Dix jours après l'expulsion vers Kaboul de trois Afghans entrés clandestinement sur le sol français, la polémique n'est toujours pas éteinte. Après avoir vivement condamné ce rapatriement forcé par avion, les associations ont trouvé un nouvel angle d'attaque en interpellant les pouvoirs publics sur le coût de ces expulsions. Jeudi, la Cimade a ainsi jeté un pavé dans la mare en publiant son rapport annuel 2008 dans lequel elle estime le coût global des expulsions en 2008 à 533 millions d'euros . Considérant que 18.300 clandestins ont été expulsés cette année-là, cela reviendrait à un peu moins de 30.000 euros par personne reconduite à la frontière. Un article de Cyriel Martin dans le Point.
Une somme contestée quelques heures plus tard par le ministère de l'Immigration. S'appuyant sur un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), les services d'Éric Besson avancent, eux, le montant de 232 millions d'euros, une enveloppe qui couvre officiellement "le coût global de la politique d'éloignement". Ce chiffre est "fiable", selon le sénateur Pierre Bernard-Reymond. Ce parlementaire UMP est à l'origine du débat sur l'évaluation des coûts d'expulsions de migrants illégaux. Il a été le premier à s'emparer de la question dans un rapport remis fin 2008 à la commission des finances du Sénat. C'est à la suite de cette enquête que le ministère de l'Immigration a décidé de confier une étude à l'IGA.
La rétention administrative coûte le plus cher
Un chiffre fiable, donc, mais qui ne permet d'obtenir pour autant un coût par personne. "On ne peut pas se contenter de faire une division par le nombre de reconduites forcées à la frontière", prévient Pierre Bernard-Reymond. Les 232 millions d'euros couvrent en effet l'ensemble des situations irrégulières, y compris les cas de personnes qui ne sont finalement pas renvoyées dans leur pays d'origine. "C'est comme si vous calculiez le coût d'un ministère de la Justice uniquement en fonction de ceux qui sont condamnés", explique le sénateur. Pour s'approcher du coût effectif des expulsions, l'administration a donc essayé de calculer séparément les différentes phases du dispositif dédié aux personnes réellement expulsées. Les pouvoirs publics ne souhaitent pas communiquer sur les différents postes budgétaires. lepoint.fr a pu se procurer ces estimations.
Il ressort de ce document de 50 pages que la première phase du dispositif, qui comprend l'interpellation de l'immigré et éventuellement son placement en centre de rétention administrative (CRA), est aussi la moins coûteuse. Elle est évaluée à 651 euros par personne arrêtée. En revanche, les frais générés pendant toute la période de rétention administrative sont estimés à 3.380 euros pour chaque migrant. C'est le plus fort poste de dépense. Enfin, le rapatriement à proprement parler, qui inclut le renvoi du migrant dans son pays d'origine et le retour de l'escorte policière en France, coûte 2.268 euros. Au total, donc, l'administration estime à 6.299 euros le coût moyen d'une expulsion.
Un calcul relativisé par Pierre Bernard-Reymond. "Dix ministères s'occupent de près ou de loin de politique d'immigration", explique-t-il, soulignant la difficulté d'obtenir un résultat tangible en raison du nombre d'acteurs appelés à intervenir sur ces dossiers sensibles. Mais ce calcul offre malgré tout une base de comparaison, notamment avec le coût du maintien sur le territoire des étrangers en situation irrégulière. De cette comparaison peu politiquement correcte, qui a été engagée par l'Inspection générale de l'administration, il ressort que 490 millions d'euros ont été dépensés en 2008 pour les 185.000 ressortissants étrangers en situation irrégulière, soit 2.648 euros par personne. Les expulser coûte le double.
samedi 31 octobre 2009
Expulser un clandestin coûte deux fois plus cher que de le maintenir en France
vendredi 30 octobre 2009
L’initiative anti-minarets, anti-droits de l’homme?
L’initiative anti-minarets, anti-droits de l’homme?
Le comité des droits de l’homme de l’ONU se déclare «préoccupé» par l’initiative genevoise et la campagne qui l’accompagne. Le respect de la liberté de religion est mis en cause, selon lui
Le comité des droits de l’homme de l’ONU s’est déclaré vendredi préoccupé par l’initiative anti-minarets et «la campagne d’affiches discriminatoire» qui l’accompagne la liberté de religion.
Au terme de sa session, le comité des droits de l’homme, chargé de veiller sur le respect par les Etats du Pacte de l’ONU sur les droits civils et politiques, a fait plusieurs recommandations à la Suisse. La Suisse présentait son rapport pour la première fois depuis 2001.
«Le comité est préoccupé par l’initiative visant à interdire la construction de minarets et par la campagne d’affiches discriminatoire qui l’accompagne», affirment les 18 experts de l’ONU dans leurs conclusions.
La Suisse «doit assurer activement le respect de la liberté de la religion et combattre fermement les incitations à la discrimination, à l’hostilité et à la violence», ajoute le comité de l’ONU.
L’UDF combat les minarets la Bible dans la poche
dans 24h
CONVICTIONS | L’Union démocratique fédérale lutte contre l’avortement, la drogue ou les mœurs dissolues. Elle vient d’ajouter les minarets à la liste de ses cibles. Qui sont ces croisés de la foi?Patrick Chuard | 29.10.2009 | 00:01
Discrète, la campagne antiminarets de l’UDF, qui a pourtant lancé l’initiative. Les trompettes de Jéricho de ces chrétiens évangéliques restent quasi inaudibles à côté du boucan publicitaire de l’UDC. Normal, puisque la formation chrétienne est confidentielle, avec un unique représentant au parlement fédéral. Et le parti blochérien lui fait de l’ombre.
Ces chrétiens engagés en politique citent volontiers le Christ et l’Evangile. Est-ce bien charitable de stigmatiser la minorité musulmane de Suisse en leur refusant la construction de minarets? «Mais nous défendons la liberté de croyance et de culte, répond Maximilien Bernhard (40 ans), secrétaire romand de l’UDF et député vaudois. Les minarets sont superflus à l’exercice de l’islam, ils ne sont pas cités dans le Coran.»
Pourquoi toutes les Eglises chrétiennes, y compris le réseau évangélique, dont l’UDF est censée être proche, combattent l’initiative? «Le premier sondage avant la votation montre que 42% des membres des Eglises protestantes y sont favorables», commence par rétorquer l’ingénieur d’Yverdon-les-Bains. Avant de reconnaître qu’il n’y a «pas unanimité» sur la question au sein de l’UDF elle-même.
«Symbole de conquête»
Ce que l’UDF prétend combattre, c’est «un symbole de conquête islamique». L’initiative «ne vise pas les musulmans, mais une minorité de prêcheurs intégristes, qui veulent agrandir l’islam, selon Marc Früh, éducateur et député du Jura bernois. Des musulmans modérés nous ont mis en garde contre certains «prêcheurs de haine», qui voudraient imposer la burka et les minarets en Suisse.»
