mardi 2 novembre 2010

La prison de l'aéroport, dernière étape avant l'expulsion des requérants

Actuellement, 95 personnes en voie d’expulsion séjournent à la prison aéroportuaire. Motif? Leur volonté de rester malgré tout en Suisse. Visite des lieux.

prison kloten

«Je m’appelle Sora, je viens d’Algérie.» Les mots sont à peine lisibles. Ils sont gravés sur le mur d’une sinistre cellule de la prison de l’aéroport de Zurich et se perdent parmi des centaines de témoignages en allemand, en anglais ou en arabe. Sous l’infime rayon de soleil qui traverse les barreaux de la fenêtre, ces inscriptions apparaissent comme une dernière trace laissée en Suisse. Qui était Sora? Qu’est-il devenu? Ici, on ne se rappelle plus vraiment. Il a sans doute été expulsé depuis longtemps. Un sort qui attend les 95 personnes actuellement détenues dans les six étages de la section «refoulements».

«Disons-le de suite, ici, il n’y a presque pas de criminels étrangers, précise Thomas Manhart, chef de l’Office cantonal de la justice. Ces derniers purgent leur peine dans des établissements pénitenciers, puis sont expulsés sans forcément passer par cette prison.» Entre ces murs surmontés de barbelés, il y a surtout des requérants d’asile déboutés ou des immigrés en situation irrégulière. Agés de 30 ans en moyenne, ils ont pour point commun leur refus de quitter le pays et leur placement en «détention administrative».

prison kloten celluleEnfermer des gens, pour être sûr qu’ils partent plus vite, la démarche peut sembler paradoxale. Mais elle est permise depuis 1995, moyennant un régime carcéral «allégé». Les détenus doivent ainsi être séparés des délinquants condamnés. Ils peuvent téléphoner à leur guise, se balader dans les couloirs et recevoir de fréquentes visites. Les gardiens les surnomment d’ailleurs les «résidents». Mais il ne faut pas se leurrer. Ce sont bien des prisonniers. Enfermés par groupe de deux dans des cellules de 12,5 m2 avec une toilette, une table et deux lits, ils se parlent le plus souvent en criant par les fenêtres. Ils sont épiés par des caméras. Ils font des petits travaux payés 5 à 16 francs et peuvent se promener 1 h 30 par jour dans une cour cernée de murs de cinq mètres qui font résonner le vacarme des avions.

prison kloten résidente«Je n’ai commis aucun crime, aucun délit, pourtant on me prive de ma liberté, s’étonne un Tunisien d’une trentaine d’années rencontré dans la salle de prière (qui fait aussi office de salle de fitness). J’ai passé quatorze ans en Suisse, j’y ai travaillé et payé des impôts. C’est injuste.» Un étage au-dessus, dans la section des femmes, une Kenyane de 34 ans peine, elle aussi, à comprendre sa situation. «Il y a six mois, j’ai payé 1500 euros pour venir travailler en Suisse, dit-elle. Mais j’ai été arrêtée et j’attends mon renvoi depuis cinq mois.»

«Attendre, sans savoir ce qu’il va advenir est sans doute le plus difficile à vivre», reconnaît Victor Gähwiler, directeur des prisons zurichoises. Alors qu’une personne condamnée pour un délit connaît la date de sa sortie de prison, les migrants frappés d’un renvoi ne savent pas quand ils vont être expulsés. «En moyenne, ils restent 74 jours, explique-t-il. Durant ce temps, l’administration recherche leur identité et prépare leur retour dans leur pays. Mais elle n’avertit pas les détenus quand la date est fixée. La police arrive un matin et les emmène. Cela faciliterait le renvoi.»

Si ce n’est que l’attente peut durer deux ans, comme le permet la loi. Et lorsque les documents ne sont pas réunis durant ce laps de temps, les détenus sont relâchés dans la nature. Une situation de plus en plus fréquente. D’une part parce que la moitié des détenus sans papiers sont d’origine africaine et qu’il est difficile de prouver leur identité. D’autre part parce que les vols spéciaux pour Nigérians sont suspendus suite au décès d’un de leur compatriote (lire ci-contre ). Or, la prison compte 32% de Nigérians.

30 arrivées par semaine

«Nous accueillons une trentaine de personnes par semaine et n’avons que 106 places, une hausse des effectifs est à prévoir», redoute Victor Gähwiler. Outre le coût de la détention qui avoisine les 160 francs par jour et par détenu, l’homme craint une dégradation des conditions de détention. «L’ambiance est déjà beaucoup plus tendue qu’ailleurs, car les migrants ne savent pas ce qui les attend. La situation peut vite devenir difficile.»

Dans ces moments-là, les détenus n’ont que leur imagination pour s’évader. Sur un mur, ils ont peint Obélix et Astérix, ces irréductibles Gaulois, sur un autre des oiseaux qui s’envolent et, sur une table, l’un d’eux a posé l’autobiographie de Nelson Mandela: Un long chemin vers la liberté .

Nadine Haltiner, Zürich, pour 24 Heures

Photos de Martin Ruetschi / Keystone


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