jeudi 4 novembre 2010

Frambois, la pointe de ll'iceberg

Sophie Malka, rédactrice responsable de la revue Vivre Ensemble, bulletin de liaison pour la défense du droit d’asile, est l'invitée de la rubrique Opinion de la Tribune de Genève. En première partie de ce message, le texte original de Madame Malka, qui revient sur la situation dans la prison de Frambois; en seconde partie, le texte paru dans la TDG.

Frambois, la pointe de l’iceberg

sophie malkaUne cocotte-minute. L’émeute survenue le 9 octobre à la prison de Frambois est révélatrice des dégâts humains que fait peser la politique d’asile suisse sur les populations migrantes, et en particulier les demandeurs d’asile.

Frambois est un centre de détention administrative qui dépend des cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel. Y sont enfermées, parfois jusqu’à un an et demi, des personnes qui n’ont commis aucun délit. Leur seul « tort » est d’avoir déposé une demande d’asile en Suisse. Leur détention est une mesure administrative censée garantir l’exécution d’un renvoi prononcé par les autorités cantonales ou fédérales.

D’abord présentés comme consécutifs à un conflit entre ethnies par la police – version
démentie par les services d’Isabel Rochat – les événements ont très vite été minimisés : «A
Frambois, la prise en charge est excellente. Ces événements ne remettent pas en cause le
système», déclarait à la presse la secrétaire adjointe du Département de la sécurité, pour qui « la tension est montée parce que des personnes sont prêtes à tout pour éviter leur renvoi de Suisse». Une réaction significative.

Remettre en cause le système extrêmement violent de la détention administrative est une évidence pour les associations confrontées aux interrogations des détenus de Frambois. Ces recalés de l’asile se trouvent pris au piège d’un système dont ils ne connaissent ni les tenants, ni les aboutissants. Ils ignorent « combien de temps ils seront enfermés ». Ils « jugent leur sort injuste, car ils ne sont pas des criminels ». D’où un sentiment d’abandon, et une vive détresse, dénonçait, au lendemain de l’émeute, la Ligue suisse des droits de l’homme, observatrice à Frambois.

Les motifs de leur demande d’asile – quelle qu’en soit la gravité – n’ont, pour certains, fait
l’objet d’aucun examen. La Loi sur l’asile prévoit en effet plusieurs motifs de non-entrée en
matière sur la demande d’asile (NEM). Depuis décembre 2008, le dispositif s’applique aux
personnes ayant transité par un Etat membre de l’Accord de Dublin, qui prévoit la possibilité de les renvoyer vers le premier pays par lequel ils ont pénétré la forteresse européenne. La possibilité, car contrairement à ce que laissent souvent croire autorités cantonales et fédérales, rien n’oblige les Etats à renvoyer tel ou tel requérant vers l’Italie, la Grèce, la Hongrie, etc. L’accord prévoit une clause de souveraineté, donc le choix pour les Etats de traiter la demande d’asile. La Suisse n’y recourt presque jamais, même dans des situations extrêmes sur le plan humain. La raison en est simple.

Depuis 25 ans, la politique d’asile helvétique se construit sur un modèle de rejet 1; par des règles de procédure administratives, par des mesures d’exclusion sociale, et comme ici, par l’enfermement. Remettre en cause ce système, c’est aller à contre-courant du discours
ambiant de rejet de l’autre. C’est présenter la facture humaine de lois votées à renfort de
discours xénophobes.

Au moment où une nouvelle révision de la loi sur l’asile est en chantier, gageons que la nouvelle cheffe du DFJP, Simonetta Sommaruga, saura honorer les valeurs humanistes que défend son parti. Et rappeler qu’aucune des mesures proposées ne pourra influer sur la situation en Somalie, en Irak, en Erythrée ou au Nigéria. Car si des personnes sont « prêtes à tout pour éviter leur renvoi de Suisse », on devrait se demander pourquoi. Bertold Brecht disait : « On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent. Mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent »
Sophie Malka, rédactrice responsable de la revue Vivre Ensemble, bulletin de liaison pour la défense du droit d’asile

1) Vivre Ensemble, 25 ans de résistance, www.asile.ch/vivre-ensemble


L’émeute survenue le 9 octobre à la prison de Frambois est révélatrice des dégâts humains que fait peser la politique d’asile suisse sur les populations migrantes, et en particulier les demandeurs d’asile.

Frambois est un centre de détention administrative qui dépend des cantons de Genève, Vaud et Neuchâtel. Y sont enfermées, parfois jusqu’à un an et demi, des personnes qui n’ont commis aucun délit. Leur seul «tort» est d’avoir déposé une demande d’asile en Suisse. Leur détention est une mesure administrative censée garantir l’exécution d’un renvoi prononcé par les autorités cantonales ou fédérales.

«La tension est montée parce que des personnes sont prêtes à tout pour éviter leur renvoi de Suisse», a commenté le Département de la sécurité. Une réaction significative.

Remettre en cause le système extrêmement violent de la détention administrative est une évidence pour les associations confrontées aux interrogations des détenus de Frambois. Ces recalés de l’asile se trouvent pris au piège d’un système dont ils ne connaissent ni les tenants ni les aboutissants. Ils ignorent «combien de temps ils seront enfermés». Ils «jugent leur sort injuste, car ils ne sont pas des criminels». D’où un sentiment d’abandon, et une vive détresse, dénonçait, au lendemain de l’émeute, la Ligue suisse des droits de l’homme, observatrice à Frambois.

Les motifs de leur demande d’asile – quelle qu’en soit la gravité – n’ont, pour certains, fait l’objet d’aucun examen. La Loi sur l’asile prévoit en effet plusieurs motifs de non-entrée en matière sur la demande d’asile (NEM). Depuis décembre 2008, le dispositif s’applique aux personnes ayant transité par un Etat membre de l’Accord de Dublin, qui prévoit la possibilité de les renvoyer vers le premier pays par lequel ils ont pénétré la forteresse européenne. La possibilité, car contrairement à ce que laissent souvent croire autorités cantonales et fédérales, rien n’oblige les Etats à renvoyer tel ou tel requérant vers l’Italie, la Grèce, la Hongrie, etc. L’accord prévoit une clause de souveraineté, donc le choix pour les Etats de traiter la demande d’asile. La Suisse n’y recourt presque jamais, même dans des situations extrêmes sur le plan humain. La raison en est simple.

Depuis 25 ans, la politique d’asile helvétique se construit sur un modèle de rejet; par des règles de procédures administratives, par des mesures d’exclusion sociale et, comme ici, par l’enfermement. Remettre en cause ce système, c’est aller à contre-courant du discours ambiant de rejet de l’autre. C’est présenter la facture humaine de lois votées à renfort de discours xénophobes.

Au moment où une nouvelle révision de la loi sur l’asile est en chantier, gageons que la nouvelle cheffe du DFJP, Simonetta Sommaruga, saura honorer les valeurs humanistes que défend son parti. Et rappeler qu’aucune des mesures proposées ne pourra influer sur la situation en Somalie, en Irak, en Erythrée ou au Nigeria. Car si des personnes sont «prêtes à tout pour éviter leur renvoi de Suisse», on devrait se demander pourquoi.

Note:«Vivre Ensemble»,bulletin de liaison pour la défense du droit d’asile

Note:www. asile. ch/vivre-ensemble

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