En somme, l’idée consiste à défendre une terre chrétienne contre une supposée invasion. Mais la Suisse n’est-elle pas devenue laïque? «Je ne veux pas que la Suisse redevienne une société plus chrétienne, car le Christ n’impose pas son message, dit Philippe Menoud (39 ans), électronicien et militant UDF dans la Glâne fribourgeoise. Mais si on laisse les minarets s’installer, on laisse faire la domination que l’islam veut imposer aux autres religions.» Cet ancien catholique, qui dit avoir «découvert l’existence de Dieu» à 20 ans, après avoir tâté de l’occultisme, veut s’en tenir «aux valeurs de nos aïeux, qui ont fait leurs preuves pendant des décennies, voire des siècles».
Ardent pourfendeur de l’initiative antiminarets, chrétien affiché lui aussi, Jacques Neirynck (PDC/VD) se désole de ce combat de l’UDF: «Ils instrumentalisent la religion pour recruter des électeurs, ça n’a pas d’autre sens.» Pourtant, Jacques Neirynck a été élu au Conseil national grâce à un apparentement avec l’UDF… «C’est vrai, et nous sommes d’accord sur de nombreux points, comme l'euthanasie», s’empresse-t-il de préciser.
«Une certaine réserve»
L’initiative divise les chrétiens. Maximilien Bernhard le constate. D’autant mieux qu’il a lui-même des doutes: «Je dis: «Oui, mais.» J’assume la décision du parti, et personnellement je m’engage pour cette initiative, tout en ayant une certaine réserve sur le plan philosophique», avoue le secrétaire romand. Une opinion timidement défendue… A l’image des affiches de l’UDF (un minaret derrière une façade de maison allemande), nettement moins provocantes que celles montrant une femme voilée et des minarets sur un drapeau suisse, interdites par certaines villes. «Nous avons voulu faire une affiche moins négative, c’était une demande claire des délégués», signale Maximilien Bernhard. Mais ne risque-t-elle pas de passer inaperçue?
Lausanne hausse le ton face aux mendiants
Le municipal Marc Vuilleumier a commandé un rapport afin de savoir d’où viennent les mendiants et s’ils sont exploités. Alors qu’un cap vient d’être franchi: des enfants tendent la main. Un article de Laurent Antonoff dans 24 Heures.
© PATRICK MARTIN | La mendicité n’est pas interdite dans la capitale. Elle pourrait l’être à l’avenir en fonction des conclusions du rapport que vient de commander Marc Vuilleumier. Une demande qui intervient alors que des mendiants roms placent désormais leurs enfants sur le trottoir pour faire la manche.
La scène se déroule au centre-ville de Lausanne, mercredi, sur le coup de midi. Une fillette, queue-de-cheval et baskets rouges, tend un gobelet en plastique en direction des passants. Non loin de là, un adulte veille, mais visiblement pas assez: deux policiers en patrouille interpellent le duo. Il s’avère que la fillette n’a que 9 ans, et que l’homme qui la contraint à mendier sur le trottoir n’est autre que son propre père, d’origine roumaine.
Dénoncé, il risque une peine de 90 jours-amendes au maximum. C’est le juge qui en décidera. Mais, après les mères qui font la manche avec un enfant en bas âge dans les bras, un nouveau cap semble avoir été franchi. Marc Vuilleumier, municipal de la Police, vient d’ailleurs de demander un rapport à ses troupes. Il pourrait déboucher sur l’interdiction de la mendicité dans la capitale vaudoise.
Une démarche pour contrer le MCG?
«Il ne s’agit pas d’un tour de vis contre les mendiants, mais je veux qu’on m’informe», explique Marc Vuilleumier. Quels renseignements recherche-t-il exactement? «Je veux savoir où dorment ces gens, si c’est à La Marmotte, par exemple. Je veux savoir s’ils sont poussés à mendier à cause de leur situation précaire et miséreuse ou s’ils sont posés aux coins des rues par un réseau qui les exploite. Il en va aussi de la protection de la jeunesse.»
Une démarche similaire avait déjà été lancée il y a deux ans à Lausanne. Il en était ressorti que les mendiants n’étaient pas exploités. Et si c’était le cas aujourd’hui? «Je ne peux présager de rien sans avoir pris connaissance des résultats du rapport que je viens de demander.»
Cette demande, Marc Vuilleumier la justifie par le nombre toujours croissant de mendiants observés dans les rues de Lausanne. Rien à voir avec les velléités vaudoises du Mouvement Citoyens Genevois (MCG), dont le président et candidat au Conseil d’Etat, Eric Stauffer, vient de promettre de «purger» la Cité de Calvin de ses mendiants en quarante-cinq jours? «C’est une coïncidence. Je ne calque jamais mes positions sur celles du MCG. Ce serait d’ailleurs plutôt le contraire.»
La marge de manœuvre des policiers est faible
Rappelons que la mendicité n’est pas interdite à Lausanne et que, par conséquent, les policiers sont peu outillés pour informer leur directeur. «Quand nous contrôlons des mendiants, ce n’est pas parce qu’ils font la manche. C’est leur situation en Suisse qui nous intéresse», explique Anne Plessz, porte-parole de la police.
Il s’agit notamment de vérifier si les Roumains, qui peuvent séjourner trois mois dans le pays, respectent ce délai. «Mais on ne sait pas toujours depuis quand ils sont là. C’est difficile», admet la porte-parole.
Un sujet qui fait débat dans le canton
CE QUE DIT LA LOI CANTONALE
Jusqu’en décembre 2006, la mendicité était proscrite sur tout le territoire vaudois. Lors de l’adaptation des lois cantonales au nouveau Code pénal suisse, cette interdiction a été abandonnée, sa réinstauration devenant de compétence communale, à travers le Règlement général de police. En octobre 2008, le Grand Conseil a refusé de sanctionner à nouveau la mendicité. Aujourd’hui, seul l’article 23 de la loi pénale vaudoise spécifie que «celui qui envoie mendier des personnes de moins de 18 ans est puni au maximum de 90 jours-amendes». La loi fédérale punit quant à elle l’exploitation de mendiants adultes. La loi fédérale sur les étrangers stipule, pour sa part, qu’un touriste de passage a l’obligation d’avoir les moyens de séjourner, sous peine de renvoi.
LA RIVIERA PRÊTE À INTERDIRE
Sur la Riviera, le phénomène de la mendicité ne touche que Vevey et, dans une moindre mesure, Montreux. Le Conseil intercommunal de l’association Sécurité Riviera devra, toutefois, se prononcer début 2010 sur un projet de nouveau règlement général de police, qui entend rendre punissable le fait de quémander sur la voie publique.
MARCHE ARRIÈRE À YVERDON
Un avant-projet de nouveau règlement interdisant la mendicité a divisé les élus à Yverdon, en septembre dernier. Préparé par le commandant de la police, il n’aura sans doute pas l’aval de la Municipalité de gauche.
