Le minaret Suchard
Image © Michel Perret
Laurent Nebel, le propriétaire du minaret construit en 1865 par le chocolatier Philippe Suchard.
C'est le minaret oublié, car il n'a rien de religieux. Le minaret de Serrières (NE) est pourtant exceptionnel: il est le plus vieux de Suisse et il a été construit par le chocolatier Suchard.
Renaud Michiels - le 12 novembre 2009, 21h36
Le Matin
En Suisse, il y a quatre minarets, n'arrête-t-on pas de marteler durant cette campagne sur les minarets. Faux. Il y en a cinq. Le minaret oublié, le minaret secret, est à Serrières, à deux pas de Neuchâtel. Il a au moins trois particularités. C'est le plus vieux de Suisse. Il n'a rien de religieux. Et, surtout, cet édifice symbole de l'islam a été voulu et construit par un symbole de la Suisse: le célèbre chocolatier Philippe Suchard. «C'est poilant, non?» rigole Laurent Nebel, le propriétaire de la bâtisse.
La votation, il ne veut pas s'en mêler. «Quoi qu'il se passe, personne ne pourra raser mon minaret, esquive-t-il en souriant. Il est inscrit au patrimoine depuis 1997.» Mais, si cet employé de Swisscom de 57 ans ne veut pas se mêler de politique, il est intarissable sur l'histoire rocambolesque de son minaret.
Que voici résumée. Grand voyageur, Suchard tombe sous le charme de l'Orient et décide de construire un minaret chez lui, à Serrières. «C'est l'explication la plus plausible, note Laurent Nebel. D'autant qu'il y avait alors une vraie mode orientaliste. Le grand industriel a probablement simplement voulu être dans le vent et épater la galerie...»
Jolie annexe à la maison familiale des Suchard, le minaret voit le jour en 1865. «On retrouve des inspirations perse, ottomane, mais ce n'est pas une copie d'un style précis. Plutôt une fantaisie orientaliste avec des airs des «Mille et une nuits.»
Aspect originel
Le minaret passe quelques générations de Suchard, puis est vendu. Dans les années 1940, il est à deux doigts d'être détruit. Il servira ensuite de cuisine pour des ouvriers saisonniers. Avec la maison, il revient dans les mains d'une société immobilière, qui fait faillite en 1995. Laurent Nebel saute sur l'occasion et achète la maison avec son aile orientale. «Etudiant, je passais tous les jours devant, se souvient-il. Et j'adorais cette parcelle d'Orient. Cette parcelle de rêve.»
Le rêve lui appartient, mais il est en piteux état. Le temps de remuer ciel et terre, et Laurent Nebel obtient des fonds pour sa rénovation: 75 000 francs du canton, autant de la Confédération. Alors que certains songent à bannir tous les minarets de Suisse, l'Etat a payé pour en rénover un! «C'est poilant», répète l'heureux propriétaire. La rénovation est terminée en 2005. Le minaret retrouve son lustre, ses feuilles d'or, son aspect originel. «J'y tenais, je ne voulais pas que ça devienne Disneyland.»
Pour l'admirer de près, il faut presque passer par le salon du propriétaire, raison pour laquelle les visites sont exceptionnelles. On monte ensuite des escaliers. Puis on parvient sous le dôme. Là, les façades résument l'originalité des lieux. «Trois murs sont orientalistes. Le dernier est protestant et chocolatier: on y voit les armoiries Suchard.» Encore une porte, encore un petit escalier et on se retrouve à l'extérieur, sur les toits, avec vue imprenable sur l'édifice et sur le lac.
De là-haut, le débat pro- ou antiminarets semble bien loin. D'autant que, si le minaret Suchard est au fil du temps devenu «le symbole de Serrières», comme le dit son propriétaire, il ne suscite ni débat ni guerre de religion. «Le pasteur avait même appelé son journal A l'Ombre du Minaret, sourit Laurent Nebel. Il y avait une chronique intitulée «L'écho du muezzin.»
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