jeudi 10 décembre 2009

Nouvelles de Fahad Khamas

«La Suisse est aussi mon pays!»

ASILE Héros du film «La Forteresse», l'Irakien Fahad Khammas a été
expulsé ce printemps en Suède, d'où il risque d'être refoulé en Irak.
Interview.

LE COURRIER LA LIBERTÉ • MERCREDI 9 DÉCEMBRE 2009
PROPOS RECUEILLIS PAR SID AHMED HAMMOUCHE

Fahad Khammas est le héros malgré lui de «La Forteresse», un
documentaire tourné dans le centre d'accueil pour requérants d'asile de
Vallorbe. Cet Irakien y a transité quelque temps avant d'être expulsé en
Suède, pays compétent pour traiter son dossier en vertu de l'accord de
Dublin. Et c'est en partie l'histoire de ce jeune homme que raconte le
réalisateur Fernand Melgar. Un film à revoir ce soir à 20h15 sur TSR1.
Un documentaire percutant suivi d'un débat «Infrarouge».

Qui est Fahad Khammas? Un ancien traducteur de l'armée américaine, qui a
dû fuir l'Irak pour éviter les représailles des milices sur place. La
mort l'attendait au coin de la rue, explique-t-il. Justement parce qu'il
a aidé les forces alliées. Mais cela n'a pas suffi pour lui donner son
billet d'entrée en Suisse. Deux fois, in extremis et grâce à la
mobilisation provoquée par le réalisateur de «La Forteresse», il avait
échappé à un départ forcé. Devenu une icône du combat contre la
politique d'asile helvétique, l'Irakien a été expulsé finalement le
jeudi 2 avril vers la Suède. Interview d'un homme désespéré.

Comment allez-vous?
Fahad Khammas: Aujourd'hui, je me sens bien, mieux qu'à mes débuts ici
en Suède en avril dernier, après mon renvoi forcé de Suisse. Je me
balade librement à Stockholm, je ne suis plus en prison. J'attends, la
peur au ventre, la décision sur mon statut de réfugié qui sera examinée
prochainement par la justice.

Pourquoi cette peur?
En huit mois, j'ai reçu des refus en série. J'ai déposé des recours.
Pour mon avocat, mon cas est désespérant. J'ai très peu de chance
d'avoir le statut de réfugié en Suède. D'ici à janvier, je serai fixé
sur mon sort. Je ne suis pas très optimiste.

On vous sent moralement abattu...
Personne ne veut me donner ma chance, ni les autorités suédoises ni
celles de Suisse. Ayant travaillé comme traducteur pour l'armée
américaine, si je retourne en Irak, on m'exécute. Je ne raconte pas des
bobards, c'est une menace réelle. Le pire est à venir: la Suède, qui a
tout fait pour me récupérer, va certainement me refuser l'asile. Or
Berne ne me l'a pas accordé, au prétexte que la Suède le garantissait.
Plus grave, l'Office des migrations (ODM) a refusé dans un premier temps
de transmettre mon dossier aux Suédois. Et par ailleurs, les
Gouvernements suédois et irakien ont signé une convention sur le retour
des requérants irakiens. Stockholm en refoule aujourd'hui des masses à
l'abri des regards.

Envisagez-vous de retenter votre chance en Suisse?
Je ne le pense pas. L'ODM m'interdit désormais l'entrée du territoire.
Mais j'ai des amis suisses qui me soutiennent et me visitent. En Suisse,
j'ai vécu des moments de solidarité qui me marqueront à vie. Et des
moments douloureux comme l'emprisonnement, le fait d'avoir été traité
par les autorités suisses comme le pire criminel.

Vraiment?
J'ai été emprisonné dans des conditions difficiles. Mais ce qui m'a le
plus choqué, c'est d'avoir été embarqué de force dans un avion pour la
Suède. J'ai été chassé quand je cherchais un endroit sûr pour me
protéger. Depuis, j'ai perdu espoir. J'espérais rester en Suisse quand
la Suède avait refusé une première demande d'asile. Mon affaire avait
pris une dimension importante en Suisse, avec comité de soutien et
grande médiatisation. J'avais pensé à tort qu'on me permettrait de vivre
normalement. Une chose est sûre: je ne veux pas retourner aujourd'hui en
Irak. Des miliciens islamistes armés, ceux qui m'ont enlevé, ont juré de
me tuer. Ma famille aussi est menacée.