G. CO.
«Marc Vuilleumier s’inquiète et enquête, c’est tout à son honneur»
«Lundi, Marc Vuilleumier a annoncé vouloir engager des policiers pour lutter contre la drogue. Je venais de déposer une motion sur cette question. Maintenant, il demande un rapport sur la mendicité en ville… Si, à chacune de mes interventions, il finit quelque temps plus tard par aller dans mon sens, il faut bien croire que je tape juste.» L’UDC Claude-Alain Voiblet jubile. Surtout qu’il connaît déjà la musique: fin 2007, son interpellation contre la mendicité et le risque d’afflux de Roumains dans le chef-lieu avait enflammé le Conseil communal. A tel point que, dans sa réponse au démocrate du centre, la Municipalité rappelait l’oppression nazie déjà vécue par les Roms. Une fois encore, les esprits devraient bientôt s’échauffer à la Palud: l’UDC vient de réitérer sa demande de règlement interdisant la manche dans les rues. Aujourd’hui, elle espère que le rapport policier commandé par Marc Vuilleumier apportera de l’eau à son moulin. Si la présidente libérale-radicale Marlène Bérard approuve un bannissement de la mendicité – «pour autant qu’on ne focalise pas sur une population en particulier» –, la présidente des socialistes lausannois, Rebecca Ruiz, s’inquiète de la tournure que pourraient prendre les discussions. Et découvre avec précaution la démarche lancée par le directeur de la Sécurité: «La mendicité n’est pas illégale et tout cela m’inspire de la méfiance, réagit-elle. Le sentiment d’insécurité a bon dos: après les toxicomanes, puis les dealers, on s’attaque maintenant aux mendiants. Quelle sera la prochaine étape? J’ose espérer que le municipal de la Police ne va pas partir à la chasse aux Roms, ni anticiper toutes les demandes de l’UDC. Il est normal de traquer les dealers, mais pas la pauvreté.» Dans le camp averti du municipal popiste, les avis sont partagés: «Après la charge policière lancée contre les manifestants du 1er Mai, SolidaritéS a dit qu’elle ne considérait plus être représentée par le municipal
d’A Gauche toute!, rappelle le conseiller communal et député Jean-Michel Dolivo. En le voyant prendre le problème de la mendicité à revers du bon sens, cela conforte notre opinion. La réponse à cette réalité ne peut pas se faire à l’échelle d’une ville. Ce sont des mesures pour réduire la pauvreté que la collectivité publique doit prendre.» «Marc Vuilleumier s’inquiète et enquête, défend le chef de groupe POP, Alain Hubler. C’est tout à son honneur de chercher à savoir s’il y a oui ou non des réseaux organisés. Nous pourrons discuter quand nous connaîtrons les résultats de l’étude.»
GÉRALD CORDONIER
Kaboul - Paris - Kaboul
Sara Daniel, envoyée spéciale du Nouvel Observateur en Afghanistan, a retrouvé la trace d'un des réfugiés afghans expulsés de France par charter. Elle nous livre le récit de sa rencontre avec Wahid dans un hôtel de la capitale afghane.
Wahid à Kaboul (©2009 Corentin FOHLEN pour le Nouvel Observateur Fedephoto)
«Ils sont traités comme des clandestins, pas comme des enfants»
«Perdus en zone d'attente». Dans un rapport publié ce jeudi (télécharger en pdf ici), l'ONG Human Rights Watch (HRW) alerte sur la situation des mineurs étrangers qui débarquent seuls à l'aéroport de Roissy à Paris et qui se voient refuser l'entrée en France.
Ils se retrouvent alors dans ce qu'on appelle la zone d'attente, enfermés au milieu d'adultes, sans protection particulière. «Ils sont traités comme n'importe quel immigré clandestin, et non comme des enfants. Ils peuvent être renvoyés dans leur pays d'origine ou dans un pays de transit n'importe quand», explique Simone Troller, auteure de cette étude.
La Cimade dénonce «l'industrialisation» des centres de rétention
L'association s'alarme du «mépris des droits» des étrangers en attente d'expulsion et appelle à la mobilisation contre l'ouverture d'un nouveau centre «ultra-sécuritaire» en Seine-et-Marne.
Des centres de rétention de plus en plus carcéraux et déshumanisants, où les situations individuelles passent à l'arrière plan: c'est le tableau que dresse la Cimade, seule association présente à ce jour dans les lieux de rétention, où transitent les sans-papiers. L'association présentait ce matin son rapport annuel, véritable radiographie de chacun des 23 centres et 12 locaux de rétention administrative en France.
En 2008, 32.284 personnes de 163 nationalités ont été enfermées de 24 heures à 32 jours dans des centres de rétention en métropole, a décompté l'association. Dont 118 familles avec 222 enfants.
jeudi 29 octobre 2009
«Nous, musulmans, réclamons une place dans la société»
«Nous, musulmans, réclamons une place dans la société»
Paru le Jeudi 29 Octobre 2009PORTES OUVERTES - L'Union des organisations musulmanes de Genève prend position contre l'interdiction des minarets et annonce une journée portes ouvertes. Une première.
Face à l'initiative visant à interdire les minarets, les musulmans ont jusqu'ici plutôt fait profil bas (lire en page 7). Mais, à un mois du scrutin, l'Union des organisations musulmanes de Genève (UOMG) monte sur le ring. Cet organe fédérant onze associations religieuses et culturelles du canton n'avait plus jamais fait parler de lui depuis l'annonce de sa création en 2006. Il aura fallu l'initiative fédérale lancée par des membres de la droite dure et chrétienne pour faire réapparaître cette faîtière censée donner une voix commune et représentative aux musulmans du canton. Hier, elle dénonçait un texte clairement «islamophobe». Elle annonçait aussi une journée portes ouvertes le 7 novembre permettant aux Genevois de mieux connaître les activités des associations musulmanes[1].
«C'est la première fois que des musulmans prennent officiellement position dans une votation. Cela montre notre volonté de nous inscrire dans le système suisse. L'UOMG pourrait se prononcer à l'avenir sur d'autres scrutins», commente sa nouvelle vice-présidente, la Genevoise Lucia Dahlab, convertie à l'islam il y a vingt ans.
L'initiative va à l'encontre des lois et des valeurs suisses, dénonce-t-elle. «Si on interdit les minarets, la Constitution obligera d'interdire aussi les clochers, sinon ce serait une discrimination religieuse inacceptable», relaie Hani Ramadan, directeur du Centre islamique des Eaux-Vives.
Une tradition importante
«Le minaret n'est pas une prescription religieuse, mais une tradition architecturale et culturelle très importante, reprend MmeDahlab. Il n'est pas un symbole politico-religieux et n'a rien d'agressif. Se sentir reconnu permet de s'intégrer. On ne peut pas rejeter les musulmans et leur reprocher ensuite de ne pas s'intégrer. Nous réclamons une place dans la société.»
Cette «campagne de stigmatisation» en suit bien d'autres depuis une dizaine d'années: «C'est dur à vivre. On a le sentiment d'être manipulé», témoigne MmeDahlab. Selon cette femme voilée, le climat s'est durci: «On me dit de retourner chez moi, alors que je suis genevoise. On doit sans cesse montrer qu'on n'est pas dangereuse. En classe, un adulte a dit à ma fille: 'C'est parce que tu fais ramadan que tu n'arrives pas à réfléchir?'»
