vendredi 12 août 2005
L'étoile que la Suisse a laissé filer
Aujourd'hui calme plat médiatique sur le front de l'asile, le Temps par la plume de son chroniqueur sportif Fred Hirzel revient sur Zenebech Tola - Maryam Jamal. La requérante Ethipienne qui après s'être vu refuser tout statut en Suisse est devenue
Bahreïnie pour participer aux JO de Pékin.
Aujourd'hui, elle est la favorite de la course des 1500 mètres des championnats du monde d'Helsinki.
Elle est arrivée mardi soir dans les frimas d'Helsinki. Quelle fut sa priorité le lendemain? Humer l'atmosphère venteuse du Stade olympique? S'imprégner du contact de la piste? S'entraîner? Non, elle a fait une sieste! Preuve que Zenebech Tola, alias Maryam Yusuf Jamal, 20 ans, aborde avec zénitude les demi-finales du 1500 m, ce soir. Epreuve où elle figure parmi les grandes favorites pour une médaille planétaire, dimanche: l'athlète bahreïnie d'origine éthiopienne détient la deuxième performance mondiale de la saison (3'59''13), coincée entre les Russes Yuliya Chizhenko (3'58''68) et Olga Yegorova (3'59''47), soit les trois seules femmes à avoir vaincu la limite des 4 minutes en 2005.
On a affirmé que Maryam Jamal, aussi à l'aise sur 5000 m, prenait un risque en choisissant le 1500. Parce que, au contraire de sa sœur aînée, cette discipline devait comporter deux rounds de qualification avant la finale. «Douze tours et demi, c'est trop pour moi», a rétorqué la malicieuse Maryam, arpenteuse patentée de longues distances, comme le démontrent ses victoires sur sol helvétique: Escalade genevoise, Marathon de Lausanne, Morat-Fribourg, 20 km de Lausanne, Corrida bulloise, championnats nationaux de cross, de semi-marathon, etc.
Les forfaits de dernière heure lui auront donné raison, les éliminatoires du 1500 m étant réduites à deux courses parallèles où les cinq premières plus les deux meilleures viennent-ensuite se verront propulsées vers le sommet d'après-demain. Pour Maryam Jamal, sommet rime avec podium. Peut-être même avec la conquête de l'or. Et dire qu'elle aurait pu, qu'elle aurait dû courir sous les couleurs suisses...
Issue de l'ethnie des Oromos, tribu chrétienne persécutée par le gouvernement éthiopien, Zenebech Tola débarque dans notre pays en mars 2002, au bras de son compagnon Mnashu Taye. Dans sa chambrette du centre pour requérants de Ropraz (VD), la jeune femme se languit, rêve de courses, de gloire, et surtout d'asile politique en Suisse, Etat au service duquel elle a décidé de mettre ses immenses talents de sportive d'élite.
A Berne, l'Office fédéral des migrations rejettera sa demande à trois reprises, entre son arrivée et juin 2003. Ici, on refuse les Ethiopiens, mais on ne les réexpédie pas forcément chez eux, vu la situation politique qui y règne. Et pas l'ombre d'une voie de recours. La loi est dure, mais c'est la loi. Ainsi aurait parlé le légendaire juge Roy Bean qui, naguère à l'ouest du Pécos, administrait sa propre «justice de paix et bière glacée».
Dès lors, Zenebech vit dans la crainte d'une expulsion toujours possible. Elle ne bénéficie d'aucune licence lui permettant d'écumer tartan et asphalte hors d'Helvétie. Les autorités éthiopiennes lui dénient le droit de courir sous leur drapeau, au motif qu'elle est réfugiée à l'étranger. Pas de passeport, pas de Mondiaux 2005, encore moins de JO 2008 pour le petit prodige africain.
Heureusement, des hommes de bien vont l'aider. Jacques Morard, son mentor vaudois; Jean-François Pahud, son entraîneur local; Jacky Delapierre, patron d'Athletissima, son manager officieux. Ensemble, ils exposeront le cas Tola à plusieurs pays. La France se déclare intéressée, mais les choses traînent. Paris finit par lui délivrer un visa Schengen. Zenebech peut désormais circuler librement dans l'UE... et rentrer en Suisse comme touriste.
Reste le problème crucial de la nationalité. Bahreïn, l'un des émirats du golfe Persique désireux de se créer une image sportive, enlève le morceau avec un chèque mensuel de 2000 dollars – à vie – et deux conditions: adopter un patronyme arabe – y compris pour son compagnon, rebaptisé Tareq Hasen –, et participer aux Jeux asiatiques de 2006 à Doha (Qatar). Zenebech Tola accepte. Elle devient Maryam Yusuf Jamal. Quant à la Suisse, avec son rigorisme impénétrable, elle a laissé filer une étoile.
Aujourd'hui, l'histoire prend une tournure ubuesque. Depuis Helsinki, Jacky Delapierre nous révèle: «A partir de la semaine prochaine, Zenebech aura un contrat de travail, donc un permis d'établissement suisse de 120 jours par an, comme le prescrit la loi. D'ici à octobre, elle et Mnashu Taye seront installés à Lausanne.»
Ah, bon! Et qui est son nouvel employeur? «Athletissima, évidemment! Je lui confierai des relations publiques et commerciales. Si les nombreux camps d'entraînement et meetings ne suffisent pas à meubler le temps qu'elle doit passer au-delà des frontières suisses, elle ira habiter un ou deux mois à Aix-les-Bains.»
On ne peut que sourire. Jaune
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