Les praticiens de trois cantons romands décortiquent pour «Le Temps» des cas de renvoi ou de non-renvoi. L’initiative de l’UDC ne résout que très partiellement les difficultés rencontrées aujourd’hui.
L’initiative de l’UDC «pour le renvoi des étrangers criminels» soumise au vote le 28 novembre veut changer la pratique actuelle sur un point majeur: elle retire automatiquement leur autorisation de séjour (permis B) ou d’établissement (permis C) aux étrangers auteurs de délits – de toutes sortes, selon le texte. Actuellement, chaque cas fait l’objet d’une pesée d’intérêts, selon la gravité des infractions, entre la protection de l’ordre public et les droits de la personne.
Le système est laxiste, estime l’UDC. Pour mieux cerner le problème, Le Temps a demandé aux chefs du service compétent de trois cantons (Fribourg, Genève, Vaud) de sélectionner des cas réels, présentés ci-dessous, et de commenter l’initiative.
«Poudre aux yeux!»: tel est le verdict, de l’un d’entre eux. S’il s’agit de régler de façon générale le problème des étrangers indésirables, quelques chiffres montrent que l’initiative vise largement à côté de la cible. Fribourg révoquera en 2010 une dizaine de permis B ou C pour des raisons principalement criminelles, mais la grande majorité des décisions de refoulement (environ 300, sans les procédures d’asile) n’ont rien à voir avec la délinquance telle que la couvre l’initiative: il s’agit d’étrangers sans autorisation de séjour, de fausses déclarations (les mariages «blancs» sont le premier motif de révocation), etc.
Même situation à Genève, où l’on compte cette année 33 décisions de renvoi (permis B et C) pour motifs pénaux, mais 455 décisions de renvois d’étrangers sans autorisation de séjour. Vaud annonce 30 renvois de délinquants étrangers (permis B et C) mais prononce plus de 1200 décisions négatives en moyenne annuelle pour de multiples autres cas de figure.
Au fait, les autorités suivent-elles l’exécution des expulsions? Aucun des trois cantons n’a été en mesure de nous fournir des indications claires. Imprécises quand il s’agit du nombre de renvois pour toute la Suisse (750 en 2009, selon la commission pour les questions migratoires), les statistiques sont muettes sur les départs effectifs.
Et pour cause. Deux difficultés surgissent ici, auxquelles l’initiative de l’UDC n’apporte pas de vraie solution. La première est la lenteur des procédures, en particulier judiciaires. Les cantons ont des pratiques proches car «en bout de course, ce sont les autorités judiciaires qui décident», dit Patrick Pochon, chef du Service fribourgeois de la population et des migrants.
L’expulsion automatique demandée par l’initiative supprimera-t-elle vraiment tout recours, toute référence au droit international? Patrick Pochon «attend avec intérêt» la réaction des juges du Tribunal fédéral.
La lenteur (jusqu’à cinq ans entre les faits et un jugement final) gonfle les dossiers et rend parfois le renvoi impossible. «Il n’y a rien de pire que de prendre une décision et de ne pas l’appliquer», dit Bernard Ducret, chef du Service genevois d’aide au départ. «Il faut faire la chasse aux délais, à tous les niveaux», renchérit Henri Rothen, chef du Service vaudois de la population, qui se bat pour avoir des outils de suivi.
Le second obstacle est l’impossibilité d’effectuer les renvois, faute d’accord avec des pays concernés ou parce que l’application est hasardeuse. C’est le cas pour l’Algérie et le Maghreb en général, la Corne de l’Afrique, la Côte d’Ivoire. Ailleurs (Balkans), les procédures sont longues. La Suisse peut prononcer toutes les décisions de renvoi qu’elle veut; dans ces cas, les étrangers indésirables, délinquants ou non, restent chez elle, et l’initiative de l’UDC n’y changera rien.
Jean-Claude Péclet dans le Temps
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