MARTINE CLERC | 30.11.2009 | 00:03
Sonnés. Abasourdis. Un silence de plomb règne sous la coupole de la mosquée du Petit-Saconnex, en ce dernier jour de l’Aïd-el-Kébir. Le jour de fête s’est transformé en deuil à la minute où les résultats sont tombés. Il est 15 h, et quelques fidèles s’attardent encore, incrédules. Ici et là, à voix basse, on débriefe les résultats qui ont laissé tout le monde K.-O. «C’est la méconnaissance de notre religion qui a abouti à ça, regrette Houda Laouini, pratiquante de 20 ans. Ce qui me choque, ce n’est pas d’avoir un minaret ou non. J’ai plutôt peur que ce résultat ne soit que le début d’une série de votations qui nous stigmatisent.»
Avec ses amies, toutes voilées, elle critique les amalgames érigés en arguments béton par les partisans de l’initiative. «Depuis le 11 septembre 2001, on associe l’islam à la peur, aux attentats, aux femmes enfermées sous leurs burqas, ce n’est pas étonnant d’en arriver là», déplore son amie Laura Nelson, Genevoise convertie à l’islam. Pas de colère, mais un constat: la peur, exploitée par l’UDC, l’a emporté sur la raison.
Derrière les jeunes pratiquantes, l’imam de la mosquée enchaîne les va-et-vient, pendu à son portable. Malgré «l’énorme déception» qui l’accable, Youssef Ibram doit jongler entre les sollicitations des fidèles et les demandes d’interviews de journalistes du monde entier. «Samedi encore, je rassurais les musulmans venus fêter l’Aïd. Nous étions persuadés que le peuple rejetterait l’initiative.» Le choc est énorme. Les actes de vandalisme subis ces dernières semaines par le lieu de culte n’en étaient que le prélude, soupire Youssef Ibram.
Une issue: le dialogue
Le religieux tente l’analyse. Pour lui aussi, des craintes irrationnelles face aux musulmans que l’on connaît mal ont provoqué «la catastrophe». Il critique une partie de la communauté musulmane qui s’est ghettoïsée, mais aussi les autorités fédérales qui auraient dû déclarer cette initiative anticonstitutionnelle. «J’ai peur que certains jeunes que l’on voit beaucoup ici considèrent ce vote comme une marque de rejet face à leurs efforts d’intégration», souffle-t-il. Pour l’imam, un seul remède à appliquer de toute urgence et sur la durée: le dialogue. «Il est temps que les musulmans s’affichent à l’extérieur, s’engagent socialement, politiquement, culturellement pour tordre le cou aux idées reçues qui collent à notre religion. Si l’on est restés discrets si longtemps, c’est parce que l’on craignait d’être taxés de prosélytes. On s’est peut-être trompés.»
Piètre consolation pour les musulmans de Genève, seule ville romande à abriter un minaret: le «non» de leur canton est le plus fort de Suisse avec 59,7% d’avis négatifs. «C’est l’esprit de Genève, l’esprit de tolérance», salue tout de même Hani Ramadan, directeur du Centre islamique, dans le
quartier des Eaux-vives.
«La victoire de la haine»
Hier matin encore, la confiance régnait dans les locaux du centre, et les fidèles partageaient prêche et couscous en estimant que l’UDC «crée un problème là où il n’y en a pas». A l’instar de Moustapha Gouem: «Les partisans du texte nous font croire que ce qui se passe en Afghanistan ou en Irak est constitutif de l’islam et peut se reproduire en Suisse. Cela n’arrivera jamais, car on est face à des actes relevant de la tradition de ces pays, et non de la religion», explique ce juriste burkinabé établi depuis vingt ans à Genève.
Avec le succès de l’initiative, c’est l’image de la Suisse qui souffre. «Une Suisse terre d’accueil et garante des libertés religieuses», répètent à l’unisson les fidèles rencontrés hier. Déboussolé, consterné, Hafid Ouardiri, ancien porte-parole de la mosquée de Genève et directeur de la fondation de l’Entre-Connaissance, tombe de haut. «C’est la victoire de la haine, et on peut se demander si les partis, si les autorités politiques qui ont dénoncé l’initiative peuvent encore faire rempart contre l’extrémisme.
«Les musulmans de Suisse ne doivent pas se faire invisibles»
Professeur à l’Antony’s College à Oxford, l’intellectuel musulman genevois Tariq Ramadan réagit au vote sur les minarets.
Les Suisses ont dit oui à l’interdiction des minarets. Surpris?
Choqué. Ce oui à 57% dénote une vraie méfiance envers l’islam. L’UDC est parvenue à faire passer le minaret pour le symbole d’une religion étrangère à la culture suisse et liée à l’immigration, symbole aussi d’une religion qui serait incompatible avec les valeurs de la démocratie.
Le résultat aurait-il été différent aux Pays-Bas, en France ou en Allemagne?
Contrairement à ce que j’espérais, il n’y a pas de spécificité suisse en matière de peur de l’islam. Dans chaque pays, un élément de visibilité – le foulard, les minarets – déclenche l’expression d’un sentiment populaire de peur. Cette peur doit certes être respectée. Je crains toutefois qu’elle ne vire à la xénophobie et au racisme.
Ce oui à l’interdiction des minarets n’est-il pas une mise en demeure des musulmans?
Beaucoup d’entre eux m’ont dit qu’entrer dans le débat revenait à se mettre sur la défensive. Et, en tant que musulmans, ils ne se sentaient pas pleinement considérés comme Suisses. Je pense au contraire que les Suisses musulmans doivent désormais prendre la parole dans le débat public, et pas seulement sur les sujets qui concernent leur foi. A eux de montrer qu’ils sont des citoyens liés à la destinée de ce pays. Leur responsabilité est énorme, ils doivent l’entendre.
Les musulmans de Suisse ne doivent-ils pas supprimer les signes distinctifs?
L’UDC aimerait effectivement qu’ils fassent profil bas. Mais les musulmans ne doivent pas se faire invisibles; ils doivent au contraire chercher une visibilité éducative et constructive, parler, expliquer. D’ailleurs, si l’invisibilité était la solution, l’initiative n’aurait pas rallié 57% des voix, car je rappelle qu’il n’y a que quatre minarets en Suisse! Quant à la communauté musulmane, elle est composée dans sa grande majorité d’Albanais et de Turcs, qui ne se distinguent pas. C’est signe que c’est bien la présence musulmane en Suisse qui pose problème.
Une syndique fribourgeoise veut interdire de voile deux écolières de 8 et 11 ans. Après le vote d’hier, devraient-elles l’enlever d’elles-mêmes?
Aux parents, je rappellerai que les préceptes de l’islam commandent le port du voile à l’âge de la puberté tout en laissant le choix aux enfants. Pour le reste, à l’école, c’est le dialogue qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui en Suisse. Le vote sur les minarets ne doit pas réduire les droits accordés aux musulmans, et surtout pas leur liberté de conscience.
Serge Gumy
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