Une réaction du Sénégal |
Les Suisses ne veulent plus de minarets dans leur pays. Ils l’ont dit à l’issue d’un référendum. Le pays ne compte que quatre minarets. Il n’y en aura pas d’autres. Une mosquée sera donc désormais un bâtiment presque ordinaire et l’appel à la prière du muezzin ne sera entendu que de l’intérieur des mosquées. Dehors, les clochers continueront de veiller sur l’identité chrétienne du pays. La messe est dite. Telle est la volonté des habitants de ce pays où « on observe le recul du fait religieux », me souffle un confrère. Le système démocratique en vigueur chez eux permet de faire avaliser une telle mesure. Toutefois, celle-ci semble illustrer deux choses : « les hommes politiques surfent sur l’opinion au lieu d’éclairer l’avenir », comme dit un philosophe ; la peur de l’autre et singulièrement de l’islam. L’islam en Suisse, ce sont quelque 400.000 âmes (soit 4% de la population) dont la majorité serait originaire des Balkans (autrement dit d’Europe) et de Turquie. Les musulmans des Balkans sont plutôt cools, peu militants, plutôt habitués à vivre, comme du temps de la dictature communiste, intensément leur foi sans ostentation ni prosélytisme. Et puis, ils sont si blancs qu’ils passent presque inaperçus. Au lendemain de la chute du Rideau de fer et de la dislocation de l’empire soviétique, il a fallu réapprendre à des jeunes de cette partie de l’Europe, nés musulmans sous la domination communiste, à prier, à lire le Coran et à renoncer... au vin et à la viande de porc. Ces musulmans ne font pas peur aux Suisses. C’est l’islam, sa visibilité et le radicalisme de certains de ses adeptes vite assimilés à une cinquième colonne. Dans un pays réglé comme une montre suisse, cette cinquième colonne est sous haute surveillance. On n’a pas besoin de monter sur un minaret pour les avoir à l’œil. Les agitateurs de ce groupe ne peuvent pas mettre en danger ni la Suisse ni les valeurs chrétiennes qui la fondent ni son caractère européen. Pourquoi donc un tel vote ? Pourquoi son succès ? Il y en a déjà en Europe comme en Suisse pour répondre à ces questions. La peur de l’islam plus que des musulmans, note un spécialiste européen des religions, serait le motif du vote de nombreux électeurs pas nécessairement racistes, populistes et xénophobes. L’Onu a dit son inquiétude. Le Vatican soutient les musulmans suisses. « Je ne vois pas comment on peut entraver la liberté de religion d’une minorité ou empêcher un groupe de personnes d’avoir sa propre église », a déclaré, dès l’annonce du référendum, le président du conseil pontifical pour les migrants, Mgr Antonio Maria Sveglio. De son côté, le secrétaire général de la conférence épiscopale suisse, Mgr Félix Gmür, avait considéré que l’interdiction des minarets était « un coup dur pour la liberté religieuse et l’intégration ». Les pays musulmans devraient également dire leur mot. Cela relève de l’ordre normal des choses puisque nous sommes dans l’ère de la mondialisation. A ces pays où vivent majoritairement ou non des musulmans et à d’autres dont les habitants vénèrent Bouddha, Shiva ou les fétiches, les règles du jeu de la mondialisation leur ont imposé l’ouverture des frontières aux marchandises, une circulation intense des personnes avec, il est vrai, des restrictions majeures pour ceux qui veulent entrer dans les pays développés du Nord, etc. Ces derniers pays veulent, comme certains Suisses, avoir le beurre, l’argent du beurre, la force de travail de la laitière immigrée sans, comme dirait l’autre, les bruits, les odeurs et la cosmogonie de cette dernière. Ce n’est pas possible. A moins de vouloir, à coups de cimeterre, redessiner l’architecture islamique, une mosquée, partout où des hommes se rassembleront pour prier Dieu, aura un minaret. Une mosquée sans cet attribut c’est, pour beaucoup de musulmans, comme ces produits de la mondialisation à l’identité si universelle qu’ils en arrivent à être une banalité culturelle. Une fois dans un pays de tradition autre qu’islamique, le voyageur cherche tout le temps du regard un minaret pour situer une mosquée. Cette image renseigne sur la présence de coreligionnaires et, peut-être aussi, sur le niveau de tolérance des habitants du pays d’accueil. On ne peut pas dire que les Suisses sont des intolérants hystériques. Dans une ville suisse, Neuchâtel, des autochtones et des Sénégalais ont rendu récemment (du 25 au 28 novembre 2009), au cours d’un festival de films, un hommage appuyé à deux cinéastes sénégalais : Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambéty. Ces deux défunts réalisateurs symbolisent à l’envi l’ouverture et l’enracinement qui sont avant tout le domaine des esprits généreux et universels. Certains Suisses ne parviennent peut-être pas encore à se faire à l’idée de l’impact que des spécialistes des migrations internationales appellent les transferts sociaux. Simplement dit, cela signifie que des hommes et des femmes, comme la laitière, voyagent avec leur vécu, leur histoire, leurs cultures et reviennent, définitivement ou épisodiquement, dans leur pays d’origine avec une expérience, un autre regard. Le vécu, l’histoire, la culture alimentent ce qu’on appelle désormais dans l’hémisphère nord la diversité (c’est, pêle-mêle, Rama Yade en France, le couscous magrébin, la mosquée et le minaret, le kébab libanais, les nems vietnamiens) ; l’expérience que l’émigré ramène est une boîte à outils où l’on retrouve des idées, des expertises, des comportements ; elle contribue à transformer les sociétés d’origine des migrants. Les Européens sont contents quand les sociétés africaines bougent grâce à l’expérience et à l’argent des migrants. Les Français adorent le côté rebelle de Rama Yade, goûtent avec plaisir aux recettes culinaires venues d’ailleurs, mais souvent, en matière de religion, de mosquée, de voile, etc., il y a encore des rigidités qui jurent avec cette ambiance démocratique, ces Lumières qui éveillent tous les esprits. En Suisse, un de ceux qui ont contribué, dans les années 1970, à la construction des quatre premiers minarets rappelle, à la télé, qu’à l’époque, il n’y avait pas eu autant de fureur. Les temps ont, il est vrai, changé et les multiples crises (alimentaire, financière, écologique) constituent pour certains, en Europe et ailleurs, y compris en terre d’islam, un bon prétexte pour se barricader et, à l’occasion, s’inventer des cinquièmes colonnes... des minarets à abattre ou des croisés à décapiter. Ce même temps fera son œuvre et les minarets bourgeonneront sur l’herbe suisse. Et la tolérance, comme le printemps, reviendra apaiser les cœurs. Pourquoi ? Parce que c’est le destin de ce pays (il n’est pas le seul) qui offre bien des libertés à ce demi million de Suisses ordinaires accomplissant leurs devoirs de citoyens. Dix pour cent des musulmans suisses ont la nationalité suisse et espèrent certainement faire souche en terre helvète. Ne dites pas surtout cela du haut d’un minaret à un Suisse qui a voté oui l’autre jour au référendum. Il n’entendra pas votre prière |
jeudi 3 décembre 2009
EN FILIGRANE : Ramdan pour un minaret • Par El Bachir SOW
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