lundi 29 novembre 2010

Une victoire, pas une solution

L’initiative de l’UDC sur le renvoi des criminels étrangers est donc acceptée à la double majorité. Il appartient désormais au parlement d’adapter la législation pour la mettre en œuvre. Des blocages sont à prévoir sur la question de la conformité de ce texte avec le droit international.

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Infographie du Temps (cliquer pour accéder à l'original)

La victoire de l’initiative de l’UDC sur le renvoi des délinquants étrangers, dimanche, est amère pour les artisans du contre-projet, les partis du centre droit au premier chef. Le 28 novembre restera dans les mémoires comme le troisième scrutin de l’histoire des droits populaires où les citoyens ont infligé au parlement l’humiliation de préférer l’initiative qui leur était proposée au contre-projet défendu par les Chambres.

Pour les libéraux-radicaux et les démocrates-chrétiens, qui ont été à l’origine du contre-projet et qui y voyaient l’unique moyen de neutraliser l’initiative de l’UDC, la défaite est d’autant plus dure qu’ils ont des motifs objectifs d’en tenir la gauche pour coresponsable. En prônant le double non, le PS et les Verts prenaient en effet le risque de favoriser l’initiative.

Pour autant, la victoire de l’initiative est loin de clore le débat. Le texte approuvé dimanche appelle en effet le législateur à définir plus précisément les cas où la commission d’un délit entraînera la révocation du droit de séjour. Dans les mois, voire les années, qui viennent, le parlement aura la tâche délicate de traduire dans la législation une initiative qu’il a estimée, dans sa grande majorité, inapplicable telle quelle sans violer la Convention européenne des droits de l’homme et l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE, notamment. L’automatisme du renvoi postulé par l’initiative ne se concilie pas, en effet, avec ces textes, qui imposent au minimum un examen au cas par cas de la proportionnalité d’une mesure d’expulsion.

Ces questions techniques risquent d’occasionner de vrais blocages. Mais la volonté populaire s’étant exprimée, il est difficile pour les élus, à gauche comme au centre droit, de la défier en continuant à prôner des solutions qui reviendraient à faire primer, dans les faits, le contre-projet balayé ce week-end sur l’initiative. Dimanche, Simonetta Sommaruga s’est pourtant engagée à tenter d’amoindrir, sinon de résoudre, les conflits avec le droit supérieur qui ne manqueront pas de surgir. La ministre socialiste de la Justice s’est promis d’associer étroitement les initiants au groupe de travail qui sera mis sur pied avant la fin de l’année pour faire des propositions. «J’attends cependant que les membres du comité d’initiative tiennent leurs engagements, notamment celui de ne pas exiger le renvoi des auteurs de délits sans gravité réelle.»

Les conséquences concrètes qui résulteront à terme du vote populaire de ce dimanche restent donc incertaines. Les exigences du droit international ne pourront être purement et simplement ignorées, et l’exercice hasardeux auquel s’était livré le parlement pour mettre en œuvre l’initiative réclamant l’internement à vie des délinquants dangereux va se répéter avec l’expulsion des délinquants étrangers.

Les perdants d’aujourd’hui se verront contraints de donner une suite à un texte qu’ils ont combattu. «Il est à prévoir qu’ils utiliseront toute leur marge de manœuvre pour édulcorer le texte», estime le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger. Mais si les partis de gauche et du centre vont trop loin, avertit-il, «ils feront un splendide cadeau à l’UDC», la confortant dans le rôle de la seule force politique apte à défendre la volonté populaire.

«Le peuple a parlé et il faut en prendre acte, mais c’est la responsabilité des initiants de nous dire comment ils entendent mettre en œuvre leur texte», réagit le président du PDC Christophe Darbellay. Le conseiller national valaisan se dit ainsi curieux de voir quelles solutions seront proposées dans le cas de mineurs ayant commis des délits de peu de gravité. «On attend de la part des initiants des propositions concrètes», ces questions devant trouver une réponse «dans les six prochains mois».

Du côté des libéraux-radicaux, la conseillère nationale vaudoise Isabelle Moret met également en avant la responsabilité de l’UDC pour trouver des solutions, mais aussi celle de la gauche, accusée d’avoir favorisé l’initiative en rejetant également le contre-projet. L’UDC a fait «des promesses contradictoires», avertit la Vaudoise, qui pronostique que la droite dure fera tout pour faire porter aux autres partis la responsabilité d’une mise en œuvre imparfaite ou retardée de l’initiative. Pour l’élue, l’occasion doit aussi être saisie de reposer la question du contrôle de la conformité des initiatives avec le droit international.

A gauche, on se demande avec qui le centre droit fera alliance. La relativement courte majorité obtenue par l’initiative justifie que les préoccupations de la minorité soient prises en compte, juge le Vert genevois Antonio Hodgers. Car si le parlement n’y veille pas, «c’est le Tribunal fédéral ou les juges de Strasbourg qui le feront».

Denis Masmejan dans le Temps


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