Aux citoyens craignant l'imposition de la charia, Hani Ramadan répond: «Même si tout croyant place la loi de Dieu au-dessus de celle des hommes, cela ne contredit pas le principe islamique qui impose de se conformer aux lois du pays de résidence.» «Je suis enseignante et la règle m'impose d'ôter mon voile au travail. Je le fais, même si je me sens humiliée», confie MmeDahlab.
La burqa, un «faux problème»
Le concept d'une islamisation rampante l'irrite: «Les musulmans sont des gens qui travaillent et élèvent leurs enfants. Ils forment 5% de la population et seuls 10% sont des pratiquants voulant vivre tranquillement leur foi.»
«Les musulmans sont une partie de la solution, ajoute Adel Mejri, de la Ligue musulmane. Nous sommes prêts à résoudre les difficultés qui se posent, mais autour d'une table, pas dans une ambiance de guerre.» La prochaine attaque de l'UDC portera sur le «faux problème» qu'est la burqa, parie-t-il. Sur ce point, il estime qu'une femme doit pouvoir choisir son habit, burqa comme minijupe.
Même avis de MmeDahlab, qui ne se reconnaît pas dans l'image de femme soumise qu'on lui renvoie. «Laissez les musulmanes porter elles-mêmes leurs revendications», demande-t-elle.
Reste que Hani Ramadan s'est illustré en défendant la lapidation des femmes adultères. L'exposer face à des adversaires qui réduisent l'islam à la burqa, n'est-ce pas verser de l'eau à leur moulin?
«Cette polémique est complètement dépassée et malvenue», répond-il. Sur le fond, il distingue ce que permet d'envisager la doctrine et ce que les musulmans, qui ne visent pas à imposer leurs points de vue, peuvent vivre en Suisse.
Les portes ouvertes sont organisées avec le soutien de la Plate-forme interreligieuse et du Bureau de l'intégration. Malgré des «crispations liées à ses difficultés institutionnelles», la Mosquée du Petit-Saconnex prendra part à l'opération de séduction, explique MmeDahlab, répondant à la place de l'imam de la mosquée, Youssouf Ibram, absent hier. I
Un «oui» serait un coup dur pour la diplomatie suisse
Pour la diplomatie suisse, un «oui» à l'initiative contre la construction de minarets le 29 novembre serait problématique.
L'initiative contre la construction de minarets ne rencontre pour l'instant que peu d'intérêt à l'étranger, selon le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Les médias des pays musulmans n'en parlent pas beaucoup.
«Lorsqu'elle y est thématisée, c'est en général de manière différenciée et factuelle», indique le DFAE. La plupart des médias ont traité le sujet sur le ton de l'étonnement. «Quelque chose d'extraordinaire vient de la neutre Suisse!» serait l'idée qui caractérise le mieux la teneur des articles, selon Tamer Aboalenin, correspondant en Suisse de la chaîne de télévision arabe «Al Jazeera».
Selon M.Aboalenin, les médias proches des autorités font preuve de plus de retenue. «Pour les pays musulmans, cette initiative est considérée comme une affaire intérieure à la Suisse», explique-t-il. Un avis renforcé par le fait que le gouvernement helvétique a pris très clairement position contre le texte. /ats
Si la sécurité du pays et de ses ressortissants ne devrait pas en être affectée, sa crédibilité serait mise à mal.
Il serait incompréhensible qu'un pays qui s'engage activement pour la protection des minorités discrimine une communauté religieuse à l'intérieur même de ses frontières, explique Tamer Aboalenin, correspondant à Berne de la chaîne de télévision arabe «Al Jazeera». Les diplomates suisses tentent dans plusieurs pays musulmans de résoudre les conflits en prônant la cohabitation entre les cultures, poursuit le journaliste.
«La Suisse se disqualifierait en tant que médiateur impartial et garant des principes humanitaires», renchérit Kurt Spillmann, professeur à l'EPFZ, spécialisé dans l'étude des conflits.
Sans oublier les effets sur le travail du CICR dans les pays musulmans, sur Genève en tant que siège des organisations internationales ou sur les quelque 10'000 Suisses vivant dans un pays majoritairement musulman, ajoute le diplomate à la retraite André von Graffenried, ancien ambassadeur de Suisse en Algérie.
Une aubaine pour Kadhafi
Une interdiction des minarets pourrait aussi compliquer la situation avec la Libye. Selon Tamer Aboalenin, Mouammar Kadhafi y verrait une bonne occasion de présenter la Suisse sous un mauvais jour. Il pourrait aussi utiliser ce vote pour prouver que Berne est contre l'islam.
Un «oui» n'aurait pas seulement des conséquences négatives dans les pays musulmans. Cela affecterait aussi l'image de la Suisse dans le monde occidental, qui tend actuellement vers une politique de dialogue avec l'islam, souligne encore André von Graffenried.
Ambassades parées
Le Département fédéral des affaire étrangères (DFAE) est bien conscient de ces répercussions. Il n'a donc pas attendu pour prendre les choses en main, en misant surtout sur la communication. «Les ambassades sont prêtes», indique son porte-parole Adrian Sollberger. «Elles disposent de tous les éléments pour faire un bon travail d'information et entretiennent activement leur réseau de contacts.»
Quant à la sécurité des représentations suisses à l'étranger, le DFAE ne se montre pas particulièrement inquiet. Aucun plan spécial n'est prévu. «La Suisse a un dispositif général de sécurité valable pour toutes les ambassades en cas de crise pouvant affecter ses propres ressortissants. Ce plan sera aussi applicable si des problèmes liés à l'initiative surviennent», précise le porte-parole.
Attaque terroriste
Pourtant, on ne peut pas exclure un embrasement, comme cela avait été le cas dans l'affaire des caricatures danoises. «Comme pour les caricatures, il y a un risque que l'initiative soit instrumentalisée par les fondamentalistes», note André von Graffenried.
Un avis nuancé par Tamer Aboalenin. «Le gouvernement et la majorité des grands partis suisses ont eu une ligne claire et l'ont rejetée depuis le début», explique-t-il. «Le gouvernement danois s'était quant à lui montré très arrogant. Le premier ministre avait refusé de discuter avec les ambassadeurs des pays musulmans, ce qui avait été perçu comme une insulte.»
Le journaliste estime donc que la Suisse ne court pas de danger. Le professeur Spillmann abonde. «Il ne faut pas craindre des conséquences directes pour la sécurité du pays, comme par exemple une attaque terroriste».
Dans l’ombre des clochers d’Istanbul
La situation des chrétiens en terre d’Islam est souvent évoquée en marge du débat sur les minarets. Mais quelle est-elle exactement? Reportage dans un des pays musulmans qui, par ses structures démocratiques et sa proximité de l’Europe, se rapproche le plus de la Suisse
«Pas de problème!» Au téléphone déjà, Gül Hanim * tient à écarter toute ambiguïté. Membre de la minuscule communauté chaldéenne (moins d’un millier de membres), elle a mené sans accroc une carrière de sportive de haut niveau – «Peut-être parce que j’ai un prénom turc», concède-t-elle toutefois.
