Lire l'opinion d'Edmond Aubert dans 24 heures
Depuis longtemps, la perspective de voir M. Blocher réélu en 2007, puis de le voir plus tard président de la Confédération (avec tout le poids symbolique, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays, qu’implique une telle charge) n’enchante guère la plupart des Suisses. Et son récent dérapage n’a rien arrangé.
Selon la presse, M. Blocher aurait déclaré que l’article 261 bis de notre Code pénal lui faisait «mal au ventre». Il est indéniable que M. Blocher a très mal choisi le moment et l’endroit pour prononcer un tel aveu. Mais, quel que soit le peu de sympathie qu’inspire le personnage, on ne peut lui donner tort sur le fond.
L’article 261 bis a été accepté par le peuple en septembre 1994 malgré les réserves de beaucoup d’esprits libéraux (le Parti libéral vaudois, précisément, avait recommandé son rejet). Rappelons que, dans son principe, il permet de punir ceux qui incitent à la haine ou à la discrimination raciale. Ce serait très bien s’il ne contenait pas aussi des dispositions créant une véritable justice d’exception et de vrais délits d’opinion. Plutôt que d’analyser ces dispositions, illustrons par un exemple ce que certains tribunaux en ont fait.
Au printemps, 1996, l’ouvrage de Roger Garaudy intitulé Les mythes fondateurs de la politique israélienne était saisi en pleine librairie et le libraire inculpé.
Il n’est pas utile de se remémorer qui était Roger Garaudy. D’abord communiste, il se laissera gagner ensuite par une passion aussi généreuse que quasi obsessionnelle: celle du dialogue. Dialogue entre les philosophies, les religions, les cultures, les civilisations.
Dans l’ouvrage incriminé, Garaudy, avec le soutien de l’abbé Pierre, s’est peut-être laissé entraîner à des positions extrêmes. Il y considère que les souffrances que le nazisme a infligées aux juifs ont été suffisamment atroces pour qu’on n’en rajoute pas, que vainqueurs et victimes de ce régime odieux en ont fait un usage calculé et condamnable, qu’une lutte contre le «sionisme» politique est inséparable d’une vraie lutte contre l’antisémitisme, qu’il ne s’agit nullement d’envisager la destruction de l’Etat d’Israël, mais sa désacralisation.
C’en était trop pour certaines ligues bien-pensantes, qui obtinrent le procès auquel il a été fait allusion.
C’est le même esprit d’Inquisition qui vient de triompher à l’Assemblée nationale française à propos du «génocide arménien ». Il ne s’agit plus de laisser les historiens faire honnêtement leur travail. Il s’agit de décréter une Vérité d’Etat, Vérité quasi coranique, pour laquelle toute contestation entraînera désormais des poursuites judiciaires. Que cette Vérité d’Etat corresponde à la réalité, cela ne nous semble faire l’objet d’aucun doute. Qu’on le qualifie ou non de «génocide», ilyabel et bien un massacre collectif des Arméniens chrétiens, considérés comme alliés des Russes, lors du conflit entre l’Empire ottoman et l’Empire tsariste durant la Première Guerre mondiale de 1914 à 1918. Et, bien entendu, ces événements abominables ont laissé dans le coeur des Arméniens qui ont échappé à ce massacre, des blessures qui ne pourront jamais être cicatrisées.
Mais cela n’empêche pas que la récente décision de l’Assemblée nationale française, aussi bien que la présence dans notre Code pénal, de l’article 261 bis et d’une partie de son contenu, soient détestables.
Et quand M. Blocher comparaîtra (comme nous tous) devant le Grand Trône blanc décrit par l’Apocalypse, son mal de ventre à propos de l’article 261 bis de notre Code pénal ne pourra que lui être imputé à décharge par le Juge suprême de l’Univers.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire