mercredi 2 mars 2011

Alard du Bois-Reymond: «Le risque d'une migration massive est bien réel»

a du bois-reymond sur les migrants arabesComment réagira la Suisse si une vague de migrants se présente à nos portes? Le directeur de l’Office fédéral des migrations évoque les scénarios auxquels le pays se prépare. Interview d'Alard du Bois-Reymond réalisée par Yves Lassueur pour l'Illustré.

Les premiers migrants qui fuient l’Afrique du Nord et débarquent par milliers sur l’île de Lampedusa ont-ils déjà fait leur apparition à nos frontières pour demander l’asile?

Jusqu’ici, en tout cas, nous n’avons pas noté d’augmentation du nombre habituel de demandes. Et, à Lampedusa même, après avoir été massif pendant quelques jours au début de février, le flux des arrivées est tombé à 250 personnes dans la semaine du 14 au 20. Il a donc nettement baissé, ce qui s’explique peut-être par la météo. Maintenant, les choses vont-elles en rester là ou le mouvement va-t-il au contraire s’accélérer? C’est très difficile à évaluer, mais le risque est bien réel. De là la nécessité de se préparer à toutes les options.

Avec quels services examinez-vous cette situation d’urgence?

Nous tenons des séances de coordination avec les cantons, avec le Corps des gardesfrontière, le Département des affaires étrangères et celui de la défense. Il s’agit de définir les scénarios auxquels se préparer.

Quels scénarios? Envisagez-vous d’accélérer le rythme des procédures en cas d’arrivée massive de requérants?

Ça dépend des pays. Dans le cas de la Tunisie, on peut être assez confiant: tous les indicateurs montrent qu’il s’agit de jeunes sans emploi qui cherchent un travail. Pour ces gens-là, la situation est claire: on peut appliquer des procédures expéditives, qui seront vite réglées. Maintenant, si une guerre civile ravage la Libye, ce qu’on ne peut exclure, c’est autre chose. La rapidité des procédures sera moins importante, vu qu’on ne pourra pas renvoyer systématiquement les gens arrivant de là. Il faut se préparer différemment selon les situations qui peuvent survenir.

Pendant longtemps, la Libye a été le point de départ d’une bonne partie des migrants de toute l’Afrique vers l’Europe, selon les humeurs de Kadhafi qui ouvrait ou fermait les vannes de ce flux. A quel scénario s’attendre si le régime s’effondre?

C’est juste, le cas libyen pose une double question. Parmi les requérants d’asile arrivant d’Afrique du Nord à partir des côtes de Libye figurent une bonne partie des migrants d’Afrique noire. Ce qu’ils feront en cas de chute du régime, ou ce qui sera fait pour éviter qu’ils ne poursuivent leur chemin, personne ne peut vous le dire aujourd’hui. C’est pour cela qu’il est important de se préparer à toute éventualité.

L’Italie est aux premières loges de cet afflux de migrants. De quelle façon coopérons-nous avec elle?

Il est effectivement important que nous coordonnions nos efforts avec ce pays et avec toute l’Union européenne, dans le respect des Accords de Dublin.

En clair, selon ces fameux Accords de Dublin, cela signifie que les requérants d’asile arrivant en Suisse via l’Italie y seront systématiquement renvoyés? C’est ça?

C’est ça.

Vous ne transigerez pas sur cette question, même si l’afflux est massif en Italie?

Il ne faut pas seulement dire aux Italiens qu’on va leur renvoyer les migrants arrivés chez eux. Il faut aussi les soutenir pour qu’ils soient en mesure de faire face à la situation.

Les soutenir avec l’envoi de trois douaniers, comme on a appris que la Suisse s’apprêtait à le faire?…

En cas d’afflux massif, il faudra probablement aller au-delà de cette mesure. Mais ne la sousestimons pas. N’oublions pas que nous sommes un petit pays et que les autres Européens doivent aussi fournir leur contribution.