Les prénoms signent encore souvent, en Turquie, l’appartenance religieuse. Et confèrent aux membres des minorités cette touche d’exotisme sur laquelle peut se construire, plus sournoise, une représentation du chrétien ou du juif comme étranger. Anna Maria Aslanoglu, étudiante en histoire, choisit d’y voir le côté positif de la différence: à chaque nouvelle rencontre, elle doit expliquer qu’elle est«roum» – romaine – le nom donné à la minorité orthodoxe grecque. A Istanbul, l’explication n’a pas besoin d’être longue: «Tout le monde sait que certains Turcs sont chrétiens ou juifs.»
Besson, fantassin d’une offensive ultraréactionnaire
Lu dans l'Huma
République contre « identité nationale », accueil et droit d’asile contre « immigration choisie », codéveloppement contre Europe forteresse, égalité contre discrimination… Et si, finalement, l’offensive de la droite menée au pas de charge par Éric Besson se retournait contre elle, en contribuant à une clarification idéologique salutaire sur les fondamentaux de la République ? Après le tollé provoqué dans la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy par la résurgence de la notion même d’identité nationale, puisée dans les tréfonds de la droite la plus réactionnaire, la création inédite en République d’un ministère en charge de cette question semblait s’être banalisée avec le temps. Tout le monde donnait du « Monsieur le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale » à Éric Besson sans que cela ne choque plus grand monde. Les réactions à son annonce d’un « grand débat » sur « l’identité nationale » et « la fierté d’être français », le 2 novembre prochain, montrent que ce concept n’est pas rentré dans les mœurs.
L’immigration vécue comme une menace
L’immigration menace-t-elle « l’identité nationale » ? Qu’est-ce, d’ailleurs, que l’« identité nationale » ? Y a-t-il une bonne façon d’être français et une mauvaise, comme le sous-entend le lancement d’une campagne d’« instruction civique » pour les adultes et l’obligation faite aux mineurs de « chanter la Marseillaise » ? Autant de questions qui refont surface à la suite de l’initiative du ministre. Sans parler du port de la burqa présenté comme « contraire à l’identité nationale » par Éric Besson, s’écartant de l’interrogation légitime qu’il soulève sur la condition des femmes.
Premier présupposé que la gauche et nombre d’intellectuels s’attachent à démonter : l’association des termes d’« immigration » et d’« identité nationale », comme si la première constituait en soi un « problème » qui menacerait la seconde. « Jamais la France n’a lié sa nature au rapport aux étrangers. Elle a toujours considéré l’apport des autres nationalités comme une chose positive (…) avec une condition simple : l’adhésion à des valeurs communes », commente Vincent Peillon (PS) dans Libération d’hier. Les artifices de Besson évoquant le « vivre ensemble », les « principes républicains de liberté, d’égalité, de fraternité », et son rappel de « l’apport de l’immigration à l’identité nationale » ne font pas illusion : c’est bien une conception restrictive et exclusive de la nation et de son « identité » qu’il promeut, où l’étranger est désigné comme un corps à « intégrer » et à « assimiler », avec la proposition « un contrat d’intégration républicaine pour les étrangers entrant et séjournant sur notre territoire » et celle d’un « entretien d’assimilation » préalable aux naturalisations. L’historien Patrick Weil, auteur du livre Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution (Éditions Grasset, 2002), s’élève contre cette présentation, conteste vigoureusement qu’il n’y ait « qu’une seule façon d’être français ». Le chercheur du CNRS dénonce une « volonté d’encadrer quelque chose qui a toujours été très divers et très fluide ».
Au-delà, c’est la résurgence même du concept d’« identité nationale » qui est récusée, comme l’a fait Gérard Noiriel, président du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH) dans son livre À quoi sert l’identité nationale ? (Éditions Agone, 2007). « Résurgence et non apparition », commentait dans nos colonnes l’historien Alain Ruscio (l’Humanité du 10 novembre 2007). « Ce discours et cette pratique ont des racines, de Barrès à Vichy. Il s’agit donc bien, avec les thématiques actuelles, d’un discours réactionnaire. » Pour Gérard Noiriel, l’identité nationale correspond au syllogisme suivant : « L’identité française, c’est l’identité des Français, et l’identité nationale, c’est l’identité de la nation. Tout ce qui est beau, bon, intelligent et humain est français. CQFD. » L’autre versant du raisonnement « est que tout ce qui n’entre pas dans ce cadre est mis en danger », souligne Alain Ruscio. Avec pour corollaires les expulsions massives et la mise en place de quotas d’« immigration choisie » sur des critères économiques aux relents néocoloniaux, mais aussi la notion de droit d’asile vidée de son sens, confondue avec l’immigration ordinaire, qui a « pour effet de tirer les critères de l’asile vers ceux, restrictifs, de la police administrative de l’entrée, du séjour et de la reconduite à la frontière, ce qui est inadmissible » (Anicet Le Pors, auteur de Que sais-je ? Le droit d’asile. Éditions PUF).
Effacer l’héritage républicain
Un traitement sécuritaire de la question migratoire se met ainsi en place, qui participe d’un mouvement plus vaste de la mise au pas de pans entiers de la société englobée dans une nouvelle « classe dangereuse », comme le montre la « criminalisation » du mouvement social. « L’identité nationale ne se joue plus sur des gènes bleu-blanc-rouge. Est étranger aujourd’hui celui qui n’est pas culturellement et économiquement calibré sur le parfaitement intégré. (…) Je parlerais plus de “prolétariophobie” à l’échelle mondiale que de xénophobie », expliquait Jean-Pierre Alaux, du Gisti, dans l’Humanité du 5 avril 2008. Plus fondamentalement, cette campagne lancée par Éric Besson, à l’instigation du chef de l’État, s’inscrit dans une offensive idéologique globale ultraréactionnaire qui vise à effacer l’héritage républicain forgé depuis la Révolution française par les forces progressistes et les luttes populaires. Un héritage fondé sur une conception ouverte de la nation, fondée sur la citoyenneté, l’égalité, la laïcité, la paix et le codéveloppement, et dans lequel s’inscrivent la résistance contre le nazisme, les acquis sociaux du Conseil national de la résistance (CNR) qui entendaient assurer à tous les moyens d’une existence décente sans conditions de revenus ni d’origine, le combat pour la décolonisation et, plus récemment, la lutte pour la régularisation des sans-papiers et pour la mémoire de l’esclavage.
