lundi 8 novembre 2010

Faut-il renvoyer automatiquement les criminels étrangers ?

Dans la rubrique Opinions de 24 Heures, deux personnalités s'expriment sur l'initiative pour un renvoi systématique des criminels étrangers: Béatrice Métraux, députée et vice-présidente des Verts vaudois et Catherine Labouchère, députée et présidente du Parti libéral vaudois.

"Assumons notre prospérité et notre multiculturalité"

béatrice métrauxIl y a de la tragédie grecque dans le vote du 28 novembre prochain. La tragédie grecque renvoie l’homme à un dilemme. Le héros est pris au piège, il doit accomplir un acte déterminé et en assumer toutes les conséquences, y compris la mort. La Suisse devra-t-elle assumer les conséquences de son choix, vivre (encore) une crise interne, légiférer plus durement et subir l’opprobre international, en cas de victoire de l’initiative de l’UDC?

Je refuse ce destin, je ne veux pas être l’auteure d’une tragédie, raison pour laquelle je voterai non à l’initiative UDC et non au contre-projet.

En effet, si nous étions un peuple véritablement responsable, nous devrions assumer nos choix d’il y a quelques décennies: le développement économique aidant, l’industrie, le commerce et l’agriculture ont largement fait appel à la main-d’œuvre européenne, en particulier du sud-est du continent, moins chère, corvéable. Certaines communautés sont présentes en Suisse depuis quatre générations, elles ont travaillé à la réussite et au bien-être de notre pays. Les enfants ne parlent même plus la langue de leurs ancêtres. Renvoyer l’un ou l’autre parce qu’il dérape est tout simplement inconcevable. Nous sommes devenus une nation multiculturelle, qu’on le veuille ou non. Assumons!

Inutile de revenir sur les arguments juridiques maintes fois développés pour refuser ces textes: non-respect du droit international, non-respect du principe de proportionnalité, non-respect du principe d’individualisation de la peine et du principe de non-refoulement, violation du droit à une vie privée et familiale.

Néanmoins, deux points me semblent importants dans ce débat. Espérer une baisse de la criminalité en renvoyant des personnes de nationalité étrangère relève de la pure utopie: selon une étude d’André Kuhn, criminologue à l’Université de Lausanne, les éléments déterminants en matière de criminalité sont (dans l’ordre): le sexe, l’âge, la catégorie socio-économique, le niveau de formation. Le critère de la nationalité n’est pas déterminant. Alors, agissons en amont sur les conditions de vie, de formation des catégories vulnérables. Assurons la cohésion sociale et non l’expulsion générale.

Soyons aussi moins naïfs, plus répressifs, à l’instar du canton de Vaud; oui, j’ose cette pensée, car je ne suis pas angélique. Il m’apparaît trompeur de prétendre agir en faveur d’une baisse de la criminalité sans proposer aucune mesure pour la prévenir et l’empêcher. Les criminels doivent être poursuivis et punis. Il faut redonner du sens au service public, octroyer à la police et à la justice les moyens d’agir dans le cadre légal existant, sans oublier la prévention.

Il nous appartient désormais d’affronter notre destin: ne laissons pas passer ces textes iniques. Mais pour sauver la cité in extremis, il ne faudra pas hésiter à répondre à la question subsidiaire en préférant le contre-projet.


"Il est essentiel de privilégier la cohérence et l’intégration"

catherine labouchèreDisons-le haut et fort, l’initiative sur le renvoi des étrangers est inacceptable. Partiale, non conforme au droit international et inapplicable quand il n’y a pas d’accord de réadmission, elle ne résout en rien le questionne-ment justifié des citoyennes et citoyens face à des actes violents, criminels et abusifs. Ces interrogations nécessitent des réponses claires et sans ambiguïté.

Maintenant, nous sommes au pied du mur. Plus question de tergiverser. Les criminels étrangers doivent pouvoir être renvoyés, non pas systématiquement mais en cohérence avec les principes d’un Etat de droit. En cela, le contre-projet est une réponse adéquate à ce que nos concitoyens attendent. Il prend en compte plus de trente infractions graves (davantage que l’initiative), évalue les conséquences des renvois, et introduit des mesures préventives en accentuant celles d’intégration.

Depuis plus de soixante ans, l’Europe occidentale vit en paix, fait rarissime dans l’histoire. Cette paix a permis à la démocratie de déployer des effets très positifs. Citons, entre autres, une organisation sociale performante et solidaire, une économie florissante, la sécurité civile et la paix du travail. Globalement, on vit mieux et plus longtemps qu’avant. Pourtant, au tournant du millénaire, des lézardes sont apparues (crise du logement, dette en augmentation, chômage), créant incertitudes et angoisses. Au fil des années, ces sentiments se sont transformés en peur.

Un constat s’impose: la globalisation a engendré une mobilité économique attirant une foule de personnes en quête de travail et de conditions de vie plus attractives. Le choc des cultures a attisé la méfiance vis-à-vis des étrangers, liée à une incompréhension de leur mode de vie.

Dans notre pays, les signes avant-coureurs de cette crainte ont été les initiatives Schwarzenbach, à la fin des années 1960. Nous n’avons pas vraiment su apprendre de cette crise, mais continué à chercher des solutions sans avoir le courage de traiter le problème jusqu’au fond.

Le contre-projet a le mérite d’apporter une réponse ferme aux craintes des gens, contrairement au statu quo, vu comme une esquive et donnant le sentiment que les peurs sont ignorées.

Toutefois, résoudre durablement la question, c’est ne pas s’arrêter là, et rapidement entreprendre des réformes législatives, tant pénales que civiles. Pour cela, il faut du courage, de la ténacité et de la fermeté. D’études en projets, de consultations en recours, nous manquons trop souvent de pugnacité pour entreprendre des changements indispensables afin de répondre aux problèmes de société. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’on nous accuse de lâcheté, et que cela provoque des réactions exacerbées, simplistes et, disons-le, souvent populistes. Il est grand temps d’en prendre la mesure.

Refusons l’initiative, acceptons le contre-projet et mettons rapidement des réformes législatives en chantier.

24 Heures. Photos: Patrick Martin

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