mercredi 11 novembre 2009

Monsieur Islam n’existe pas !




Compte rendu de la soirée « L’Islam en terre chrétienne » du 9 novembre à l’Estrée

Comme c’est désormais la coutume lors des événements organisés conjointement entre l’Eglise réformée et l’Estrée tout commence en musique. Ce lundi soir c’est Redouane Haribe un musicien lausannois originaire du Maroc qui interprète plusieurs morceaux arabo-andalous sur son Oud venu de Syrie.

Le pasteur Laurent Zumstein nous rappelle ensuite qu’il existe certaines musiques qui firent s’écrouler des murailles avant de lancer une soirée qui va s’avérer des plus chaleureuse et fraternelle. Dans la salle une cinquantaine de personnes dont un bon nombre de nouveaux venus issus de diverses communautés musulmanes.

Quels sont les vrais problèmes des musulmans en Suisse.

Ufuk Ikitepe, un citoyen Suisse qui habite Moudon depuis 30 ans exprime tout d’abord son incompréhension que soudainement une catégorie de la population soit ainsi stigmatisée. Ce n’est pas ainsi qu’il avait compris et qu’il aime son pays d’adoption. Il affirme que la question d’un minaret ne s’est jamais posée pour le centre Islamique de Moudon, les questions qui le préoccupe sont le manque d’Imams (un quota de 20 imans pour toute la Suisse) et de solution pour l’éducation religieuse des jeunes ainsi que les difficultés liées aux décès. Le rapatriement des corps en Turquie peut ainsi coûter jusqu’à 15.000 Frs . Ufuk termine en se félicitant des mesures d’intégration à Moudon grâce aux autorités et au groupe Suisse-Etranger, ainsi la journée portes-ouvertes des religions du livre vient de rencontrer un magnifique succès dont la presse s’est fait l’écho. Le pasteur Jan de Haas et Geneviève son épouse font aussi partie des maillons de cette chaîne d’échanges et de solidarité interreligieuse dans l’ancienne capitale du Pays de Vaud . Il nous transmet tout le plaisir à partager les rencontres mensuelles d’un groupe de femmes chrétiennes et musulmanes. Dans ce groupe on aborde toutes les questions de la vie quotidienne d’un croyant comme baptême, décès ou mariage. Jan relève la souffrance dans laquelle la campagne anti-minarets plonge les couples mixtes ; à son avis le gouvernement et le parlement ont gravement failli à leur devoir. Il leur incombait de déclarer irrecevable cette initiative discriminatoire qui si elle était acceptée serait incompatible avec le droit international. Il s’étonne aussi du fait que les partisans de l’initiative trouvent soudainement plein de valeurs chrétiennes à défendre , il estime que l’écrasante majorité des chrétiens qui sont véritablement engagés sont opposés à cette position intolérante.

Mosquées et minarets, vue par un architecte


En quelques minutes et deux transparents, l’architecte Bernard Gachet nous présente les principes essentiels d’une mosquée. C’est un espace public et multifonctionnel dans l’environnement urbain. Orientation générale vers la Mecque de la salle de prière qui est plus large que longue afin de montrer l’égalité entre les fidèles, les autres éléments essentiels sont le mur de la Qibla, la niche appellée Mihrâb, la chaire appellée Minbar et le bassin pour les ablutions …Le minaret n’en fait pas obligatoirement partie. Il sert à l’appel à la prière, qui se faisait initialement avec le Muezzin monté sur le toit. Bernard Gachet montre ensuite toutes les diverses formes que peut prendre un minaret, celle de l’affiche de l’UDC n’étant qu’une déclinaison parmi d’autre. En Suisse, il ya très peu de mosquée, plutôt des centres islamiques avec des salles de prières. Il termine en nous expliquant que selon lui deux des plus belles mosquées de l’Islam se trouvent en …Europe. Il s’agit de la mosquée de Cordoue et de la mosquée Selimiye à Edirne en Thrace.













Pas de problèmes d’intégration avec les musulmans de Suisse

Madame Gabriella Amarelle responsable du bureau pour l’intégration de la ville de Lausanne nous donne quelques chiffres. Les étrangers de Lausanne ne sont pas très étrangers (beaucoup sont en ville de longue date ou y sont nés). En Suisse, 60% des musulmans sont européens (Balkans) et habitués à vivre dans une société multiculturelle, 20% viennent de Turquie. Elle souligne qu’à Lausanne,la majorité de la Municipalité est d’origine étrangère ceci est peut être le résultat d’une politique d’intégration qui s’est mise en place depuis 1971. Lorsque les prédécesseurs de l’UDC expliquaient que l’intégration des Italiens et des Espagnols était impossible.

Selon elle, il n’y a pas de problèmes d’intégration liés à l’origine musulmane en Suisse. Cette campagne repose sur des peurs infondées qu’il faut cependant écouter et prendre en compte. En tant que féministe elle est particulièrement sensible au statut de la femme mais elle remarque que c’est précisément les milieux les plus rétrogrades en la matière qui s’offusque soudainement de la soumission de la femme chez les musulmans.

