lundi 30 novembre 2009

«Comme un couteau dans le dos»

«Comme un couteau dans le dos»

Paru le Lundi 30 Novembre 2009
RACHAD ARMANIOS

Suisse«Je suis très affecté. La Suisse nous a accueillis durant la guerre de Bosnie, nous y sommes arrivés comme dans un paradis. Aujourd'hui, c'est comme si on perdait la confiance d'un ami cher qui nous plante un couteau dans le dos.» Ibrahim Husanovic, imam attaché à la communauté bosniaque de Genève, est attablé autour de baklavas dans le bureau de l'Association culturelle des Bosniaques, à Châtelaine. Jusque-là, il voulait encore croire à un retournement du scrutin. Mais un compatriote lui annonce que le refus des minarets vient de se transformer en raz-de-marée. L'imam l'encaisse avec d'autant plus de tristesse qu'il distribuait une heure avant des cadeaux aux enfants pour célébrer la fête du sacrifice, un peu le Noël musulman, qui a démarré vendredi. Ce grand blond aux yeux bleus, avant d'offrir bonbons et chocolats, avait officié dans l'arrière-salle du centre culturel dans la banlieue genevoise, rappelant à quelque 50 fidèles – adultes, enfants, hommes et femmes – «leur premier devoir qui est de faire le bien, servir les autres et la société».


«Une religion de paix»

La réunion achevée, les familles s'en vont. Certains rejoignent leurs amis moins pratiquants ou pas du tout, qui suivent le scrutin à la télévision. «L'initiative passerait», annonce la présentatrice, qui détaille les premiers résultats. Dans la cafétéria, où l'on sert kebabs ou cafés turcs, Haris Prolic, un cinéaste, dit accepter la volonté du peuple à qui il ne fait pas de reproches: «Mais j'en veux aux politiciens démagogues qui racontent n'importe quoi. Surtout celui à la queue de cheval... Freysinger.»
«Je me sens blessé!», réagit Esad Salih, président de l'association. A ses côtés, ses trois filles pétillent en savourant leurs friandises. «Elles savent mieux le français que le bosniaque. Nous sommes intégrés. Il faudra maintenant que, par notre exemple, nous démontrions que l'islam est une religion de paix, que les musulmans ne sont pas des monstres.»


«Plein de copains suisses»

La douche froide du jour incitera-t-elle les musulmans à l'introspection? A se demander si la crainte d'une islamisation qui s'est exprimée trouve des fondements. «Après le 11 septembre 2001, on a mis tous les musulmans dans le même panier. Par exemple, lorsque émerge une demande isolée pour des cours de piscine non mixtes, on attribue ça à l'islam dans son ensemble», déplore Grabus Halim, porte-parole de l'association, laquelle, insiste-t-il, est attachée à un islam ouvert et capable, au nom de la raison, de remettre les dogmes en question. «Dieu nous invite à chercher partout la vérité», ajoute l'imam.
Dans leur bureau, les responsables tentent de se rassurer: «Concrètement, le vote ne changera rien», selon Esad Salih. Même si le signal contre l'islam est sans équivoque? «On a connu la guerre, la chose la plus terrible qui soit, alors on sait relativiser, la vie continue», confie-t-il, assis sous une carte de l'actuelle Bosnie, qui côtoie une photo de l'ancien président Alija Izetbegoviç et une autre d'une équipe de foot. «Vous savez, j'ai plein de copains suisses dans mon club.»
En votant non à près de 60%, Genève apporte un réconfort à ces Bosniaques. Le président du Conseil d'Etat David Hiler s'est félicité devant la presse de la tradition d'ouverture des Genevois qui s'est confirmée, mais il s'est dit inquiet au sujet des conséquences du vote pour l'économie du canton.
«Genève ouvre son coeur et sa porte aux musulmans», se réjouit également l'imam Husanovic. «Mais j'espérais un score proche de celui contre la fumée passive (80%, ndlr).» Ailleurs, le message donné par les Suisses est que les musulmans peuvent vivre «à côté» d'eux et non pas «avec», se désole-t-il. Un message contradictoire de la part des Suisses qui reprochent aux musulmans de ne pas être intégrés, commente Grabus Halim. Pour ces Bosniaques, le premier perdant est la Suisse, qui s'est mise un autogoal, car le futur sera sombre pour la démocratie et pour les droits humains et religieux.
«Quel sera l'après-minarets?», demande Grabus Halim. «Car ce débat s'inscrit dans celui de la place des étrangers en Suisse. Nous sommes aujourd'hui les boucs émissaires. Demain, à qui le tour?»

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