mercredi 2 mars 2011

"Pas de quoi avoir peur des migrants arabes"

Alors que 14 000 réfugiés de Libye arrivaient à la frontière tunisienne dans la seule journée de lundi, le spectre d'une immigration massive en provenance d'Afrique du Nord hante le Palais fédéral. Cantons et Confédération élaborent des scénarios de crise et certains partis réclament un débat urgent aux Chambres. Craintes infondées, estime Jean-Philippe Chauzy, porte-parole de l'Organisation internationale des migrations. «La pression migratoire ne s'exerce pas sur l'Europe», insiste cet expert.

jp chauzy oimLe spectre d'une immigration massive en provenance d'Afrique du Nord hante le Palais fédéral. L'UDC et le Parti libéral-radical réclament un débat urgent sur un afflux présumé de Tunisiens et de Libyens, dans le sillage des soulèvements dans leur pays (voir ci-contre). Pendant ce temps, cantons et Confédération élaborent des scénarios de crise. Les craintes qui se propagent à Berne sont-elles justifiées? Porte-parole de l'Organisation internationale des migrations (OIM), Jean-Philippe Chauzy apporte son éclairage.
La Suisse a-t-elle raison de craindre un afflux de migrants d'Afrique du Nord?
Jean-Philippe Chauzy: Pour l'instant, rien ne permet d'étayer cette hypothèse. Ce sont des déclarations à l'emporte-pièce, alarmistes, qui surviennent dans un contexte de ralentissement économique et de rejet de la migration. Et ceux qui les tiennent se servent de la situation actuelle pour justifier l'érection de murs.Il faut le rappeler, la Libye est un pays de destination pour la majorité des migrants, pas un pays de transit. Seuls 10% des Africains qui gagnent ce pays le font dans le but de rallier ensuite l'Europe. Et aujourd'hui, la plupart cherchent essentiellement à rentrer dans leur pays, de peur de subir des violences xénophobes en Libye. Ainsi, 6000 Nigériens ont franchi la frontière sud de la Libye ces derniers jours. Et toutes les informations en notre possession nous disent que les autres aspirent au retour le plus rapide possible chez eux.
Pourquoi ne tenteraient-ils pas leur chance vers l'Europe?
Les filières, qui ne sont pas actives pour l'instant, ne fonctionnent pas gratuitement. Le passage vers l'Europe coûte entre 1000 et 1500 euros. C'est hors de prix pour les immigrés clandestins présents en Libye, qui peinent déjà à se nourrir et à se loger.
L'Europe cède à l'hystérie, à vous entendre...
Il est normal que les Etats anticipent de possibles flux migratoires. Mais si l'Europe se soucie vraiment du risque accru de migration, elle devrait commencer par augmenter son aide aux pays concernés par l'exode, à savoir la Tunisie et l'Egypte.
De quoi ces deux pays ont-ils besoin?
Dans un premier temps, d'une aide dans les zones frontalières actuellement submergées, surtout côté tunisien. Dix à douze mille personnes y arrivent chaque jour de Libye, c'est énorme!Dans un deuxième temps, les autorités tunisiennes ont besoin que l'on mette en place un programme d'évacuation humanitaire. L'idée est de pouvoir fournir dans les 24 heures des documents de voyage aux personnes qui passent la frontière, puis de leur fournir une aide tant logistique que financière afin qu'ils rentrent chez eux. C'est ce que l'OIM fait depuis la Tunisie avec des ressortissants du Mali et du Bengladesh. Enfin, à moyen terme, il faut penser à investir dans ces pays en transition pour permettre aux jeunes de migrer par choix, et plus par nécessité.
Et si l'Europe ne fait rien?
Des migrants risquent alors de se retrouver bloqués dans les zones frontières entre la Tunisie et la Libye. Les filières de passeurs en profiteront pour s'installer. Mais pour l'instant, je le répète, la pression migratoire ne s'exerce pas sur l'Europe!
Si le verrou libyen saute, cela pourrait encourager la migration en provenance d'Afrique noire...
En 2009, l'Italie et la Libye ont en effet signé un accord par lequel Tripoli s'engageait, contre paiement, à verrouiller un peu mieux sa frontière sud, à empêcher le départ de bateaux de migrants, à ramener les navires interceptés vers ses côtes et à rassembler leurs occupants dans des centres de détention. Nous ignorons combien de personnes se trouvaient dans ces camps. Nous avons par contre des estimations qui font état de 1,5 million de travailleurs dans le secteur informel en Libye. Venus du Ghana, du Togo, du Bénin ou du Burkina Faso, ces clandestins étaient recrutés à la journée et étaient de ce fait très vulnérables. Mais nous sentons chez eux une très forte envie de rentrer chez eux plutôt que de tenter leur chance en Europe.
Qu'en est-il d'un possible afflux de Tunisiens?
La chute du régime de Ben Ali a donné lieu à un moment de flottement de la part des autorités, et des filières se sont rapidement mises en place pour permettre à des jeunes de partir. Mais a priori, le flux de migrants vers Lampedusa s'est tari. Ces derniers jours, on n'a par ailleurs observé aucun nouveau départ des côtes libyennes, tunisiennes ou égyptiennes.

Propos recueillis par Serge Gumy pour la Liberté

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