtés des musulmans comme de toutes les autres minorités nous ne pourrons pas nous limiter à combattre les discriminations, nous devrons travailler à faire connaître la réalité, à dissiper les peurs.
ACOR SOS Racisme rejoint l'appel à manifester aujourd'hui, mardi 1er décembre, à 18 h contre l'islamophobie rampante et contre toutes les formes du racisme de la Cathédrale Saint-Pierre à la mosquée du Petit-Saconnex.
Dès demain nous engagerons le combat pour abolir l'article de la honte, l'article islamophobe, pour réunir les victimes de toutes les stigmatisations et toutes les personnes attachées à la justice et à l'égalité des droits, pour engager le combat contre toutes les discriminations. KARL GRÜNBERG, ACOR SOS RACISME
TARIQ RAMADAN, PRÉSIDENT DU EUROPEAN MUSLIM NETWORK, BRUXELLES
Note : * Rassemblement mardi 1er décembre à 18 h sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre à Genève: «Ni racisme, ni discrimination, nous sommes toutes et tous des musulmans». Le rassemblement sera suivi d'une veillée.
Soutiennent cette action: ACOR SOS Racisme, Fondation de l'Entre-Connaissance, Paroisse et Espace Saint-Gervais/Pâquis, Droits Pour Tous, solidaritéS, United Black Sheep, Union des organisations musulmanes de Genève, Appel spirituel de Genève, Plateforme inter-religieuse de Genève, Syndicat SIT (liste non exhaustive).



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VEILLÉES PROTESTATAIRES

ACOR, SOS RACISME



En Suisse romande

Pour marquer le désaccord avec les résultats du vote contre la construction de minarets, diverses initiatives spontanées, soutenues par les milieux antiracistes, ont fleuri en Suisse. Aujourd'hui 1er décembre, une veillée de 15 minutes, aux bougies ou flambeaux, est organisée dans les grandes villes. Les participants sont conviés à amener leurs bougies, qui seront symboliquement allumées pour «dire non à une Suisse d'exclusion, non à l'intolérance religieuse».
> Genève: Rassemblement à 18 h sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre, suivi d'une veillée.
> Lausanne: Rassemblement à 17 h 30 sur le parvis de la cathédrale, marche jusqu'à la mosquée, passage de Montriond 14, suivie d'une veillée qui se terminera vers 19 h.
> Sion: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 place de la Planta.
> Neuchâtel: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 près de la Fontaine avant la Montée au Château.
> La Chaux-de-Fonds: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 à L'espacité.
> Fribourg: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 place Python.
Infos complémentaires: http://www.facebook.com/event.php?eid=206833432111&index=1

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