lundi 30 novembre 2009

Le refus des minarets trahit la peur de l'Islam


VOTATIONS | A la surprise générale, les Suisses ont suivi l’UDC et voté à 57,47% l’interdiction des minarets. Genève fait exception en rejetant l’initiative à près de 60%. David Hiler se dit fier de cette «genevoiserie». Prise à contre-pied, la Suisse politique adopte un langage de fermeté face à l’islam radical.

Le Suisse Roger Federer, le 7 novembre 2009 au tournoi de Bâle.
© keystone | A Zurich, des manifestants ont marqué leur désaccord avec l’acceptation de l’initiative anti-minarets.

XAVIER ALONSO/BERNE | 30.11.2009 | 00:03

Le choc. Et tant de questions sans réponses. Hier, à la surprise des initiants eux-mêmes, les Suisses ont dit oui à 57,47% à l’interdiction des minarets. Seuls quatre cantons ont dit non, dont Genève, à 59,67% (record suisse). Une seule certitude après cette gifle aux élites politiques et médiatiques: aux yeux des citoyens, l’islam pose problème. Mais comment la Suisse doit-elle s’y attaquer?

Par l’intégration, dit avec force Ada Marra. La conseillère nationale socialiste appelle l’UDC à prendre ses responsabilités. «Elle a fait le débat, mais elle ne propose rien. Le PS a proposé les cours de langue, les CV anonymes – parce que l’intégration passe par le travail –, la formation des imams, c’est d’ailleurs le radical Hugues Hiltpold qui l’a demandée… Le problème, c’est que le parlement nous a toujours tout refusé.» La socialiste souligne que les règles existent déjà: «On ne l’a peut-être pas assez dit, mais le Tribunal fédéral a tranché: les filles musulmanes doivent aller à la piscine.»

La droite durcit le ton

L’intégration est dans toutes les bouches. Mais hier, le discours des politiques s’est radicalisé en l’espace de quelques heures. Pendant la campagne, c’est l’image d’un islam souriant qui avait été mis en exergue par tous. Aujourd’hui, à l’aune de la peur exprimée, c’est un autre islam qui est analysé. «Le message du Conseil fédéral doit être clair. La charia n’a pas sa place en Suisse, affirme le président du PDC, Christophe Darbellay. Toutes les formes de discrimination envers les femmes doivent être bannies. Il ne doit y avoir aucune exception à la scolarité obligatoire, aux cours de religion et de sport – inclus la natation pour les filles.»

Les libéraux-radicaux, par la voix du Genevois Hugues Hiltpold, tiennent, à quelques nuances près, un discours taillé dans la même étoffe de la tolérance zéro envers les fondamentalismes. «Nous avons pris la mesure de la peur de la population, formule-t-il. Mais la transparence religieuse doit être faite vis-à-vis de tous les mouvements religieux. Le seul grand accident religieux connu en Suisse fut le fait de l’Ordre du temple solaire. Et cela n’a rien à voir avec l’islam.»

D’autres valeurs

Vainqueur du jour, l’UDC Yvan Perrin relativise. «Les gens n’ont pas dit non à l’islam, mais oui à d’autres valeurs. Mais les accommodements raisonnables, c’est fini.» C’est donc autant les craintes des extrémistes que les petits faits de société – comme le port du voile – qui doivent être contrôlés.

Gare à la suspicion

Contre toute attente, l’islamologue Stéphane Lathion ne dit pas autre chose. Il attend des musulmans de Suisse une réaction positive: «Il ne faut surtout pas qu’ils soient dans le rejet et la victimisation. Nous ne pouvons nous permettre d’être dans la méfiance réciproque et les peurs parallèles.»

Pour Hafid Ouardiri, le coup est tout de même rude. «Comme si 42 ans de vie en Suisse étaient remis en cause. Ma Suisse a perdu…» glisse le Genevois, qui attend que les autorités se remettent en question comme le font les musulmans.

«Nous sommes tristes. Mais nous allons survivre et démontrer que nous respectons les valeurs de la Suisse. Il est hors de question que nous vivions avec le poids de la suspicion permanente.»


«Excès de confiance des élus!»

Pourquoi personne n’a-t-il rien vu venir? La question était hier dans tous les esprits. Lancinante. Le président du Groupe de recherche sur l’islam, Stéphane Lathion, pointe clairement le problème. «Dès le départ, il y a eu une négation de la peur de la population, à laquelle s’est même ajoutée une forme de mépris. Celui qui exprimait sa peur risquait d’être taxé de raciste, sinon de stupide!»

Ce discours, Stéphane Lathion l’aurait tenu aussi en cas de refus de l’initiative. Le choc du résultat ne fait qu’accentuer son sentiment que le débat n’a pas révélé le sentiment qui affleurait dans les discussions des élus sur le terrain. «C’est émotionnel», revient comme un leitmotiv dans la bouche des élus, dont le radical genevois Hugues Hiltpold. «Les tripes ont parlé! Il y a une peur diffuse de tous les fondamentalismes», avance le PDC Christophe Darbellay.

