Jean-Christophe Schwaab et Christophe Reymond sont les duellistes invités par 24 Heures à confronter leur opinion au sujet des mesures d'intégration des étrangers.
Les migrants enrichissent la Suisse. Par exemple, ils contri-buent plus aux assurances sociales qu’ils ne bénéficient de leurs prestations. En outre, de nombreuses branches (notamment la santé) connaî-traient de graves difficultés si elles ne pouvaient engager des collaborateurs, qualifiés ou non, provenant d’autres pays. Mais certains font mine d’ignorer ces avantages et n’ont de cesse de colporter que les migrants sont plutôt des criminels poten-tiels, des profiteurs ou des voleurs d’emplois.
Cette idéologie marque malheureusement de son empreinte la politique migratoire de notre pays, qui vise de plus en plus à une «intégration obligatoire». Et la conséquence en est la quasi-criminalisation de celui dont on considère arbitrairement qu’il «ne veut pas s’intégrer». Certes, si un «refus» prend la forme du non-respect de la législation, cela doit être sanctionné. Mais une «obligation» n’a guère de sens si celui qui l’exige ne lève pas les obstacles à l’intégration.
Car l’intégration ne peut être un processus unilatéral. Certes, celui qui souhaite s’intégrer – c’est le cas de l’immense majorité des migrants – porte une grande part de la responsabilité. Mais la société doit aussi faire en sorte que l’intégration soit possible. A l’Etat donc, au lieu de proclamer une stérile «obligation de s’intégrer», de mettre en place les politiques qui permettront réellement cette intégration.
Faciliter l’accès à des emplois décents est un des moyens les plus efficaces pour la favoriser. Cela passe, entre autres, par la maîtrise d’une langue nationale. L’Etat doit donc soutenir les cours de langues destinés aux migrants, en particulier ceux qu’organisent les partenaires sociaux dans les branches à forte main-d’œuvre étrangère, et veiller à ce que ces cours soient accessibles à tous. La loi sur le travail doit aussi faciliter leur fréquentation, notamment en accordant les congés payés nécessaires.
Mais l’accès à l’emploi ne passe pas que par la langue. Reconnaissance des titres et validation des acquis sont, elles aussi, capitales, et notre pays a encore de nombreux progrès à faire sur ce chapitre. Comment accepter, en effet, que nombre de migrants doivent se contenter d’emplois peu ou pas qualifiés, alors qu’ils sont titulaires d’un diplôme solide, acquis dans leur pays d’origine mais que la Confédération ne reconnaît pas?
Enfin, il s’agit de combattre la discrimination salariale ou à l’embauche, en particulier en battant en brèche les préjugés que peuvent avoir certains employeurs, voire en sanctionnant ceux qui appliquent des règles du jeu différentes en fonction de l’origine, du nom ou de la couleur de peau.
Soutenir l’intégration est nécessaire. Mais ce n’est pas en décrétant qui est intégré et qui ne l’est pas qu’on la rendra réellement possible. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le parti qui fait des questions migratoires son fonds de commerce est justement celui qui refuse qu’on alloue des moyens aux politiques d’intégration.
Le remue-ménage de la mon-dialisation a mis son grand pied dans la fourmilière humaine et chamboule les flux migratoires. Aux exodes très «classiques» du Sud vers le Nord s’ajoutent désormais les courants Est-Ouest. Les boat people qui dérivaient jadis en mer de Chine s’échouent désormais en Sicile ou en Andalousie. L’Italie et l’Espagne, qui furent dans l’histoire récente le berceau des plus nombreux et industrieux émigrants d’Europe, ne cessent aujourd’hui de se protéger contre des émules indésirés.
La Suisse n’échappe pas à ce phénomène dicté par la dé- mographie, et qui veut que les vieux riches (nous, donc) subissent la pression des jeunes pauvres. Elle connaît par ailleurs une immigration d’un autre ordre, extrêmement qualifiée: celle des médecins allemands, des cadres anglo-saxons de multinationales ou des ingénieurs qui restent sur place après l’obtention de leur diplôme. Est-ce aussi à ceux-là que l’on pense lorsqu’on fait des discours sur les actions à mettre en œuvre pour intégrer les étrangers?
Plutôt que de claironner indistinctement qu’il s’agit d’accroître les mesures d’intégration, prenons les choses par un autre bout. Affirmons d’abord qu’il est naturel qu’une culture soit dominante en un lieu donné. Un nouveau venu pourra choisir d’en rester éloigné, ce qui est d’ailleurs le propre d’un certain nombre de ceux que nous accueillons. Pour les plus nombreux, la volonté de s’intégrer et, surtout, l’osmose des contacts quotidiens produiront petit à petit un phénomène d’assimilation, d’autant plus heureux qu’il n’empêche en rien de conserver des liens avec la région et la culture d’origine.
Faisant un pas de plus, précisons que c’est à celui qui nous rejoint de s’adapter à nos mœurs. Le jeune étranger n’a pas à être immédiatement placé à l’école au nom de l’égalité de traitement, alors que cela peut créer des difficultés aux petits autochtones. Celui qui aspire à exercer le droit de vote doit opter pour le stade ultime de l’attachement à son pays d’accueil en en adoptant la nationalité. On pourrait multiplier les exemples, en insistant sur le fait que les différenciations sont normales.
La prééminence à accorder à sa propre communauté est naturelle; il n’y a rien non plus de choquant à ne pas céder à l’éventuel communautarisme de l’autre. Ayant proclamé cela, et parce que l’intégration est une affaire de terrain et pas de bureaucratie, il ne faut pas espérer quoi que ce soit des grandes déclarations, ni grand-chose d’une quelconque législation.
C’est en effet le travail au jour le jour qui importe, sur le terrain, grâce souvent à des organismes privés. Il s’effectue en identifiant les problèmes et leur cause, comme aussi les groupes d’étrangers concernés. Il n’a de sens que s’il est possible de trouver des solutions concrètes, que les autorités peuvent certes favoriser, mais sans activisme. Tout le reste équivaut au mieux à brasser du vent, au pire à inverser les devoirs ou à prévoir des mesures vexatoires.
24 Heures
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