Lu dans l'Orient-le-jour Beyrouth
10/12/2009
Par Amine ISSA
L'inscription dans la Constitution suisse de l'interdiction de l'érection de minarets n'est que le dernier épisode des problèmes que rencontre l'intégration des immigrés musulmans en Europe. À ce sujet, tout a été dit et rien résolu. Ce n'est pas le lieu d'en débattre, la question est trop vaste. Je me contente de rappeler les principaux griefs de part et d'autre. Les musulmans reprochent à l'Europe son passé colonial, son impérialisme économique, son accueil des émigrés quand il s'agissait, lors des « Trente glorieuses », de disposer d'une main-d'œuvre à bas prix, pour ensuite les exclure quand l'économie n'avait plus besoin d'eux. À cela s'ajoute le déni des spécificités culturelles des immigrés et l'imposition de valeurs occidentales considérées comme universelles. L'Europe juge, elle, que si le fait colonial était une faute, les populations autochtones ont quand même profité des améliorations tant sociales, politiques, qu'économiques que les occupants ont emmenées dans leurs bagages. Elle pense aussi que le transfert de technologies et d'investissements vers les anciennes colonies continue. Si les Européens y trouvent leur compte, et ce n'est pas de leur faute si la corruption et l'archaïsme des systèmes politiques des anciennes colonies dilapident les avantages de cette coopération. Sur le sol européen, les citoyens de ces pays restent foncièrement attachés à leur système républicain et laïc. Ils considèrent que les émigrés doivent s'adapter aux règlements et coutumes des pays d'accueil, du moment que la loi leur garantit la liberté du culte et le respect de leurs traditions qui ne contredisent pas la législation. On le voit, la controverse n'est pas close.
Par contre, deux questions différentes surgissent à l'occasion de ce référendum. La première concerne le principe et le sujet de la consultation populaire. La Constitution suisse le leur interdisant (article 15) ou par sincérité, ce n'est pas la pratique de l'islam que les initiateurs du référendum contestent, mais le refus de la revendication politique d'un changement de système que constitueraient les minarets. Artifice linguistique ou moyen de contourner la Constitution, c'est bien une perception négative de l'islam qui est en jeu. Or, il est établi qu'en Suisse, les quatre cent mille musulmans qui l'habitent sont d'origines principalement balkanique et turque. Ils sont pour leur grande majorité peu pratiquants et revendicatifs. C'est l'image d'un extrémisme vindicatif et violent qui se manifeste, soit dans les pays en proie à une guerre, Afghanistan, Pakistan, Irak, soit à travers les attentats perpétrés en Occident, soit encore dans les discours enflammés et sectaires de certains imams de banlieues, qui heurtent la Suisse, un pays qui, plus qu'un autre, veut vivre en marge des secousses de la planète.
Quand bien même certains de ces imams professeraient en Suisse, ou que de jeunes immigrés commettraient des infractions, il faut user de la loi pour les sanctionner. Si un imam appelle à l'application de la charia par la force en Suisse ou si un immigré assassine sa sœur pour un délit d'honneur, il faut les expulser ou les mettre en prison, sans complaisance. Mais inscrire dans la Loi fondamentale une loi qui jette l'opprobre sur l'ensemble d'une religion et une seule n'est pas constructif. Si des musulmans haïssent la Suisse et veulent la détruire, ce n'est pas l'interdiction d'une structure architecturale qui les dissuadera, bien au contraire. Si l'humeur du jour est à l'affrontement idéologique entre la chrétienté et l'islam, inclure dans la loi fondamentale un article qui contredit l'esprit de liberté de la Constitution est malhabile. Cela est aussi la conséquence de l'influence néfaste des médias, qui privilégient le spectaculaire, de la paresse intellectuelle de tous ceux qui enregistrent l'événement et négligent l'analyse. C'est aussi l'effet de l'abdication des politiciens face à l'opinion au détriment de leur devoir de sagesse.
La seconde question que je voudrais évoquer est l'attitude des instances musulmanes face à des actes de rejet comme celui qui vient de se produire en Suisse. Pourquoi ces instances ne s'interrogent-elles jamais sur les raisons du sentiment d'un certain Occident à l'égard de l'islam ? Ou plus exactement pourquoi leur seule explication se résume-t-elle à ce qu'ils qualifient de haine et de mépris de l'Occident pour l'islam ? Pourquoi les malheurs qui frappent le monde arabo-musulman ne sont-ils que les conséquences du colonialisme et du néo-impérialisme ? Pourquoi d'autres nations qui ont été humiliées par l'Occident (le Japon et la Turquie, héritière de l'Empire ottoman), occupées (la Corée du Sud), colonisées (la Malaisie, l'Inde), mises sous tutelle (l'ensemble de l'Europe de l'Est), soumises à l'apartheid (Afrique du Sud), pourquoi ces pays se sont-ils développés ou sont en voie de l'être et entretiennent-ils avec l'Occident des relations apaisées ? Pourquoi dans le monde arabo-musulman la dissidence est-elle interdite ? Pourquoi les grands réformateurs musulmans sont-ils privés de voix ? Pourquoi sont-ils considérés comme apostats (Nasr Hamed Abou Zayd), défroqués (cheikh Hasan Yusofi Eshkevâri), emprisonnés (Mohsen Kadivar), interdits de publication (Ali Abderraziq), exilés (Fazlur Rahman), voire assassinés (Faraj Foda, Mohammad Mahmoud Taha) ? C'est ce débat qu'il faut ouvrir, il est bien plus important pour rétablir la vérité sur l'islam que l'édification de minarets en Suisse.
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