Constat d’impuissance

Le Vert genevois Antonio Hodgers, lui, se dit «désemparé. Comme élu, je ne sais pas comment m’adresser à ces gens qui ont peur.» «Excès de confiance des élus!» disent en chœur Hasni Abidi et Hafid Ouardiri. Tous deux soulignent la solidarité exprimée avec les musulmans pendant la campagne, mais constatent le décalage. «Face à un discours de propagande de l’UDC, les autres partis n’ont pas compris qu’il fallait parler fort et clair», analyse Hasni Abidi.

Xavier Alonso, Berne


«Une Genferei dont je suis fier»

Le président du Conseil d’Etat genevois pense que la Genève internationale pourrait souffrir à long terme.

David Hiler, président de l’Exécutif cantonal genevois, s’est dit «déçu et inquiet», hier, en apprenant que les Suisses avaient accepté d’interdire la construction de minarets. Seule satisfaction pour le ministre: Genève a rejeté cette initiative à 59,7%, «une Genferei dont, pour une fois, nous pouvons être fiers». «Ce vote, a-t-il dit, aura des conséquences économiques pour la Suisse. Et il faudra une grande force de persuasion au Conseil fédéral pour en réduire les effets nuisibles.» Et pour Genève? «Nous allons être renseignés dès l’été prochain», a répondu le Vert en faisant allusion aux touristes du Golfe qui ont pris l’habitude de résider à Genève durant les mois de juillet et d’août. «A long terme, c’est la Genève internationale qui pourrait souffrir, et il faudra plusieurs années pour faire oublier ce vote. Le Conseil d’Etat va s’empresser de parler aux pays concernés et dépenser beaucoup d’énergie pour rappeler aux différents partenaires que Genève a confirmé qu’elle restait une ville d’accueil.»

David Haeberli


Et maintenant, il va falloir expliquer ça à l’étranger

«L e monde d’aujourd’hui est à l’ouverture vers les autres cultures, les autres religions. En interdisant les minarets, les Suisses vont sans doute au-devant de problèmes plus grands que la Suisse.» Le constat est glaçant. Et il ne vient ni d’un Suisse ni d’un musulman, mais de Bernard Sabella, député chrétien au parlement de l’Autorité palestinienne à Ramallah. Un commentaire qui reflète les réactions de surprise et de déception émanant tant de l’étranger que de la Suisse. Car pour les milieux politiques, économiques et touristiques, une chose est sûre: l’interdiction des minarets aura des répercussions négatives sur la réputation du pays, voire sur ses affaires commerciales.

Si aucune condamnation officielle n’est tombée hier soir, plusieurs sites Internet appelaient déjà les musulmans à retirer leurs sous des banques suisses et à boycotter nos produits. D’ailleurs, l’Union patronale suisse avertit: «Des relations représentant d’importants marchés d’exportation sont dorénavant menacées, analyse Thomas Daum, son directeur. D’éventuelles mesures de boycott risquent de faire perdre des emplois à la Suisse.» «Souvenez-vous que, à l’époque, une seule caricature de Mahomet avait créé des dommages de plus de 1 milliard de francs au Danemark», rappelle aussi Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse.

Un boycott similaire serait un coup dur pour la Suisse, dont les exportations vers les pays musulmans se chiffrent en milliards. En 2007, ils se montaient à 2,5 milliards de francs vers la Turquie, 1,9 milliard vers les Emirats arabes unis, 1,5 milliard vers l’Arabie saoudite. Si bien que, au total, les pays musulmans représentent 5% des relations commerciales extérieures de la Suisse.

Espérer le meilleur et s’attendre au pire, telle est désormais la devise des patrons. «Il y a des risques que cette initiative provoque des réactions fortes, commente Bernard Rueger, président de la Chambre vaudoise de commerce et d’industrie (CVCI) et directeur de Rueger SA, entreprise qui fabrique des instruments de mesure. En déplacement dans sa succursale à Kuala Lumpur, en Malaise, où 70% de la population est musulmane, l’homme est abasourdi. «Je vais m’excuser pour la Suisse.»

«Jusqu’à présent, notre pays donnait une image respectueuse des religions. Maintenant, il va falloir expliquer ce vote à mes interlocuteurs, regrette Christophe Clivaz, directeur de Swisslearning, qui s’occupe de promouvoir l’éducation suisse à l’étranger. Je me rends en Arabie saoudite en janvier. J’y organiserai une réunion pour cultiver notre réseau et préciser que la Suisse est toujours la même.»

Même démarche du côté de Suisse Tourisme, qui va contacter ses tour-opérateurs dans les pays du Golfe, une région représentant 2% du tourisme helvétique. «Ce marché est en pleine croissance, peut-être devrons-nous établir une stratégie de communication particulière, s’interroge Véronique Kanel, porte-parole de l’organisation. Mais nous ne pourrons mesurer l’impact du vote sur le tourisme qu’en été 2010. D’ici là, j’espère que le Conseil fédéral aura réussi à expliquer à l’étranger que l’interdiction des minarets ne change rien à la pratique de l’islam en Suisse.»

