mercredi 27 janvier 2010

Driton Ibrahimi, clandestin accidenté, menacé et tabassé

Driton Ibrahimi travaillait au noir. Au printemps 2009, l’ouvrier fait une chute sur un chantier. Depuis, c’est la descente aux enfers. Une enquête d’Alain Walther dans 24 Heures.

Driton Ibrahimi© PHILIPPE MAEDER | Depuis son agression à Crissier Driton Ibrahimi, sans-papiers et sans domicile, a trouvé refuge chez des Lausannois en attendant la décision des Prud’hommes.

«Ils m’ont frappé et menacé de s’en prendre à mes enfants.» Driton Ibrahimi, travailleur clandestin kosovar, a été agressé une nuit de l’été dernier à Crissier. Depuis, il a peur et se cache. L’agression a eu lieu au coin de la rue des Alpes et de la rue de l’Industrie, à côté d’un gros pâté de maisons.

C’est là que, le soir, au rez-de-chaussée, des ouvriers portugais viennent boire un verre après le boulot. Dans les étages, trois studios sous-loués accueillent des travailleurs clandestins kosovars. Sur le palier, on trouve six paires de chaussures devant la porte d’un seul studio. Le propriétaire loue à une personne, mais, parfois, dix autres peuvent dormir dans la même pièce.

Agresseurs inconnus
C’est en se rendant à cette adresse, chez un ami qui acceptait de l’abriter pour la nuit, que Driton Ibrahimi, clandestin et père de famille kosovare de 30 ans, a été tabassé par quatre inconnus masqués d’un bas de soie. Roué de coups, lardé de coups de tournevis à deux pas de l’immeuble, Driton Ibrahimi a aussi encaissé les menaces de ses agresseurs: «Ils m’ont dit qu’ils m’apporteraient la tête de mes enfants qui vivent au Kosovo.» Accompagné par Me Jean Lob, Driton Ibrahimi a déposé une plainte pour agression avec lésions corporelles. «La police cantonale enquête, confirme le juge d’instruction Philippe Vauthier, mais l’identification des agresseurs est difficile.»

Menacé avec un marteau
Dans l’Est vaudois une autre plainte, nominative celle-là, a été déposée par Driton Ibrahimi. Elle visait un chef d’équipe de l’entreprise Bili Coffrages. Le 10 juillet dernier, devant témoin, sur un chantier à Aigle, le chef d’équipe aurait serré la gorge de l’ouvrier et l’aurait menacé d’un coup de marteau. L’employé au noir réclamait son salaire. Pour l’heure, la justice ne lie pas les deux affaires.

Tout avait commencé par une chute sur un chantier à Villeneuve. Le 27 mai, l’ouvrier tombe de trois mètres alors qu’il porte une lourde poutre. «Le chef d’équipe m’a dit d’aller chez un médecin qu’il connaît et de dire que j’étais tombé à vélo.» Il ne mentira pas, se rendra seul au CHUV et sera oublié par son employeur.

Versions contradictoires
«Il n’y a pas eu d’altercation sur le chantier de Villeneuve, deux personnes se sont juste échauffées», confirme Adnan Gashi, patron de Bili Coffrages. La version de Werner Schmidt, le secrétaire syndical d’Unia qui accompagnait le salarié, est beaucoup plus musclée. «J’ai empêché le chef d’équipe de frapper, raconte Werner Schmidt. Ensuite, nous avons été entourés de six hommes qui avaient tous des marteaux.»

Des tensions sur les chantiers, le syndicaliste à la retraite depuis peu en a vu d’autres. Cette fois, il s’agissait de récupérer deux mois de salaire (140 francs par jour, soit 15 fr. 55 de l’heure au lieu des 25 fr. 35 de la convention collective). L’ouvrier était payé de main à main dans un bowling de l’Ouest lausannois. L’entreprise concède deux semaines, l’employé revendique deux mois. Ils se rencontreront mardi prochain devant les Prud’hommes, à Nyon. «Je m’expliquerai devant le tribunal, ajoute Adnan Gashi, car tout a été fait dans les règles de l’art.»

Hier, Driton Ibrahimi, clandestin recueilli par des bonnes âmes lausannoises, avait peur pour ses enfants et sa famille. Il redoute des représailles au Kosovo. «Il faudrait qu’ils puissent changer de région.» Pour sa personne, il craint encore d’être pris à partie par des inconnus quand il ose sortir dans la rue.

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