jeudi 22 décembre 2005
Christoph, prophète du Volksgeist
L'opinion de l'ancien rédacteur en chef de 24heures à l'occasion de Noël est bien profilée. Elle a été publiée en page 2.
Longtemps on a pu trouver, à bon droit, M. Christoph Blocher irritant. Mais après tout, si les Chambres ont pris le risque… plus ou moins calculé de l’élire au Conseil fédéral, et si les autres «Sages» ne sont pas tombés de la dernière pluie, tout ce beau monde politique, pouvaiton se dire, n’a qu’à se débrouiller pour que les institutions fonctionnent; et pour se protéger lui-même.
Maintenant, le décor a changé. M. Blocher devient carrément dangereux. Pour trois raisons.
D’abord, son parti prétend faire du peuple suisse un monarque absolu. La bataille des naturalisations le montre bien. Et permettre aux habitants d’une commune de voter sur le destin d’une personne dont ils ne connaissent, au mieux, que le lieu de naissance et la couleur de peau, ce n’est pas perfectionner la démocratie, c’est la trahir. Car tout pouvoir, il faut malheureusement le rappeler, doit se donner à lui-même des bornes; et s’il ne le fait pas, il est en marche vers un régime totalitaire. L’histoire nous l’enseigne: il n’y a, de la démocratie à la dictature, que deux ou trois petits pas. Or M. Blocher, freiné par le Tribunal fédéral, a franchi le premier: il a déclaré que si la Constitution gêne ses partisans, il n’y a qu’à changer la Constitution.
D’ailleurs, le Chef — et c’est la seconde raison — a bientôt montré comment lui-même comprend la démocratie. Non seulement il se conduit au Palais fédéral comme une vedette indiscrète et mal élevée; mais, quand une commission parlementaire veut s’intéresser à ses indélicatesses, il réunit son groupe, et ses petits soldats claquent la porte de la commission. Ainsi l’Exécutif se met-il à manipuler le Législatif. Avant de manipuler le judiciaire… Ce n’est pas encore le plus grave.
La démagogie est un anesthésique puissant. En exaltant le Volksgeist (l’Esprit du Peuple), elle engourdit les volontés individuelles. Les lois sur l’asile et sur les étrangers, qu’un Parlement tétanisé vient d’adopter, défient le droit international, ou plutôt le droit tout court, s’il a pour objet le règne de la justice et de l’humanité. On ne répétera pas ici les objections largement exposées par les rebelles à la Suisse blochérienne: autant d’évidences. Mais les Chambres se sont mises à quatre pattes. Honneur à M. Bruno Fasel, à Mme Martine Brunschwig Graf, à M. Claude Ruey, à quelques autres (mais rares) centristes, et naturellement à la gauche; à ceux qui, venus donc d’horizons divers, ont prononcé des paroles si graves qu’en d’autres temps elles auraient secoué le pays. Honneur — et non pas dérision, s’il vous plaît! — aux courageux qui lanceront un référendum. On le dit perdu d’avance. Voire. Mais comment rester inerte après avoir dénoncé, quoique en vain, la cruauté?
Dérision supplémentaire: le langage des statistiques, dont l’Office fédéral des réfugiés abuse depuis des années, perd toute pertinence au moment où le nombre des requérants d’asile fond comme glaciers après Kyoto; que nos élus dressent néanmoins de nouveaux remparts; et qu’on invente ce sigle sinistre, les NEM (ah! souvenir des abréviations dont le Reich national-socialiste était si gourmand, parce qu’elles signalent à la fois l’ordre, la discipline et l’anonymat)… On nous explique ad nauseam que la Suisse «ne peut pas recevoir toute la misère du monde». Comme s’il en avait jamais été question! Et pendant ce temps, on expulse des «enracinés», on oblige des patrons à licencier des salariés dont ils étaient contents, on maintient des familles dans une angoisse à chaque aube renouvelée… Voici Noël. Pouah!
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