L’an dernier, l’Italie ne nous a guère aidés dans l’affaire des otages retenus par Kadhafi. Elle nous a même plutôt mis les bâtons dans les roues…

Qu’est-ce que vous voulez insinuer?

Qu’on pourrait être tentés de se montrer aussi «solidaires» avec elle dans le dossier des migrants qu’elle l’a été avec nous dans celui des otages…

Je vous pose simplement la question: sommes-nous dans une position de force? Sommes-nous en mesure d’imposer quoi que ce soit? Nous dépendons d’une collaboration efficace avec tous les pays, qu’ils soient européens, africains ou autres, pour mener une politique de migration raisonnable. C’est bien cette nécessité qui rend cette politique difficile.

Que se passera-t-il si des proches de l’exdictateur tunisien Ben Ali ou de l’Egyptien Hosni Moubarak, peut-être même demain de Mouammar Kadhafi, se disent en danger dans leur pays et déposent une demande d’asile en Suisse?

On examinera cette demande au même titre qu’on examine celle de tout requérant. Mais je ne peux vous donner aucune garantie quant au résultat de la procédure.

Entrerez-vous même en matière s’il s’agit de proches du régime qui ont les mains couvertes de sang?

Leur demande sera effectivement examinée. Mais je rappelle que ces gens-là ne sont pas à l’abri d’une interpellation et d’une condamnation pour crime de guerre ou crime contre l’humanité par le Tribunal pénal international de La Haye.

La semaine dernière, en collaboration avec les cantons, vous avez fait le point sur nos capacités d’hébergement. Sont-elles suffisantes?

Actuellement, oui. Nous avons 16 000 requérants en attente d’une décision. Et, pour cet effectif-là, ça va bien. L’objectif de notre récente réunion avec les représentants des cantons visait à déterminer dans quelle mesure il est possible de trouver de nouveaux logements et d’accomplir les procédures dans l’éventualité d’un afflux massif.

A quels chiffres êtes-vous parvenus? Combien de logements supplémentaires la Suisse pourrait-elle mettre à disposition?

A court terme, il est toujours possible de se serrer les coudes. Lors de cette séance, les représentants des cantons se sont dits prêts à étudier les possibilités de renforcer leurs capacités en matière d’accueil et d’exécution des mesures. Quant au Département de la défense, il s’est engagé à examiner les moyens de mettre provisoirement à disposition des logements de l’armée. Mais on ne peut citer aucun chiffre pour le moment.

Vous avez récemment laissé entendre que vous souhaitez réduire le temps moyen que passent les requérants d’asile en Suisse. Vous l’estimez trop long?

Oui, d’une façon générale, cette durée est bien trop longue. Mais, attention, cette question- là n’a rien à voir avec l’actualité. Elle est complètement indépendante des événements d’Afrique du Nord. En janvier déjà, nous avons eu une réunion avec la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats et elle nous a demandé d’étudier ce qui ne fonctionne pas dans notre politique d’asile. Il nous apparaît que l’un des éléments clés qui posent problème, c’est la durée des procédures. Entre le moment où un requérant frappe aux portes de la Suisse et celui où il s’en va parce que sa demande a été refusée, il s’écoule en moyenne 750 jours. Et souvent même beaucoup plus s’il a multiplié les recours contre nos décisions.

D’une moyenne de 750 jours, vous aimeriez tomber à combien?

Il faudrait veiller à ce que ce délai n’excède pas une année. Voyez ce qui arrive avec les requérants qui passent cinq ans ici, qui ont même des enfants chez nous et tissent un réseau de relations. Passé ce temps, ils ont pris racine. Comment peut-on expliquer qu’on les renvoie? C’est l’une des raisons pour lesquelles notre système d’asile a perdu de sa crédibilité. Corriger cet état de fait en diminuant la longueur des procédures, c’est l’une des tâches auxquelles nous devons nous atteler maintenant.

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