vendredi 22 juillet 2005

LARA EESP

Réponse de l’École d’études sociales et pédagogiques (HES·SO) à la consultation sur le projet de Loi sur l’aide aux requérants d’asile et à certaines catégories d’étrangers (LARA)

Dans le cadre des formations qu’elle dispense et des recherches qu’elle conduit, l’École d’études sociales et pédagogiques (ÉÉSP) s’est, à de nombreuses reprises, penchée sur la question de l’intégration des personnes de nationalité étrangère dans la société suisse, sur les problèmes sociaux que cette population rencontre et l’aide sociale qui lui est fournie. Différents modules de formation concernant ces questions sont offerts dans le cursus des étudiant·e·s des filières de travail social, et des professeur·e·s de l’ÉÉSP ont conduit ou participé à de nombreuses recherches sur ces questions, aussi bien dans le cadre du Programme national de recherche N° 39 (Migrations et relations interculturelles) que dans celui de l’action DORE du FNS. Notre prise de position, en réponse à la demande du DIRE, se fonde essentiellement sur les résultats des recherches que l’ÉÉSP a menées ou auxquelles elle a collaboré1.
L’avant-projet de loi soumis à consultation par le DIRE, que nous avons étudié avec beaucoup d’attention, devrait être complètement revu, car il va à l’encontre des résultats actuels de la recherche dans le domaine des migrations, qui montre que l’égalité de traitement, le respect de la dignité humaine et la protection particulière de certaines catégories (les mineur·e·s) devraient être les fondements de toute politique en la matière.
Égalité de traitement
La production de normes particulières d’aide sociale liées au statut légal des personnes s’oppose aux résultats du Programme national de recherche N° 392 et introduit une inégalité de traitement préjudiciable à toute vie en société.
La recherche a en effet démontré que cette production de normes différenciées selon les catégories de statut de séjour renforce les discriminations dont sont victimes les personnes de nationalité étrangère, qui, quel que soit ce qu’elles font ou ne font pas, sont de facto insérées dans une catégorie qui leur ouvre ou leur ferme l’accès à certains droits.
Cela va à fin contraire d’une politique d’intégration qui, réclamant une participation active des individus, exige d’eux qu’ils ne soient pas enfermés dans un statut. La socialisation et la responsabilisation citées dans le cadre théorique du nouveau concept de prise en charge (4.6) ne peuvent se déployer dans une situation de ce type. Cette inégalité de traitement ne fait en outre que renforcer les préjugés de la population autochtone concernant certaines catégories d’étrangers.
L’aide sociale devrait être garantie à tous, sans différence d’application selon la catégorie (y compris pour les personnes sous le coup d’une NEM, ce qui a été récemment confirmé par le Tribunal administratif), conformément aux principes contenus dans la Constitution fédérale3 et dans la Constitution cantonale.
Respect de la dignité humaine
Il nous semble nécessaire que les compétences, en ce qui concerne l’aide sociale, ne soient pas séparées entre différents départements de l’administration cantonale. L’organisation de l’aide sociale pour toutes les personnes demeurant en Suisse doit être de la compétence du DSAS, quel que soit leur statut. Ne pas le faire entraînerait des dérapages, notamment en regard de l’application de l’article 12 Cst.
On peut voir un indice du type de dérapage possible dans l’article 57 de l’avant-projet de loi (réduction de l’assistance), qui prévoit des mesures extraordinaires de réduction ou de suppression de l’aide sociale qui vont à l’encontre de la jurisprudence du Tribunal administratif vaudois et du Tribunal fédéral. Il est inconcevable – et totalement contraire à la dignité humaine – que le droit constitutionnel fondamental à l’aide sociale soit tributaire du comportement (incivilité, refus de collaboration) ou soit remis en question suite à une peine pénale.
L’avant-projet de loi est particulièrement peu précis (art. 26), et nous le regrettons, sur l’encadrement social qui devrait être fourni par la FAREAS. Les informations présentées dans l’avant-projet indiquent un taux d’encadrement social de l’ordre d’un mi-temps d’assistant·e social·e pour 100 personnes, ce qui est particulièrement insuffisant. Cet encadrement devrait être nettement plus important pour permettre à des personnes, arrivées en Suisse le plus souvent après un long et épuisant parcours, de se trouver accueillies et aidées comme des êtres humains à part entière.
L’avant-projet de loi prévoit en outre un système de prise en charge médicale d’exception, alors qu’il faudrait simplement garantir l’application de la LAMal et un accès égal pour tous et toutes aux soins et aux subsides, conformément aux directives fédérales en la matière. Le système prévu instaure une médecine à deux vitesses très dangereuse du point de vue sanitaire (et qui pourrait coûter très cher) et totalement injustifiable en regard de la dignité humaine.
Enfin, certaines prérogatives données à la FAREAS sont problématiques, dès lors qu’elles limitent fortement la liberté personnelle et qu’elles permettent une intrusion inacceptable dans la sphère privée (art. 21), parce que basée sur l’arbitraire (une telle intrusion n’est possible qu’en cas de soupçon et uniquement par l’autorité de police).
Protection particulière de certaines catégories
La recherche concernant les Mineur·e·s non-accompagné·e·s montre que cette catégorie a des besoins spécifiques en matière d’encadrement4, auquel l’avant-projet de loi ne répond pas. La grande majorité des Mineur·e·s non-accompagné·e·s a vécu des traumatismes importants : huit Mineur·e·s non-accompagné·e·s sur dix ont été victimes de violences et deux tiers sont orphelins ou leurs parents sont très malades. Les médias répercutent rarement cette dimension extrême de l’expérience des Mineur·e·s non-accompagné·e·s. L’impact produit par ces situations extrêmes n’a hélas jusqu’ici pas induit une prise en charge réelle des séquelles de la violence que ces enfants ont subie.
Les mesures devraient concerner l’ensemble de la catégorie, soit les mineur·e·s jusqu’à 18 ans, car leur situation particulière dans le domaine de l’asile est liée à leur minorité et les mesures de protection des mineur·e·s les concernent jusqu’à leur majorité. C’est un devoir d’humanité, conforme aux engagements de la Suisse en matière de protection de mineur·e·s, de leur accorder des mesures de protection particulières.
Si un lieu d’accueil spécifique doit bien leur être destiné (art. 33), ce lieu devrait bénéficier d’un encadrement social spécifique et important, supervisé par les spécialistes du Service de protection de la jeunesse, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant (Art 3.1 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la Suisse).
Conclusion
En conclusion, cette loi devrait être entièrement revue pour correspondre aux résultats de la recherche en matière de migration5 et aux recommandations du Bureau du Commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe6
Il est sans doute utile, à ce propos de rappeler que l’intégration est avant tout un problème de la société d’accueil, puisque tout le processus se déroule dans celle-ci et dans les conditions qu’elle détermine. La politique mise en place par le canton va déterminer les comportements des personnes de nationalité étrangère en société, et c’est pour cette raison qu’il est extrêmement important qu’elle respecte l’égalité de traitement et la dignité humaine, en n’oubliant jamais qu’une société se juge à la manière dont elle protège les plus menacés.

Aucun commentaire: