En Suisse, peut-on revendiquer le chant du muezzin?
Paru le Mercredi 18 Novembre 2009ANALYSE - L'appel à la prière n'est pas une demande des musulmans. Mais pourrait-elle l'être dans le contexte de l'initiative anti-minarets?
En lançant samedi 7 novembre un faux appel à la prière aux abords de la mosquée du Petit-Saconnex, les Jeunes identitaires genevois, un groupuscule d'extrême droite, ont voulu secouer les consciences: refuser l'initiative anti-minarets reviendrait de facto à accepter que, dans quelques années, l'on accepte des appels à la prière, puisque les minarets auraient seulement cette fonction. Cette crainte est l'un des arguments brandis par le comité d'initiative. Des voix ont pourtant rappelé que, depuis trente ans, jamais la mosquée n'a eu cette revendication. Elle ne l'a toujours pas, ont rappelé ses responsables ces jours dans la presse. Le Conseil d'Etat avait déjà cherché à rassurer sur ce point il y a un mois, lors de sa conférence de presse contre l'initiative tenue avec les communes. A Genève, le minaret ne peut pas servir à l'appel à la prière, en application de l'article 1 de la loi interdisant le culte extérieur, avait insisté le président du gouvernement cantonal David Hiler.
Pour le surplus, le Conseil d'Etat se référait ensuite au message du Conseil fédéral. Il rappelle en substance que le chant du muezzin, dans l'hypothèse où il serait autorisé, serait soumis aux limitations contre les nuisances sonores au même titre que le tintement des cloches. Ce qui ne signifie pas un feu vert: «La doctrine admet que les us et coutumes locaux peuvent justifier une différence de traitement (...), dans la mesure où la population n'est généralement pas accoutumée au cri (sic) du muezzin et peu donc percevoir l'émission sonore qui en résulte comme plus perturbante que le tintement des cloches.»
Le monde bouge
Question réglée? Pas vraiment, car le terrain est glissant: cette approche respecte-t-elle l'équité de traitement? Si l'appel à la prière musulman est interdit, comment accepter que les cloches sonnent pour la messe? Et si une exception à l'équité peut être faite s'agissant du muezzin, pourquoi pas une exception pour les minarets?
David Hiler brandissait alors à nouveau la loi sur les cultes extérieurs et estimait aussi que prononcer le nom d'Allah ne pouvait être mis sur le même pied que le tintement de cloches. Questions suivante?
«La discussion a été balayée très vite», se souvient Sandrine Salerno, conseillère administrative de la Ville de Genève (PS). Elle ajoute, forte de ses convictions laïques: «A titre personnel, je ne vois pas de grande différence entre des cloches ou un muezzin. Le débat n'a pas lieu d'être puisqu'il n'y a pas de revendications. Mais le monde dans lequel on vit bouge. Si, demain, il devait y avoir des chants de muezzin en Suisse, je répondrais: et alors? Ensuite, c'est une question de perception. L'important en démocratie, c'est de pouvoir confronter les points de vue et questionner les usages.»
Pourtant, face à la force de frappe de l'initiative contre les minarets, qui se risquerait à réclamer qu'un muezzin y grimpe?
Hors de propos
«Avec cette initiative, on a un pistolet sur la tempe, tout ce qu'on dit risque de jeter de l'huile sur le feu», reconnaît Simon Weber, porte-parole de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse. Mais il ne pense pas que les associations musulmanes se censurent. Sans donner son avis, il rappelle que la société est majoritairement de culture chrétienne, ce qui légitime les carillons mais pas l'appel du muezzin. Mais lui aussi insiste: son éventuelle opportunité doit pouvoir être débattue librement.
Reste que «cette question est simplement hors de propos. En l'agitant, les initiants faussent le débat sur la réelle planification de minarets. Il n'y en a que quatre en Suisse. Parler des muezzins est encore moins d'actualité.»
L'autocensure, il la voit ailleurs: «Chez nous, les dispenses de natations sont d'abord accordées à des chrétiennes. L'homophobie est surtout le fait de nos intégristes évangéliques. Alors que le fondamentalisme chrétien a beaucoup d'avenir, pourquoi pose-t-on la question du droit des femmes ou du respect de l'Etat de droit seulement à l'islam? Surtout, interdire les minarets calmera-t-il les peurs?... Certainement pas.» I
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