A l’invitation du «Tages-Anzeiger», six femmes ont débattu mardi soir à Zurich de l’interdiction de la burqa, ou du niqab, pour employer le terme correct. Même parmi celles qui s’opposent à une interdiction, la réprobation, voire l’agressivité envers la seule femme à porter le voile intégral lors de la discussion étaient palpables. Un article de Catherine Cossy dans le Temps.
La réprobation voire l’agressivité étaient palpables. Sur le podium, six femmes alémaniques s’engageant pour les droits des femmes avaient été invitées mardi soir à Zurich, par le Tages-Anzeiger, à débattre d’une interdiction de la burqa, ou niqab, selon le terme exact. Nora Illi, la déléguée aux questions féminines du Conseil central islamique suisse, drapée dans un voile intégral noir qui ne laissait voir que la fente de ses yeux, polarisait par sa seule présence. S’engageant à ses côtés contre une interdiction, Jacqueline Fehr, conseillère nationale et vice-présidente du Parti socialiste suisse, a commencé par l’attaquer de front: «Cette question est un faux débat qui nous coûte de l’énergie que nous ferions mieux d’investir pour améliorer l’intégration, notamment à l’école. Cela ne concerne pas Mme Illi, qui peut même se permettre de travailler depuis la maison. Avec le zèle de convertie qu’elle démontre, et sa manière de se couper des autres, je la considère plutôt comme membre d’une secte.»
«Vous avez déjà fait des progrès, je vois vos mains, contrairement au débat télévisé auquel vous avez participé la semaine dernière», a lancé à Nora Illi Rosmarie Zapfl, ancienne conseillère nationale PDC et actuelle présidente d’Alliance F, regroupant les associations féminines de Suisse. Elle argumente en faveur d’une interdiction: «Dans toutes les religions, les femmes subissent des discriminations. Le port de la burqa est un retour en arrière. Rien dans le Coran ne prescrit le voile. Mme Illi ne peut pas dire qu’elle vit le seul vrai islam.»
Saïda Keller-Messahli, présidente du Forum pour un islam progressiste, renchérit: «Cela me fait mal quand je vois ce que Mme Illi fait avec ma religion. Il faut interdire le niqab avant que nous ayons une situation comme en France. Derrière cette façon de cacher, et donc de nier, son corps, je vois un refus de s’exposer au monde extérieur, c’est une attitude régressive.»
Troisième partisane de l’interdiction, la psychologue thurgovienne et auteure de livres à succès sur les rapports entre femmes et hommes Julia Onken, qui s’était déjà engagée pour l’interdiction des minarets, s’est sentie obligée de prendre la défense des hommes: «Ces femmes emballées d’un voile noir suggèrent que les hommes ne sont que des bêtes dominées par la testostérone. Je dis pourtant que si l’on peut apprendre à un berger allemand à ne pas mordre dans la saucisse qui est devant son nez, on peut aussi apprendre aux hommes à se maîtriser.»
Une salve d’attaques que Nora Illi ne pouvait laisser passer: «L’islam n’est pas une secte. Je n’ai pas la prétention de représenter tout l’islam, mais une facette de cette religion. Je trouve que le niqab est mieux pour moi, mais je n’ai jamais dit que toutes les musulmanes doivent le porter. Une interdiction aurait pour conséquence que les femmes portant le niqab resteraient cloîtrées chez elles.» Seule à ne pas se sentir agressée par la présence de Nora Illi en monolithe noir, Stella Jegher, membre de la direction d’Amnesty International Suisse, a rappelé que la liberté des femmes ne pouvait pas être garantie par des interdictions. «On instrumentalise les droits des femmes pour discriminer une religion. Il est tragique que l’on voie dans l’interdiction du niqab un signe contre l’oppression, alors que c’en est un contre l’islam.»
Les inquiétudes face à l’islam n’en demeurent pas moins fortes. Les circonvolutions de Jacqueline Fehr en témoignent: «Je suis contre le port de la burqa, un visage caché dans l’espace public me gêne. Il est pour moi hors de question qu’une femme portant un voile intégral travaille dans un hôpital, une banque ou au supermarché. Mais je suis opposée à ce que l’on légifère pour le moment. Une interdiction ne ferait qu’aggraver le problème.» Une argumentation qui, pour Rosmarie Zapfl, ne tient pas: «Les parents qui demandent des dispenses de cours de natation pour leurs filles sont toujours plus nombreux, nous ne pouvons pas être tolérants. Il faut donner un signe fort. On a dit la même chose pour les mariages forcés, et maintenant, il y a un projet de loi en consultation.»
La discussion a bien montré que les positions, à part celles de Nora Illi, ne sont pas si éloignées. La centaine de femmes qui portent le niqab en Suisse mettent les intervenantes devant un casse-tête. Pour les tenantes de l’interdiction, il faut enrayer le mouvement le plus vite possible. Les autres pensent que les priorités sont ailleurs. Elles se retrouvent sur un point: si la question était soumise au verdict populaire, l’interdiction l’emporterait en tous les cas.
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