L’Islam Suisse est bel et bien Suisse

L’anthropologue lausannois d’origine marocaine, Ahmed Benani développe ensuite son exposé. Il remarque tout d’abord la particularité de cette initiative. A Paris, la grande mosquée dispose d’un minaret qui domine tout le quartier et personne ne s’en offusque. Aucun Espagnol n’imaginerait de détruire la mosquée de Cordoue ou la Giralda.

En Suisse existe une mosaïque culturelle qui fonctionne fort bien, pourquoi veut-on remettre en cause cet édifice ? Ceci s’explique par le passage à l’ouest de l’Islam qui a accompagné les travailleurs migrants venus des Balkans et de l’Anatolie . Ahmed qui a quitté son Maroc natal pour des raisons politiques se définit comme un libre-penseur musulman. Dans son cas « musulman » a une signification culturelle et non pas religieuse. Ceci est le cas pour une grande majorité des 400.000 musulmans vivants en Suisse ; la pratique de la religion n’est qu’une partie de leur identité suisse. Ahmed remercie l’UDC/UDF grâce à leur initiative cette population va pouvoir se reconnaître, s’organiser et mieux échanger avec le reste du pays. L’anthropologue ne pense pas qu’on doive aimer les religions, mais dans cette campagne, les arguments relèvent de la psychanalyse, on est en plein délire. Cependant Ahmed reste fier de la Suisse, il considère que les partisans de l’initiative ont été induits en erreur et pense que c’est précisément des rencontres comme celle de ce soir qui vont permettre de faire avancer notre pays.

Combien de temps dure de l’éternité

Le dernier intervenant de la soirée, le géographe Laurent Matthey, s’intéresse à la manière dont cette initiative trouve son origine en Suisse allemande. En fait c’est à la base une banale histoire de voisinage ( rien de religieux) comme dans beaucoup de mise à l’enquête qui a été utilisée par des politiciens pour l’intrumentaliser.

Il revient sur la question des cimetières pour les fidèles musulmans et nous narre une jolie histoire neuchâteloise. Dans ce canton, une consultation préalable entre les diverses communautés avait été organisée. Deux logiques semblaient s’affronter, celle qui prévaut en Suisse depuis le XIXeme : tous les cadavres, protestants, catholiques, riches, pauvres, prostituées, suicidés ou non baptisés sont alignés côte-à-côte dans les cimetières. Les musulmans eux doivent être ensevelis pour l’éternité (dans un drap blanc), orientés avec la tête en direction de la Mecque. A la suite d’intenses négociations, cette éternité a été mesurée comme le temps qu’il fallait pour que le corps soit entièrement décomposé. Ceci dépendant du taux d’acidité des sols qui est différent d’une région à l’autre du canton, c’est donc l’expertise d’un géologue spécialisé des sols qui a pu déterminer la durée de l’éternité.

Selon le géographe, c’est bien ce genre de dialogue et de négociations au sein de la société civile qu’ il faut privilégier et pas l’édiction de lois discriminantes.

Echanges avec le public

Les échanges avec le public sont ensuite très riches, avec des interventions de plusieurs membres de la communauté musulmane. Notamment des femmes qui expriment fort bien leurs sentiments, fierté d’être Suisse ou habitant en Suisse mais incompréhension d’être dépeintes de manière si caricaturale et haineuse. Une personne explique qu’elle va voter pour l’initiative car elle craint la généralisation des Burqas (elle en aurait vu une à Lausanne). Il lui est répondu que la Burqa n’est pas liée à l’Islam mais à la tradition afghane ou yéménite.

Laurent Matthey relève aussi ce genre de glissement sémantique entre minarets et Islam, voile et burqa.. Face à une question sur l’hypothèse que la violence serait intrinsèque à l’Islam, les intervenants rappellent que les empires ottomans à l’est ou Al-Andalous se sont plutôt caractérisés par des sociétés tolérantes. C’est bien lors de la reconquista que les juifs ont été chassés d’Espagne et que les massacres de l’Inquisition ont commencés. Cependant il est vrai que les perceptions de l’histoire contemporaine sont très différentes entre le monde musulmans et l’occident. Le terroriste de l’un est souvent le résistant de l’autre.

Jan de Haas souhaite que l’Etat se préoccupe de la formation d’imam AOC Suisse. David Gun l’un des segundos moudonnois présents ce soir voudrait qu’on reconnaisse aussi la richesse et la diversité que les musulmans amènent dans ce pays. Il est des nôtres et voudrait que l’Etat protège ses droits au lieu de le montrer du doigt.

Ce qui importe ce n’est pas de faire la liste des différences et de porter des jugements, mais plutôt de les mettre en dialogue et de les négocier. L’intégration ne doit pas rimer avec uniformisation mais permettre d’avancer vers une société plus équitable.

Une jeune maman musulmane raconte avec fierté comment son fils a expliqué l’histoire des arabes en Espagne lors d’un exposé d’histoire. Avant que Ahmed ne conclue en disant qu’il n’a peur ni de l’Islam ni de la démocratie. Il remercie les initiants de l’UDC/UDF d’avoir provoqué en réaction cette belle soirée qui aura démontré que par delà les clichés xénophobes « Monsieur Islam n’existe pas ».

Texte Daniel Schneider, Montpreveyres

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