Romain Clivaz / Berne | 17.10.2009 | 00:02
La raison plutôt que l’émotion. Telle pourrait être la devise d’Eveline Widmer-Schlumpf. A six semaines du scrutin, alors que la polémique autour des affiches antiminarets échauffe les esprits, la conseillère fédérale souhaite mener un débat factuel. «Plus de 300 000 musulmans vivent en Suisse, et ça se passe très bien. Quant aux rares cas problématiques, nos lois permettent de trouver des solutions», martèle la cheffe du Département de justice et police, membre du parti Bourgeois-Démocratique. Interview.
– La Suisse n’est-elle pas en terre chrétienne? Pourquoi devrait-on y tolérer des minarets?
– Bien sûr que nous sommes un pays chrétien. Mais la présence de minarets n’enlève rien à cela. Elle montre simplement qu’il y a aussi des gens chez nous qui pratiquent une autre religion. Ils méritent notre respect.
– Comprenez-vous que des personnes aient peur de l’islam?
– Je comprends certaines peurs. Mais l’interdiction des minarets n’apporte aucune solution. Nous pouvons par exemple interdire les mutilations sexuelles dans la loi. Une proposition dans ce sens est actuellement discutée. Dire, comme le font les initiants, que la présence de minarets annonce une future application de la charia est un très mauvais argument. Notre Etat de droit garantit l’égalité entre les individus, ainsi qu’une justice civile et non religieuse. La loi islamique ne sera jamais appliquée ici car aucune religion n’est au-dessus de nos lois.
– Vous êtes entrée en campagne avant-hier. Où sont vos alliés? Etes-vous isolée, comme lors de la campagne perdue sur l’imprescriptibilité des crimes pédophiles?
– Je sais que, mardi prochain, les partis qui sont opposés à l’initiative font une conférence de presse. C’est une bonne chose, mais ça ne suffit pas. J’attends des partis et des parlementaires qu’ils s’engagent vraiment dans la campagne. Ils ne peuvent pas se contenter de donner leur avis puis de disparaître, abandonnant le champ de bataille politique à un seul camp. Ce serait mauvais pour l’équilibre de nos institutions.
– Selon un sondage, les femmes seraient plus enclines à voter oui. Comprenez-vous cette méfiance?
– Ce résultat est certainement dû au manque d’informations remontant au début de la campagne. Tout a été mélangé: la question de l’égalité homme-femme dans l’islam, les mutilations sexuelles ou, encore, les peurs les plus diverses. Mais plus le temps passe, plus le débat devient rationnel. Les initiants sont allés très loin, m’accusant, par exemple, dans un dépliant, d’être favorable aux mutilations sexuelles. Ce qui a fait réagir une citoyenne à qui j’ai ensuite répondu. Cette dame, trouvant les méthodes et arguments des initiants exagérés, votera certainement non. En démocratie directe, ce qui est excessif devient insignifiant.
– Etes-vous pour des traitements particuliers à l’école en raison de motifs religieux?
– Non. L’éducation physique, la natation ou les activités dans le cadre scolaire doivent être les mêmes pour tout le monde. Musulmans ou pas. Les enseignantes dans les écoles publiques ne doivent pas être voilées. Pour ce qui est des jeunes filles, communes et autorités scolaires doivent décider au cas par cas. Soyons sérieux: l’interdiction des minarets ne va pas obliger les enfants à aller à la piscine.
– Que faire pour faciliter l’intégration d’une communauté religieuse comme les musulmans?
– Mais nous n’intégrons pas spécialement des musulmans, des bouddhistes ou encore des hindouistes. Nous intégrons des gens qui viennent d’autres pays, quelle que soit leur religion. Les cantons sont des acteurs centraux avec la Confédération. Des programmes existent, entre autres, pour expliquer le fonctionnement de notre Etat de droit ou les droits et devoirs des citoyens. Des cours de langue sont aussi proposés.
– Faut-il former des imams à la sauce suisse?
– La réponse à cette question doit être apportée par les établissements universitaires et les cantons. Ces derniers sont garants de la liberté de culte. L’avantage serait de familiariser les imams avec nos règles en matière religieuse et le fonctionnement de nos institutions. Cela pourrait passer par de la formation continue.
– A Rheinfelden (Allemagne), une communauté musulmane souhaite faire l’appel à la prière depuis son minaret. Verra-t-on la même chose en Suisse?
– En l’espèce, aucune autorisation n’a été accordée. A Wangen bei Olten (ndlr: une des quatre localités accueillant actuellement un minaret), l’absence d’appel à la prière est explicitement mentionnée dans le permis de construire. La protection contre les nuisances sonores assure que l’on n’assistera pas à de tels développements ici.
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