Illustration de cette régression gravissime, Nicolas Sarkozy ne vient-il pas d’exalter, hier, à Poligny (Jura), « l’identité nationale » au travers du « rapport des Français à la terre » ? Une phrase aux relents inquiétants, de celles de Pétain et son « la terre ne ment pas »… Avec Sarkozy à sa tête, la droite parachève un remodelage du pays qu’elle pare du nom de République, mais qui s’en éloigne dans les faits et dans l’idéologie, et dont les jalons les plus symboliques sont la loi de février 2005 sur l’aspect « positif » de la colonisation, le discours de Dakar du chef de l’État prétendant que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », les entorses à la laïcité, ou encore la liquidation méthodique des conquêtes sociales de la Libération.
Sébastien Crépel
mercredi 28 octobre 2009
Les clandestins arrivant sur les côtes italiennes sont moins d'1% des immigrés
Les immigrés clandestins débarquant sur les côtes du sud de l'Italie représentent moins de 1% des quelque 4,3 millions d'étrangers résidant en Italie en 2008, a annoncé mercredi l'organisation catholique Caritas dans son rapport annuel sur l'immigration en Italie.
"La part des immigrés clandestins qui débarquent en Sicile ne représente qu'un pourcentage infime des étrangers résidant en Italie. Il faut arrêter de ne parler que de cela", a dit un responsable de Caritas, Franco Pittau, lors d'une conférence de presse.
Le procès de la haine raciale
Yves Petignat dans le Temps
L’assassin d’une Egyptienne voilée et enceinte en plein tribunal en juillet dernier est jugé depuis lundi à Dresde. Ce crime xénophobe avait provoqué un tollé dans le monde arabe
Le procès met mal à l’aise l’Allemagne et alourdit encore le climat entre les cultures. A Dresde, joyau culturel et ancienne capitale de Saxe, un homme de 28 ans, Alex Wiens, comparaît depuis lundi pour l’assassinat il y a quatre mois, en plein tribunal, d’une jeune femme égyptienne voilée, Marwa El Sherbini, 31 ans, enceinte de trois mois.
C’est le procès de la haine raciale pure. Mais c’est aussi celui de la relative indifférence de l’opinion publique allemande devant les relents de fanatisme anti-musulman qui couvent dans sa société. C’est aussi un douloureux rappel pour les autorités politiques, y compris pour la chancelière Angela Merkel, qui avaient mis du temps avant de prendre conscience des dégâts d’image, de l’horreur et de l’émotion suscitées en Egypte et dans les pays arabes par cet assassinat.
Victime de sa foi
Des dizaines de journalistes du monde musulman assistent à ce procès placé sous très haute sécurité. Ce crime avait provoqué une vague de protestations chez les musulmans pour lesquels la jeune femme est considérée comme une martyre, victime de sa foi et de l’intolérance envers le port du voile. En Egypte, de nombreux prédicateurs ont exigé la peine maximum contre l’assassin et des menaces planent sur le procès.
mardi 27 octobre 2009
Schwarzenbach: les années noires de la politique migratoire suisse
Schwarzenbach: les années noires de la politique migratoire suisse
Paru le Mardi 27 Octobre 2009ÉCONOMIE - Entre les années soixante et septante, les initiatives de James Schwarzenbach embrasent l'opinion. Retour sur un discours xénophobe qui continue de faire la fortune politique des tribuns populistes.
En 1968, James Schwarzenbach, conseiller national du parti xénophobe «l'Action Nationale», lance une série d'initiatives afin de réduire de 10% le taux d'étrangers en Suisse. Sa campagne met en garde les citoyens suisses contre le risque de surpopulation étrangère en se servant d'arguments tels que l'atteinte à l'identité culturelle suisse et la surchauffe économique. Mais pourquoi renvoyer les travailleurs immigrés dans leur pays alors que la Suisse est en pleine expansion économique? Selon l'instigateur des initiatives, le statut de saisonnier serait la solution au besoin de main-d'oeuvre croissant de la Confédération. Retour sur la politique migratoire suisse de la fin des années soixante. La Suisse, dès la fin de la seconde guerre mondiale, est en pleine expansion économique et son développement implique un besoin de main-d'oeuvre étrangère toujours croissant. L'Italie, avec qui la Confédération entretient des accords depuis la fin du XIXe siècle est une source sûre – à l'époque, on se méfie des pays trop éloignés, comme la Grèce, la Turquie ou la Yougoslavie – et un gisement de travailleurs. La péninsule italique s'accommode par ailleurs de ce transfert de migrants qui lui permet, en maintenant dans son territoire une certaine stabilité sociale et économique, de prévenir la menace communiste.
Les «accords» de la colère
Mais à partir de 1960, l'Italie, qui voit la demande suisse croître d'année en année, exige une révision des accords de 1948 afin d'améliorer le statut des travailleurs italiens. Ne pouvant se passer de cette main-d'oeuvre, la Confédération est obligée d'entrer en matière. En 1964, un nouvel accord est signé: une autorisation de séjour annuelle est accordée aux travailleurs saisonniers après cinq ans, ainsi que la possibilité de changer de lieu de travail après le même nombre d'années pour les détenteurs d'un permis de séjour. Enfin, pour ces derniers, le délai d'attente pour une demande de regroupement familial passe de 36 à 18 mois.
Ces nouveaux accords déclenchent une réaction violente auprès des partis xénophobes qui traitent le gouvernement fédéral de «marionnette du gouvernement italien». L'«Überfremdung» est le mot-clé de leur campagne par laquelle ils dénoncent la trop grande pression des étrangers sur la vie économique, intellectuelle et spirituelle de la Suisse. Le travailleur migrant non seulement contribue à la surchauffe économique en consommant les biens et les logements des Suisses, mais menace de porter atteinte à l'identité culturelle helvétique. Le Conseil fédéral, en réponse à ces attaques, instaure deux mesures de «double plafonnement» afin de réduire de 5% le personnel étranger. Les travailleurs immigrés doivent par ailleurs demander une autorisation de séjour depuis leur propre pays. Mais ces mesures ne sont pas adaptées à l'économie du pays et freinent le développement des entreprises. Elles sont abandonnées en 1967.
Surenchère xénophobe
C'est alors que survient la première initiative xénophobe contre la pénétration étrangère menée par le Parti démocrate du canton de Zurich. Cette initiative propose un article plafonnant le nombre d'étrangers à 10% de la population. Le Conseil fédéral invite le peuple à rejeter la proposition allant à l'encontre des besoins de l'économie suisse et lance un contre-projet afin de réduire malgré tout l'effectif des travailleurs étrangers. L'initiative ayant subit un échec est retirée en mars 1968.
En 1969, le conseiller national James Schwarzenbach entre en scène et lance la seconde initiative avec son parti «Action nationale contre la pénétration étrangère». Dans tous les cantons, à part Genève, la population immigrée ne devra dépasser les 10% et les entreprises ne pourront plus licencier de travailleurs suisses. Cette nouvelle proposition, qui implique une réduction d'environ 200 000 travailleurs, met à nouveau le Conseil fédéral dans une situation économiquement et diplomatiquement dangereuse. Ce dernier tente à nouveau d'éviter l'initiative qui gagne du terrain auprès de l'opinion publique en proposant un contre-projet. L'initiative est rejetée à 54% avec un record de participation. Le Conseil fédéral doit néanmoins réduire l'immigration qui atteint son premier million en 1970 avec 50% d'Italiens.
