Ce mardi avait lieu, pour la deuxième année, la journée «vingt-quatre heures sans nous». «Nous»? Ceux qui entendent rappeler que l'immigration, ça a du bon.
Place de la Bourse à Paris. (C.B.)
Slogan: «24 heures sans nous». Signe de ralliement: un petit ruban jaune. Enlevez de la société française tous ceux qui ont un ancêtre étranger, que reste-t-il?
Plus grand monde, entendaient rappeler ce mardi à ceux qui l'oublieraient les organisateurs de la «journée sans immigrés». Comme l'année dernière lors du coup d'essai de l'opération, l'idée était d'appeler les Français en général, quelle que soit leur origine, à arrêter de travailler et de consommer le temps d'une journée pour montrer, en creux, l'apport de l'immigration à la société française. Et en finir avec la stigmatisation ambiante.
Derrière cette démarche, un collectif né fin 2009 d'un «ras-le-bol commun» après une petite phrase de trop, celle d'Hortefeux - «Quand y en a un, ça va...» Profs, cadres, journalistes, ils se sont organisés via Facebook en prenant soin de garder leurs distances avec toute récupération syndicale ou politique, même si des organisations comme le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) s'associent à la démarche. Un an plus tard, et à l'approche de la présidentielle, leur manifeste (à lire ici, accompagné d'un appel à signer), leur paraît plus que jamais d'actualité.
Les comités locaux organisaient ce mardi des manifestations dans une quinzaine de ville (lire ici l'interview recueillie par notre correspondante à Lille). A Paris, le rendez-vous était donné à la mi-journée place de la Bourse.
Parmi la petite foule, Nadia, Rachid, Farida ou Najib. Ils ont posé une RTT pour venir dire, en termes mesurés, leur fatigue d'être sans cesse renvoyés à leurs origines.
Nadia, 39 ans, comptable
«Mes grands-parents sont venus en 1947 d'Algérie parce qu'on est venu les chercher. Et deux générations plus tard, je devrais encore me justifier? On nous renvoie à la figure le passé colonial. Pareil sur l'islam, que Sarkozy s'ingénie à instrumentaliser dans une pure logique électoraliste. On peut être français à part entière et choisir une autre religion que le catholicisme, non ?
«L'immigration fait partie de la vie économique de la France, c'est un fait. Et malgré tout on nous considère comme des parias. Quand on nous parle immigration, on nous parle banlieue, barbus, on monte les Français les uns contre les autres. Il faudrait quand même arrêter de dire que l'immigration, c'est les petits délinquants qui tiennent les murs dans les cités. Ce racisme ouvert de la part des hommes politiques et de figures médiatiques est intolérable. Pourtant, il est toléré, regardez Eric Zemmour! Il a été condamné par la justice pour ses propos et il continue de faire des émissions.»
Najib, 31 ans, cadre marketing dans une grande entreprise
«Je suis née ici, j'y ai fait mes études, je me sens français à 100%. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des attaches fortes avec le Maroc. Mes parents sont venus en France dans les années 70 pour le travail, mon père comme ouvrier, ma mère dans la restauration. Ils ont contribué au développement de la France et en dépit de cela, dans les médias, au gouvernement, l'immigration est toujours abordée comme un problème. Mais sans les immigrés et les enfants d'immigrés, la France ne tournerait pas! Les relents de racisme perdurent, comme une lame de fond. On continue à nous opposer aux "Français de souche".
«J'ai beau avoir avoir un bon poste, le mélange ne se fait pas dans le tissu social. Quand je suis dans un dîner, les premiers échanges sont bons mais dès que je donne mon prénom on me demande: "Ah oui? Tu viens d'où? T'habites où?", avec toutes les connotations qui vont avec: la banlieue, les Arabes... Et la religion. Car depuis quelques années, cette stigmatisation de l'origine se double d'une défiance envers les musulmans. Regardez le débat sur l'islam qui s'annonce! Ça me dégoûte. Alors que 99% des musulmans ne demandent qu'à vivre leur religion dans la paix et la sérénité, on focalise sur quelques centaines de radicaux.»
Farida, 38 ans, informaticienne dans une grande chaîne télé
«Il faut dire, ensemble, à nos dirigeants qu'ils arrêtent de systématiquement pointer l'apport négatif de l'immigration, de faire des amalgames du type musulman = arabe = terroriste = délinquant. Faisons attention à ce qu'on dit. Il n'y avait qu'à écouter, dimanche soir, Sarkozy nous faire un discours sur la peur, comme si des Tunisiens et des Algériens allaient débarquer d'un coup en masse! On ne peut laisser nos gouvernants continuer à dire des énormités comme ça impunément.
«On est nés ici, on vit ici, on participe activement au développement de ce pays, on travaille et on consomme comme tout le monde... Et à cause de ces discours, on se retrouve obligés de devoir crier au monde: "Regardez, on n'est pas des délinquants!"».
Rachid, 30 ans, cadre dans une grande entreprise du secteur industriel
«Il y a encore cinq ans, je ne crois pas que je serais venu aujourd'hui. Mais le climat s'est considérablement dégradé. Il y a maintenant une véritable cohésion de la classe politique pour dire que tout ce qui est immigré, ou plus exactement tout ce qui n'est pas blond aux yeux bleus, est un mal. Alors qu'au contraire c'est l'union qui fait qu'aujourd'hui la France est ce qu'elle est. J'en appelle simplement à un peu de mesure, un peu de respect. Mes parents sont nés en Algérie, ils sont français, je suis né ici, je suis français, point barre.
«Même dans la sphère privée et professionnelle, j'observe un repli. Je suis dans un milieu, disons, classe moyenne supérieure, et le discours m'inquiète de plus en plus. Mes collègues se permettent des remarques que je n'entendais pas avant. Par exemple, je suis le seul Beur de mon service, et ils disent: "Nous, on a notre Beur." Ce n'est pas intentionnellement méchant, mais une distinction est faite. Pareil sur la religion. Si c'est le ramadan, on va me dire: "Ben, tu manges ? Tu bois du vin ?" Je ne suis pas musulman ! C'est tout juste si on ne m'accuse pas d'être polygame... Je dois toujours me justifier. Et je ne vous parle pas du débat sur l'islam, on va se le prendre de plein fouet. »
Cordélia Bonal dans Libération
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