La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a déjà marqué son département de Justice et police de sa griffe. De l’asile à l’autorité parentale en passant par la pédocriminalité, elle évoque les dossiers sur lesquels elle compte avancer.
Elle ne nous a pas reçus dans son bureau où elle doit encore composer avec les meubles et décorations d’Eveline Widmer-Schlumpf. Mais Simonetta Sommaruga a déjà marqué le Département de justice et police, qu’elle dirige depuis le 1er novembre, de sa griffe.
Le Temps: L’UDC dicte le ton en matière de politique des étrangers. Comment allez-vous inverser la tendance? En mettant sur le tapis des thèmes tabous avant ce parti?
Simonetta Sommaruga: Je ne suis pas au Conseil fédéral pour être contre ou pour l’UDC: je fais de la politique pour la population. Des thèmes tabous? Il ne doit pas y en avoir. Pour moi, le plus important est de prendre les craintes de la population au sérieux. Je me base sur des faits pour envisager des solutions concrètes et réalisables, sans me demander si elles plaisent à la gauche ou à la droite.
– Un exemple?
– Une commission du Conseil des Etats nous a demandé de nous pencher sur l’idée de raccourcir les procédures d’asile. Pour moi, c’est vraiment nécessaire, aussi dans l’intérêt de la personne concernée. Des procédures trop longues nuisent à l’intégration et coûtent cher à la Confédération et aux cantons. Il faut par contre veiller à raccourcir les procédures dans le plein respect du droit. Cela contribuera à rendre notre politique d’asile plus crédible.
– L’UDC veut faire baisser le nombre de demandes d’asile sous le seuil de 10 000. Est-ce aussi votre objectif, vous qui prôniez une «limitation de l’immigration» dans le Manifeste du Gurten?
– Ce n’est clairement pas à la Suisse de dire combien de demandes elle accepte. Nous sommes signataires de la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés et de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipulent qu’un pays doit offrir sa protection à des personnes persécutées. Dans ce cadre, nous pouvons viser plus d’efficacité, avec des procédures plus courtes. Nous devons aussi nous engager, avec nos partenaires européens, en faveur d’un bon fonctionnement du système de Dublin, qui permet déjà de renvoyer les requérants vers le premier pays européen où ils ont déposé une demande. Ce système a déjà montré ses limites [la Suisse, comme d’autres pays, ne renvoie plus de requérants vers la Grèce, ndlr]. Mais sans Dublin, la situation deviendrait très difficile pour la Suisse.
– Que pensez-vous de l’idée de pousser les maîtres d’école à dénoncer les enfants sans papiers? Ne violerait-on pas la Convention internationale des droits de l’enfant?
– Le Conseil fédéral a donné mandat à notre département, en collaboration avec d’autres, d’approfondir cette question. Le respect de la Convention va de soi.
– Près de 200 000 sans-papiers vivent en Suisse en situation illégale. Quelles solutions prônez-vous pour mettre fin à l’hypocrisie actuelle?
– Personne n’est «illégal» en Suisse: je préfère parler de personnes sans statut de séjour légal. Ces personnes vivent souvent dans des situations incroyablement difficiles; il m’importe de clarifier leur statut. Mais je ne parle pas de régularisation: une régularisation collective n’aurait pas de sens. N’oublions pas que ces gens sont souvent là parce qu’ils trouvent du travail au noir. Des employeurs en profitent; certains ne paient même pas les assurances sociales. C’est de l’esclavage! Cela me fâche. Nous devons rapidement trouver des solutions pour combattre ce fléau, avec les cantons et les associations patronales.
– A quel point est-ce difficile pour une socialiste de gérer un DFJP bien ancré à droite? Ne craignez-vous pas, en donnant des gages à la droite, de vous éloigner de vos convictions? N’êtes-vous pas «prise en otage»?
– Ceux qui m’ont connue comme parlementaire savent que je suis très indépendante. Faire pression sur moi ne fonctionne pas. Je suis entourée d’excellents spécialistes et je suis ravie d’avoir l’Office fédéral de la justice, chargé de faire respecter l’Etat de droit, dans mon département. Mais, pour faire de la politique, il faut aussi avoir un bon contact avec la population. J’ai l’intention de rester proche des gens. Cela fera aussi du bien au DFJP.
– Des voix s’élèvent pour dénoncer des actes violents émanant de l’extrême gauche. Est-ce un phénomène qui vous inquiète?
– Je suis contre toute forme de violence. Cela veut dire que je me distancie aussi clairement de celle de l’extrême gauche, qui n’a absolument rien à voir avec les valeurs de gauche que je défends. Ce phénomène ne doit pas être négligé.
– L’UDC est associée au groupe de travail pour la mise en œuvre de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers et a déjà posé ses conditions. N’est-ce pas un exercice alibi?
– Il faut tout de suite préciser qu’il ne s’agit plus de l’initiative de l’UDC mais d’un article constitutionnel accepté par la majorité du peuple et des cantons. Je suis contente que l’UDC arrive avec des propositions concrètes. Je l’ai dit à ce groupe: si on a plusieurs propositions, il ne faut pas en présenter qu’une seule, mais exposer avec précision, pour chacune d’entre elles, quelles conséquences elles peuvent avoir, par exemple sur le respect de la Convention européenne des droits de l’homme ou de l’Accord sur la libre circulation des personnes. J’ai demandé que les conclusions me soient présentées à la mi-juin. C’est un délai très rapproché et c’est voulu: il ne faut pas que le fossé qui s’est creusé parmi les citoyens lors de cette votation très serrée perdure longtemps. Il faut travailler à rapprocher les points de vue.
– Pourriez-vous défendre un projet qui serait en contradiction avec le droit international?
– La Suisse a un intérêt à demeurer un partenaire fiable dans les relations internationales.
Valérie de Graffenried et Denis Masmejan dans le Temps
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