Enfin, la dernière initiative Schwarzenbach «contre l'emprise étrangère et le surpeuplement de la Suisse» ordonne le départ de 500 000 travailleurs étrangers avant la fin de l'année 1977. Elle sera évincée par 65,8% des voix. Il est intéressant de noter que les trois initiatives xénophobes qui ont été lancées dans le courant des années 1960-70 ne visaient pas une transformation du statut des saisonniers, ces derniers étant admis en Suisse sans aucune limitation. Chaque printemps, ce sont des milliers de saisonniers qui arrivent quotidiennement en Suisse, laissant leur famille, leurs enfants afin d'apporter leur force de travail en échange d'un salaire. Ils resteront jusqu'au début de l'hiver.
A l'écart de la société
Les travailleurs saisonniers, par définition, ne s'installent jamais sur le territoire suisse. Leur durée de travail est de neuf mois (elle se prolongera dans de nombreux cas jusqu'à onze mois et demi) et leur contrat est renouvelable d'année en année. Pendant l'hiver, ils ont l'obligation de rentrer dans leur pays. C'est l'occasion pour ces travailleurs de retrouver leur famille dont ils ont dû se séparer durant presque une année. En Suisse, les travailleurs saisonniers vivent à l'écart de la société, dans des baraquements à la périphérie des centres urbains. Devant assumer un loyer, et des impôts, et en raison d'un salaire peu élevé (environ 3 fr. 50 de l'heure), le strict minimum est dépensé durant le séjour en Suisse et le maximum est envoyé à la famille restée au pays.
Certains travailleurs viennent accompagnés de leurs femmes, à condition que celles-ci soient également en possession d'un contrat de travail. Les enfants issus de cette union doivent par contre rester au pays, et souffriront pendant de longs mois l'absence de leurs parents. S'ils naissent en Suisse, ils sont immédiatement rapatriés. Mais combien de femmes ont travaillé jusqu'au dernier jour en cachant leur grossesse? Combien d'enfants italiens sont nés sur le territoire suisse et ont vécu cachés dans le silence, en attendant leurs parents?
Certaines familles ayant leur villa aux abords des baraquements de travailleurs se plaignent de cette population essentiellement masculine, marginalisée et sans famille, à l'aspect souvent négligé (économies obligent), qui ne maîtrise pas parfaitement la langue. I
Note : *Historienne
LE PRINCIPE DE ROTATION DE MAIN-D'OEUVRE
Les initiatives Schwarzenbach ne s'appliquent pas aux travailleurs saisonniers. Le principe de rotation de main-d'oeuvre est préféré pour son caractère réversible et transitoire et cela par crainte d'un retournement conjoncturel. Les différentes restrictions adoptées par la Suisse (ci-contre) cherchent à couper dès la racine toute volonté d'établissement en Suisse, ou toute possibilité d'intégration. En outre, cette forme de main-d'oeuvre offre des avantages économiques non négligeables, car le gouvernement suisse n'a à prendre en charge aucune dépense sociale.
Les lois définissant le statut même du saisonnier ne laissent pas de possibilité de développement professionnel ou personnel ou aucun moyen pour ce dernier de se créer une place dans la société. Le saisonnier est une force de travail. A la douane, il doit obligatoirement procéder à la visite médicale. Est-ce par souci pandémique, ou pour s'assurer de la pleine forme des ouvriers qui bâtiront la Suisse de l'avenir? Le statut de saisonnier fut aboli en 2002 seulement, par la signature des accords bilatéraux avec l'Union européenne. Aujourd'hui, les travailleurs italiens sont pour la plupart naturalisés. Les autres ont obtenu un permis d'établissement.
Un long chemin a été parcouru jusqu'à la reconnaissance de ces travailleurs. Il en fut de même pour les Espagnols puis pour les Portugais. Actuellement, la conjoncture à changé et l'Europe enchaîne les crises économiques. Or, la Suisse devra toujours faire appel à la main-d'oeuvre étrangère, n'en déplaise aux partis xénophobes qui attribuent au travailleur étranger ou frontalier tous les maux de la Suisse. Reste toutefois le cas des travailleurs de l'ombre, les clandestins: si le statut de saisonnier à bel et bien disparu légalement, on peut se demander si la Suisse ne continue pas à profiter d'une force de travail dont elle ignore la charge. En refusant de reconnaître l'apport économique du travail des personnes sans statut légal, le gouvernement suisse n'est-il pas à nouveau en train d'exploiter une forme de main-d'oeuvre sans avoir à en assumer les frais? PCT
297 immigrés secourus au bout de 3 jours en mer
Au total 297 immigrés clandestins ont été secourus après avoir passé trois jours en mer au large de la Sicile mais l'un des passagers est mort pendant le voyage, ont annoncé lundi les garde-côtes de Catane, dans le sud de l'Italie.
"Le bateau a été secouru par trois vedettes des garde-côtes siciliennes. Parmi les 298 immigrés à bord arrivés dans le port de Pozzalo (sud de la Sicile) en soirée, on a trouvé le corps d'une personne morte", a indiqué à l'AFP Antonio Richichi l'un de leur porte-parole.
Sur le bateau se trouvaient 46 femmes, dont 4 seraient enceintes, et 29 enfants. Les premiers clandestins arrivés à Pozzalo semblaient très éprouvés selon l'agence Ansa, et une dizaine d'entre eux a directement été conduit à l'hôpital.
Il avait été particulièrement difficile de leur porter secours en raison du mauvais temps et de différends de compétence territoriale entre Malte et l'Italie.
"Comme toujours, l'Italie a fait son devoir", s'est félicité le ministre des Affaires étrangères Franco Frattini. L'Italie a escorté le bateau et fourni des vivres et des médicaments aux personnes à bord", a ajouté le ministre.
Pour Roberto Di Giovan Paolo, sénateur du Parti démocrate, ce bateau "à la merci de la mer pendant 48 heures en attendant l'établissement des compétences" fournit au contraire la preuve de "l'incapacité de l'Italie de faire respecter tout type d'accord sur le secours des migrants".
Des clandestins à bord du bateau avaient appelé les garde-côtes italiens au secours vendredi matin. Ils se trouvaient à ce moment-là dans les eaux libyennes. Un pétrolier italien, en route vers la Libye, a alors été contacté pour secourir les immigrés.
Les clandestins auraient dû être reconduits vers les côtes libyennes comme prévu par un accord entre les deux pays mais les intempéries et le mauvais état du bateau, surchargé, ont empêché l'opération.
Le pétrolier, et plusieurs vedettes libyennes arrivées en renfort, ne sont pas parvenus à prendre à bord les immigrés, mais des vivres leur ont été lancés. Entre-temps, le bateau est passé samedi dans les eaux territoriales maltaises, mais Malte a refusé d'intervenir, la loi prévoyant que le pays qui a reçu l'appel au secours se charge d'envoyer de l'aide.
