vendredi 4 février 2011

"Coteau Fleuri est juste une solution de secours"

vd pc lausanneHier, 22 requérants ont été déplacés de Nyon à Lausanne. Leur cas révèle les incohérences du régime de l’aide d’urgence.

Smajic Sanel a perdu le peu de moral qui lui restait. Comme ce Bosniaque qui a raconté son parcours dans nos colonnes (24 heures d’hier), 21 autres requérants déboutés ont été déplacés hier matin par l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM). Logés jusqu’ici à Nyon, ils passeront désormais leurs nuits à l’abri de protection civile de l’école de Coteau Fleuri, dans le quartier lausannois des Boveresses.

«Pas une vie»

Dès qu’il a découvert ce nouveau dortoir, Smajic a rendu la clé du casier où il aurait pu ranger ses quelques affaires. «Je ne reste pas. Ici, ce n’est plus une vie», souffle-t-il, abasourdi. A Nyon aussi, il était hébergé dans un abri PCi. Mais là-bas, l’aménagement des lieux lui permettait de préserver une certaine intimité. Et il n’était pas obligé de quitter les lieux au matin pour n’y revenir que le soir.

Alors, à midi, dans la «structure de jour» des Boveresses, Smajic profite encore du repas frugal (un thé, un sandwich mou, une pomme, une barre chocolatée) servi aux requérants à titre d’aide d’urgence. Puis il s’en va, sans dire où il compte dormir ce soir.

Ses 21 compagnons d’infortune resteront à Coteau Fleuri. Mais eux aussi, après avoir parcouru leur nouvel abri, ont protesté contre la dégradation des conditions de leur hébergement.

La situation des «NEM»

Directeur de l’EVAM, Pierre Imhof ne comprend que trop bien. A son arrivée en 2004, il s’était donné pour priorité de renoncer aux abris PCi, mal adaptés à des hébergements qui durent des mois, voire des années. Le dernier de ces lieux avait été fermé la même année. C’était l’abri de Coteau Fleuri, celui-là même que Pierre Imhof doit utiliser une nouvelle fois aujourd’hui.

«On n’a pas d’autre choix», explique le patron de l’EVAM. Après un pic, en 2008, le nombre des requérants d’asile arrivant dans le canton de Vaud s’est stabilisé. Tous statuts confondus, ils sont aujourd’hui près de 4500. Le problème, pour l’EVAM, c’est que lorsque leur demande d’asile se solde par une «non-entrée en matière» (NEM), beaucoup restent en Suisse. Etant en «situation irrégulière», ils n’ont droit qu’à une aide d’urgence, conformément aux règles imposées par la Confédération en 2008.

Neuf cents requérants déboutés sont actuellement assistés par l’EVAM. Ce sont les «papiers blancs», comme ils se désignent eux-mêmes en extirpant d’une poche le dérisoire formulaire qu’ils doivent obtenir du Service cantonal de la population pour être pris en charge par l’EVAM.

Conséquence inévitable, les structures d’accueil de l’EVAM sont saturées. Rares, très rares sont les communes qui acceptent de contribuer à la résolution du problème. Par rapport au reste du canton, la ville de Lausanne fait déjà plus que sa part. Elle a néanmoins accepté de remettre à disposition les locaux de Coteau Fleuri, où 50 «NEM» au maximum trouveront un lit.

Paradoxes de l’urgence

Pierre Imhof n’a pas changé d’idée depuis 2004: «C’est une solution de secours.» Elle ne servira d’ailleurs que pour l’hébergement de célibataires. Si le directeur de l’EVAM n’y recourt qu’à contrecœur, c’est aussi pour des raisons économiques: «Paradoxalement, le système de l’assistance d’urgence coûte beaucoup plus cher que les autres formules d’hébergement.»

Pierre Imhof s’explique: «Nous ne devons fournir à ces migrants rien de plus qu’une aide matérielle.» Un lit, les repas, des soins si nécessaires. Mais jamais d’argent. Ce dispositif implique un encadrement onéreux. Exemple: un requérant en cours de procédure touche 8 francs par jour pour ses repas, tandis que les trois repas que l’EVAM sert aux NEM coûtent en moyenne 25 francs.

«Nos charges se réduiraient aussi si nous pouvions construire pour disposer de locaux adaptés à nos besoins», poursuit Pierre Imhof. Mais les oppositions sur le plan communal rendent tout projet immobilier des plus incertains.

Autant dire que, hier, dans l’atmosphère confinée de l’abri de Coteau Fleuri, les 22 requérants et la direction de l’EVAM n’étaient pas loin de partager les mêmes états d’âme.

Daniel Audétat dans 24 Heures


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