Asile: les chiffres et la réalité
LE COURRIER - Paru le Mercredi 25 Mars 2009SIMON PETITE
Le métier de conseiller fédéral est décidément ingrat. Pour sa première apparition devant les médias à Genève, Eveline Widmer-Schlumpf avait prévu de faire la promotion de ses mesures de durcissement de l'asile. Mais c'était sans compter l'arrestation, la veille, d'un requérant irakien à Zurich.
En temps normal, l'intéressé ne serait jamais sorti de l'anonymat des statistiques. Un renvoi de plus ou de moins? Mais Fahad Kammas n'est autre que le principal protagoniste de «La Forteresse». Ce documentaire, qui a valu à son réalisateur Fernand Melgar un léopard d'or au dernier festival de Locarno, raconte le quotidien du centre d'enregistrement de Vallorbe.
Mme Widmer-Schlumpf n'ignore rien de ce cas, puisqu'elle a vu le film. Bien sûr que faire du cinéma ne constitue pas un motif d'asile suffisant. Quant à ceux qui s'énervent de la médiatisation de ce cas au détriment d'autres, on leur rétorquera que l'Irakien s'apprête malgré tout à être expulsé.
A l'émotion suscitée par les histoires relatées dans les médias, la conseillère fédérale préfère les chiffres. C'est plus commode. L'an dernier, les demandes d'asile ont augmenté de 53,1%, notez la virgule. Il faut donc à tout prix diminuer l'attractivité de la Suisse, a défendu Mme Widmer-Schlumpf.
D'où le nouveau tour de vis proposé. Une des mesures en consultation jusqu'à la mi-avril consiste à supprimer la possibilité de déposer une demande d'asile dans les ambassades helvétiques. Là aussi, la ministre a cité des chiffres: 3000 requêtes en 2008 pour un taux d'acceptation de moins de 10%. Conclusion de la Grisonne: «Beaucoup de travail pour peu de résultats.»
Si la conseillère fédérale souhaite juguler l'afflux de réfugiés, ce n'est pas pour le plaisir des chiffres. Il s'agit de garder une marge de manoeuvre politique pour accueillir les personnes vraiment en danger. On aimerait la croire. Mais l'exemple de M. Kammas est loin d'être rassurant.
Le jeune homme a eu le tort de s'engager comme interprète auprès de l'armée étasunienne en Irak. Alors que l'occupant a entamé son retrait mais que le pays est loin d'être pacifié, il n'est pas difficile d'imaginer les risques encourus par les anciens collaborateurs. Si lui ne se trouve pas en danger, qui peut prétendre l'être?
On nous dit que le problème est ailleurs. La Suisse ne peut accueillir le héros de «La Forteresse», car il a déjà déposé une demande d'asile en Suède. L'Union européenne et les accords de Shengen-Dublin ratifiés par la Suisse ont bon dos. En réalité, rien n'empêcherait Berne de se saisir de cette demande d'asile, comme de tant d'autres.
Quant aux circonstances de l'arrestation de M. Kammas, Mme Widmer-Schlumpf évoque le «hasard». Des requérants arrêtés alors qu'ils sont convoqués pour toucher l'aide sociale ou pour d'autres motifs bénins, ce genre de coïncidences arrivent pourtant fréquemment en Suisse. Naïveté ou cynisme? Laissons à la ministre le bénéfice du doute.
Il faut pourtant reconnaître à celle qui a succédé à Christoph Blocher une certaine lucidité. Les durcissements de l'asile ont des limites, a-t-elle concédé. D'autant plus que tous les pays européens rivalisent de fermeture. Qui brisera la spirale de ces durcissements?
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