Comment vivez-vous en Suède?
Heureusement, je vis dans un petit studio à Stockholm, pas dans un camp
de réfugiés du nord du pays. Je ne supporte plus les centres de
rétention aux conditions très dures. Et ma hantise est de retourner en
prison. Je ne suis pas un criminel. Or depuis trois ans, depuis ma fuite
de l'Irak, je n'ai connu que des camps de réfugiés dignes de
pénitenciers et des prisons.

Les accords de Dublin sur l'asile ont-ils aggravé votre cas?
Ma première demande d'asile en Suède date de trois ans. Selon la
convention de Dublin, que la Suisse a signée, c'est Stockholm qui doit
accepter ma demande ou me renvoyer. En Irak, il n'y a plus de lois ni de
respect des citoyens. Je ne suis pas furieux de me voir appliquer la loi
de Dublin, mais dépité qu'on n'arrive pas à me trouver un statut.
Aujourd'hui, on nous propose 2500 dollars pour rentrer au pays: un
rendez-vous assuré avec la mort.

Pourquoi cette peur obsessionnelle de rentrer en Irak?
J'ai collaboré avec les Américains, je portais une cagoule durant mon
travail de traducteur. J'ai été menacé par des milices armées de tous
bords. Des médias irakiens ont parlé de mon cas après la sortie du film
«La Forteresse». La télévision irakienne a parlé de ma situation. Je
suis une cible toute désignée. Si la Suède m'expulse vers mon pays, je
suis mort. I

«Enfermer dans des centres de tri sans écouter les SOS»

Que vous a rapporté le film «La Forteresse» de Fernand Melgar?
Ce film a montré mon histoire et celles douloureuses de personnes venues
chercher la quiétude en Suisse. Ce documentaire m'a apporté beaucoup
d'amis auxquels je reste attaché aujourd'hui. Film ou pas, mon affaire
est toujours en traitement et je suis dans le même désespoir que je
racontais à la caméra au centre de Vallorbe. «La Forteresse» n'a rien
changé. Berne a voulu que mon visage s'efface de la Suisse mais le
problème de l'accueil des requérants demeure. C'est celui d'une
politique qui enferme dans des centres de tri sans écouter les SOS de
personnes qui ont fui la guerre et les persécutions.

Un cauchemar égal à votre situation à Bagdad?
On a l'impression que les responsables occidentaux ne nous croient pas
quand on raconte que la vie est un enfer en Irak, que la guerre civile
fait rage. Il y a des otages, des enlèvements, des liquidations
sommaires, un conflit confessionnel, pas de travail. Bref, c'est la loi
de la jungle. Ici, on vient pour survivre, sauver sa peau.

Le film a fait de vous une icône du combat contre la politique d'asile...
Je ne me vois pas comme une icône ni une vedette du film de Fernand
Melgar. Je suis juste une personne qui témoigne de sa situation. Ce
documentaire a le mérite de montrer les véritables conditions des
centres pour requérants.

Avez-vous vu plusieurs fois le documentaire?
Je l'ai vu une fois. Je ne supporterais pas de le revoir.

Que diriez-vous à MmeWidmer-Schlumpf?
Merci! (long soupir)

Uniquement?
Oui, seulement merci. Je veux dire toute ma reconnaissance à ceux qui me
soutiennent depuis la Suisse. Grâce à leur aide, je vis dignement.
J'aime la Suisse, c'est aussi mon pays en quelque sorte, mais elle ne
voulait pas de moi. Ce que j'accepte. SHE

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Triste,inhumain,on aurait du l''accepter chez nous.
Un cas qui me préoccupe aussi, le cas d'une famille bien intégré,a travaillé et suivi plusieurs formations dans notre pays. Expulsé par force pourtant la femme est enceinte de 34 semaine et a été brutalisé et trainer par la police bernoise ce qui a provoqué des saignements vaginaux et la mise en danger de cette famille.Je trouve dans notre pays nous appliquons le choix et non la loi.