L’avocat Philippe Currat a saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour empêcher le renvoi par la Suisse de Nijiati Abudureyimu, qui dénonce un trafic d’organes.
Confronté à une machine administrative qui refuse de l’entendre et maintient sa décision de renvoi du territoire suisse, un ex-policier chinois qui dénonce un trafic d’organes à grande échelle dans son pays a saisi la justice européenne pour un ultime recours. «Personne ne veut m’écouter ici, aucun politicien ne réagit. Si on ne force pas les autorités, il ne se passera jamais rien», explique Nijiati Abudureyimu. Son avocat, Me Philippe Currat, a déposé jeudi dernier une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg pour violation par la Suisse de plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
Face à la «mauvaise volonté» du Tribunal administratif fédéral (TAF), dernière instance de recours en Suisse, et au silence de l’Office fédéral des migrations (ODM), l’avocat genevois n’avait d’autre ressort que l’échelon européen pour s’opposer au renvoi de son client vers l’Italie. «Je n’ai jamais vu cela», constate-t-il. Le TAF a rejeté le 23 août une demande de restitution de délais pour procéder à un recours en bonne et due forme contre une décision de non-entrée en matière de l’ODM sur la demande d’asile du Chinois. L’ODM estime que son cas doit être traité par l’Italie, son premier point d’entrée en Europe, comme cela est prévu par les Accords de Dublin qui réglementent au niveau européen les flux de réfugiés. Or c’est en Norvège que se situe en l’espèce ce point d’entrée et l’Italie comme la Norvège ont montré leur absence totale de volonté de le recevoir, estime pour sa part l’avocat.
Philippe Currat constate plusieurs manquements de la part de la Suisse à ses obligations légales. «Nijiati Abudureyimu a été privé de son droit à l’assistance d’un avocat de même que de son droit à disposer d’un interprète. Il n’a donc pas eu un procès équitable, ni même un accès effectif à un tribunal», explique-t-il. Il dénonce enfin les méthodes expéditives du TAF qui a exigé des frais «inhabituellement élevés» (600 francs au lieu de 200 francs) et un délai «inhabituellement court» (12 jours au lieu de 30) pour les payer sous peine d’irrecevabilité de son recours alors que l’ex-policier se trouve dans l’indigence la plus totale, ce que savait le tribunal (il n’avait que 5 euros en arrivant en Suisse). «On lui a fermé les portes du tribunal, une façon de ne pas se prononcer sur le fond alors que l’on devrait au moins trancher la question du lieu où le renvoyer éventuellement et les conditions dans lesquelles un tel renvoi pourrait être effectué», estime encore l’avocat. Il demande en conséquence que la Suisse suspende toute procédure de renvoi et l’octroi d’une assistance judiciaire à son client.
L’ODM répond qu’il n’est pas directement concerné par ce recours qui conteste un arrêt du TAF. Philippe Gnaegi, le ministre de tutelle de l’immigration du canton de Neuchâtel – où réside Nijiati Abudureyimu – chargé de mettre en œuvre la décision de renvoi des autorités fédérales n’était pas joignable hier.
Nijiati Abudureyimu avait une première fois refusé d’être embarqué dans un avion à destination de Rome le 29 juillet dernier. Il s’estimait menacé par les services secrets chinois s’il devait retourner en Italie où il avait déjà séjourné sans obtenir la moindre attention des autorités locales. Le conseiller d’Etat neuchâtelois Frédéric Hainard (qui a entre-temps démissionné) l’avait alors rapatrié vers son canton en expliquant qu’à titre personnel il serait «favorable à l’asile pour ce cas».
Arrivé en Suisse le 9 novembre 2009, l’ex-policier avait déposé une demande d’asile en témoignant du calvaire qu’il avait vécu dans son Xinjiang natal (région autonome ouïgoure du nord-ouest de la Chine) où il était chargé de mener les condamnés à mort au peloton d’exécution. Il a ensuite témoigné publiquement sur le prélèvement d’organes provenant de prisonniers. En tant qu’ancien agent de l’Etat, il peut être considéré comme un témoin clé de ce trafic. Il dénonce également les tortures infligées dans les geôles chinoises.
Nijiati Abudureyimu est très inquiet pour les membres de sa famille restés au Xinjiang. Ce lundi, il apprenait que sa sœur aînée a disparu depuis le 25 juillet. Il craint qu’elle n’ait été enlevée – voire éliminée – par des agents de la sécurité chinoise afin de l’intimider. Il y a plus d’un an, son père était décédé dans des circonstances étranges, selon ses dires, deux mois après qu’il eut reçu des menaces alors qu’il se trouvait en Norvège. A présent il a peur pour la vie de sa mère, de sa femme et de sa fille. Il lance cet appel: «J’espère que les autorités suisses feront quelque chose, sur le plan humanitaire, auprès du Parti communiste pour protéger ma famille.»
Frédéric Koller dans le Temps
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