L'Italie a conclu un accord avec la Libye pour refouler les candidats à l'immigration, très critiqué par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui a dénoncé les retours forcés de réfugiés ayant des raisons valables pour demander l'asile en Europe.
Copyright © 2009 AFP.
De l’Afrique à la France, la dignité meurtrie des demandeurs d’asile
Les autorités françaises relogent des Soudanais et des Somaliens qui squattaient une caserne à Pontoise Quelque quatre-vingt réfugiés somaliens et soudanais qui occupaient illégalement une caserne de Pontoise, en banlieue parisienne depuis des mois, sont en train d’être relogés dans des hôtels de la région. Une décision prise jeudi dernier par les autorités municipales et préfectorales de la ville, forcées de réagir après la surmédiatisation des conditions de vie insalubres dans lesquelles vivaient ces immigrants. Reportage. |
Finie la situation précaire du squat. Bonjour, la chambre d’hôtel. Mais pour combien de temps ? C’est désormais la question que se pose la soixantaine de réfugiés somaliens et soudanais qui a été relogée jusqu’à présent dans des hôtels de la région parisienne par la Préfecture du Val d’Oise jeudi, après que la découverte de leur situation illégale a été révélée par la presse française en milieu de semaine dernière. Soulagés par ce relogement en chambres doubles payées par les autorités, ces immigrants occupaient jusqu’ici les bâtiments laissés à l’abandon de la caserne Bossut, à Pontoise, dans le nord-ouest de Paris. Sans eau ni électricité courante, ils vivaient là depuis des mois, à l’insu de tous. Une vingtaine d’entre eux s’y trouverait encore. Des terres en guerre à la terre d’accueil : vivre et survivre De l’extérieur, vendredi, il était difficile de savoir si des personnes occupaient toujours les lieux. Le terrain de la caserne, qui dépasse facilement les 12 hectares, est encerclé par un mur haut de plusieurs mètres, ce qui rend impossible toute vue de l’intérieur du camp. Ce n’est qu’en se rapprochant des grands halls désaffectés de ce qu’il reste de l’établissement militaire que des poubelles et des caddies, dispersés de par et d’autre des allées, laissent à penser que quelqu’un y vit encore. A l’intérieur des bâtiments, des draps à même le sol, des papiers journaux et des détritus viennent confirmer cette hypothèse. C’est là qu’ Issa Abdi et ses compatriotes ont réussi à installer des matelas et des couvertures prêtés par la municipalité de Pontoise. L’endroit ressemblerait presque à une chambre, si ce n’était le réchaud qui trône au milieu de la pièce et les odeurs de fritures froides. « Nous vivons à dix dans cette pièce. Heureusement que nous sommes nombreux, on se tient chaud », confit Issa. Comme la plupart de ses concitoyens, ce Somalien d’une quarantaine d’années est arrivé en France au mois d’août par avion, à l’aéroport international Roissy Charles de Gaulle de Paris. Aux policiers de la frontière qui l’interrogent, il déclare qu’il est demandeur d’asile. « J’ai quitté mon pays à cause de la guerre, raconte-t-il. J’étais boulanger à Mogadiscio. Au mois de juillet, des insurgés de la milice Al-Shabab sont venus me chercher pour que je les suive dans leur combat contre le gouvernement. J’ai refusé. Ils m’ont alors menacé de mort. C’est pour ça que j’ai fui ». Un récit semblable à celui des quatre-vingt Somaliens et Soudanais installés dans la caserne, fuyant pour les uns les combats de Mogadiscio ou de Kismayo en Somalie, pour les autres, la région du Darfour au Soudan. « Nous sommes tous des réfugiés politiques qui avons quitté notre pays pour fuir la guerre, » explique Jama Ahmed, un Somalien de 29 ans, qui s’est improvisé représentant des réfugiés somaliens auprès des autorités préfectorales et municipales. « Nous avons tous déposé des demandes d’asile politique auprès de l’OFPRA [Office français de protection des réfugiés et apatrides] en arrivant sur le territoire français. Mais l’OFPRA ne nous considère pas, on ne se soucie pas de nous ici. On se fiche de savoir comment on vit, ou plutôt comment on survit ! » poursuit-il avant de raconter comment il cherchait de la nourriture dans les poubelles de la Gare du Nord à Paris, il y a encore quelques semaines pour se nourrir. Les autorités ont fait la sourde oreille jusqu’à la médiatisation du squat Jusqu’en début de semaine dernière, personne ne semblait avoir entendu parler de ces réfugiés installés dans la caserne Bossut, en plein centre de la ville de Pontoise, les autorités préfectorales et municipales se renvoyant dos à dos la responsabilité de la situation. Les associations d’urgence elles-mêmes avouent avoir pris connaissance du dossier il y a deux semaines à peine. « C’est la municipalité de Pontoise qui nous a sollicités. C’est à ce moment-là seulement que nous avons apporté à ces personnes des vêtements, des légumes, des laitages en grande quantité », déclare Djamila Bordet, Secrétaire générale du secours Populaire du Val d’Oise où se trouve Pontoise. Il aura fallu l’article du journal Le Parisien pour révéler au grand jour les conditions de logement préoccupantes de ces demandeurs d’asile et faire réagir la Préfecture du Val d’Oise auprès de laquelle les immigrants ont déposé leur demande. Deux jours après la parution de l’article, Préfecture, municipalité et communauté d’agglomération, se réunissaient pour décider de reloger les occupants. « A ce jour, près d’une soixantaine de demandeurs d’asile a été relogée. La plupart sont des Somaliens. Nous avons eu plus de difficultés à convaincre les Soudanais, notamment en raison des incompréhensions liées à la barrière de la langue car ils ne parlent que très peu anglais » explique la Mairie de Pontoise, ajoutant que « d’ici quelques jours, toutes les personnes qui vivent encore dans la caserne seront relogées ». Plutôt sceptiques à l’idée d’être logés dans des hôtels, il semblerait que les quatre-vingt « squatteurs » de la caserne Bossut y aient finalement trouvé leur compte. Mais jusqu’à quand ? Certains, par peur d’être remis à la rue deux semaines après avoir vécu à l’hôtel, ne souhaitaient pas bénéficier de cette alternative. Les autorités auront eu raison de leur méfiance en les rassurant quant à l’engagement des procédures initiées. Malgré leur relogement, somaliens et soudanais gardent la tête sur les épaules et savent que rien n’est encore gagné concernant l’obtention de leur statut de réfugié. « La procédure prend beaucoup de temps. Il faut que les enquêteurs vérifient la nationalité des demandeurs d’asile, ce qui est très difficile à faire puisque pratiquement aucun d’entre eux ne possèdent de carte d’identité », précise Djamila Bordet. Il n’en demeure pas moins que pour cette fois, ces réfugiés auront eu gain de cause, et qu’une solution, même précaire, aura été trouvée pour eux. « Comme quoi, quand les autorités françaises veulent parfois, elles peuvent », conclue avec un sourire la Secrétaire générale du Secours Populaire Val d’Oise. |