En tout cas, il s’y attelle. Hier, il a, pour la première fois de l’histoire, préparé un communiqué en arabe. Micheline Calmy-Rey, cheffe des Affaires étrangères, s’est aussi lancée dans une campagne de communication dédiée aux médias étrangers. Sur TV5 et Al Jazeera elle a répété que «ce n’est pas un vote contre la communauté musulmane».

Nadine Haltiner


Eveline Widmer-Schlumpf: «Il y aura des répercussions économiques»

Pourquoi n’avez-vous rien vu venir?
Quand on parlait avec des gens dans la rue, on sentait très bien qu’une peur existait. Ce vote exprime ces craintes au sujet des courants islamistes extrémistes. Ensuite, nous n’avons pas su faire comprendre que nous ne pourrions combattre ce sentiment avec une initiative contre les minarets. Nous avons, en Suisse, les moyens légaux de combattre les mutilations génitales, les mariages arrangés, le port de la burqa, etc. Nous pouvons résoudre ces problèmes quand ils se présentent. Mais pas avec cette initiative.

Craignez-vous des représailles? La Suisse doit-elle avoir peur pour sa sécurité?
Je ne l’exclus pas, mais nous n’avons aujourd’hui aucun élément concret qui nous permette de tirer de telles conclusions. Ces dernières semaines, nous avons débattu de manière très forte, et parfois même agressive. Malgré tout, il n’y a pas eu de surenchère. Les musulmans qui vivent en Suisse aiment et respectent notre Etat de droit. Mais il est vrai qu’il peut y avoir l’un ou l’autre extrémiste incontrôlable. Il ne s’est rien passé. Et nous avons les moyens d’intervenir.

Et l’économie suisse, doit-elle s’attendre à être pénalisée?
Je doute que ce vote reste sans conséquences pour l’exportation et le tourisme. On peut difficilement avancer des chiffres. Mais nos relations économiques avec certains Etats musulmans sont importantes. Il faudra voir leur réaction! On sait aussi que les touristes de la péninsule arabique sont nombreux à venir en Suisse. Une baisse de fréquentation est à craindre. Ce vote aura des conséquences, nous devons l’accepter.

Vous adressez un message de bonne volonté aux musulmans de Suisse. Mais ne faudra-t-il pas agir concrètement, notamment en formant les imams?
Je suis persuadée que nous devons beaucoup plus fortement intégrer et former les imams en Suisse. Les prédicateurs qui enseignent en Suisse doivent connaître notre droit, nos valeurs, notre société. Cette formation doit être dispensée dans nos universités ou dans des hautes écoles, afin qu’ils maîtrisent notre droit public et pénal et connaissent nos institutions. Les imams doivent construire des ponts entre la religion et notre société. Comme l’ont fait nos églises chrétiennes.

Xavier Alonso, Berne


Le vote suisse étonne le monde

Le scrutin a été largement suivi par la presse internationale

Le vote des Suisses interpelleles médias internationaux.

Dès l’annonce du résultat, il a fait la une des sites en ligne de nombreux journaux.

Le minaret bleu de la mosquée de Wangen, près d’Olten, a gagné hier une notoriété mondiale. En une de très nombreux sites Internet de médias étrangers, il symbolisait, avec l’affiche UDC, le vote des Suisses contre la construction de minarets, dès le début de l’après-midi.

Comme en Suisse, le résultat du scrutin a créé la surprise. Aussi bien chez les correspondants de la chaîne de TV arabe Al-Jazira que chez les journalistes invités au Kiosque de TV5. Ou dans les médias allemands, qui cherchaient hier à en comprendre les raisons. Le vote des Suisses est largement interprété comme une crainte face à l’islam et comme une poussée du nationalisme incarné par l’UDC, souvent décrite comme «parti populiste et xénophobe».

France-Info avance aussi l’exaspération face à la crise des otages avec la Libye. La BBC dit son étonnement: la communauté musulmane de Suisse ne compte que 400 000 membres, issus en majorité de l’immigration turque et bosniaque; elle est en outre considérée comme modérée. «Si un même scrutin était organisé en France, on pourrait bien avoir plus de 57% de oui», avance Zyad Limam, directeur d’Afrique magazine sur TV5.
Les répercussions de ce vote sur la place financière, commerciale ou touristique divisent les commentateurs: les fortunes du Golfe ne devraient pas s’embarrasser de telles considérations, avancent les plus cyniques.

Dans les pays musulmans, trop occupés hier par les célébrations de l’Aïd-el-Kébir (fête du sacrifice), la presse a encore peu relayé l’information. Pour le correspondant en Suisse d’Al Jazeera, ce vote traduit le manque de confiance du peuple suisse à l’égard des musulmans et un manque d’information sur l’islam. La Suisse a maintenant une chance d’engager un dialogue sérieux et profond sur les questions de l’islam, estime-t-il.

Les commentaires les plus chauds se trouvent en fait sur les forums Internet à l’étranger. «Bravo les Suisses! A quand un tel vote chez nous?» lancent de nombreux internautes.

Isabelle Biolley

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