L’arrestation surprise, à Zurich, du héros du film La forteresse a indigné ses défenseurs. L’Irakien sera probablement renvoyé dans son pays via la Suède. Mais de nombreuses interrogations restent en suspens. Le point. Un article de Martine Clerc dans 24 Heures.
Fahad K. est incarcéré depuis lundi après-midi dans une prison zurichoise. L’arrestation surprise du requérant d’asile irakien – alors qu’il se rendait à l’Office cantonal des migrations pour collaborer au bon déroulement de sa procédure – a provoqué la stupeur de ses défenseurs. Fahad K. a en effet été interpellé avant même que son avocate ne soit mise au courant de la décision négative du Tribunal administratif fédéral (TAF).
Une chose est sûre: dans trois jours, peut-être plus, le jeune homme, que le cinéaste lausannois Fernand Melgar a filmé dans son documentaire La forteresse, devrait être renvoyé en Suède en vertu des accords de Dublin. C’est à Stockholm en effet qu’il a déposé sa première demande d’asile. De là, il pourrait être expulsé vers Bagdad, où il risque la mort.
FAHAD K. EST-IL TOMBÉ DANS UN GUET-APENS? C’est l’accusation lancée par Fernand Melgar. «Lundi, Fahad, à la demande de l’Office fédéral des migrations, s’est rendu, confiant, à l’Office des migrations de Zurich pour s’y inscrire, car il avait été attribué à ce canton. C’était un piège. Il y a été immédiatement arrêté.» Elise Shubs, la mandataire juridique de l’Irakien, dénonce: «La décision négative du TAF ne m’est parvenue par fax que lundi après-midi, au moment même de l’arrestation, alors que l’arrêt était daté du 19 mars. C’est incompréhensible!»
«Il ne s’agit pas d’un piège, mais d’un hasard», corrige-t-on à l’Office fédéral des migrations (ODM). La police zurichoise aurait-elle été prévenue de la décision négative de la justice avant même la mandataire juridique de l’Irakien? «Absolument pas. La mandataire a bien été la première informée lundi dernier, puis l’ODM, et enfin l’Office des migrations du canton de Zurich dans l’heure qui a suivi», assure Magnus Hoffmann, porte-parole du TAF. La police aurait été avertie par l’Office cantonal des migrations. «La date du 19 mars inscrite sur l’arrêt indique le jour où la décision a été prise par les juges, précise le porte-parole du TAF. Mais il n’est pas rare que son envoi aux parties intervienne plusieurs jours après.»
POURQUOI LE RENVOI? Le TAF se base principalement sur l’application stricte des accords de Dublin: le requérant d’asile est renvoyé dans le premier pays de l’espace Dublin, en l’occurrence la Suède, où il a déposé une demande. L’arrêt précise aussi que l’Etat scandinave respecte les conventions internationales en matière d’asile.
LA SUISSE AVAIT-ELLE LE CHOIX? En clair, les juges fédéraux auraient-ils pu appliquer la clause de souveraineté, rendant possible le traitement de la demande d’asile de Fahad K. par la Confédération? «En principe oui, estime Francesco Maiani, professeur à l’IDHEAP (Institut des hautes études en administration publique), expert en droit européen de l’asile. Mais en l’espèce, le TAF a fait preuve d’une très grande retenue vis-à-vis de la décision de l’ODM de ne pas appliquer cette clause.» Cet arrêt est-il amené à faire jurisprudence? «On ne saurait pas exclure que le TAF intervienne à l’avenir pour bloquer un «transfert Dublin». Dans ce cas particulier, les juges n’étaient manifestement pas persuadés des risques encourus par le requérant en Irak. Et d’autre part, ils ont attribué du poids au fait que le requérant disposerait encore d’un recours en Suède.» En aucun cas, Fahad K. ne pouvait être considéré comme un «cas de rigueur», la durée de sa présence en Suisse n’étant pas suffisante (lire ci-dessous).
SERA-T-IL RENVOYÉ EN IRAK? Possible, via la Suède qui a déjà refusé sa demande d’asile. Mais les juges du TAF assurent avoir des garanties de l’Etat scandinave que Fahad K. pourra déposer un recours dès son arrivée à Stockholm. Il pourra ainsi demeurer en Suède jusqu’à l’issue de la procédure. «Il s’agit de garanties claires dont le Tribunal ne voit aucune raison de mettre en doute la fiabilité», tranche le TAF.
Elise Shubs, elle, nourrit des doutes. L’an dernier, l’Irakien n’avait pas eu l’opportunité de faire valoir ses droits dans le temps imparti. Elle rappelle la politique d’asile restrictive de la Suède, qui a mis en place des procédures accélérées pour renvoyer chez eux les migrants irakiens. «La Suède expulse des requérants vers tout le territoire irakien. Alors que la Confédération ne renvoie que les ressortissants irakiens vers le nord du pays, jugé sécurisé.» Rappelons que la Suisse, la France et Amnesty International (AI) sont à l’heure actuelle opposés à tout renvoi forcé vers l’Irak. La section suisse d’AI a déjà pris contact avec son homologue suédoise pour garantir un soutien à Fahad K. dès son renvoi. «Amnesty a les preuves que d’autres interprètes irakiens qui collaboraient, comme Monsieur K., avec les forces américaines ont été tués en raison de leur activité», martèle Daniel Graf, porte-parole.
QUE RÉPOND EVELINE WIDMER-SCHLUMPF? Mi-mars, la conseillère fédérale avait reçu Fernand Melgar à Berne pour évoquer le sort de l'Irakien. Le réalisateur s’était dit touché par son «écoute bienveillante». Aujourd’hui, il se sent «profondément trahi». Invitée hier à Genève par le Club suisse de la presse, la ministre a estimé que même si le cas de Fahad K. a été médiatisé et que le sujet est émotionnel, il n’y a pas de raison de le traiter différemment des autres requérants. Elle a soutenu la décision de non-entrée en matière de ses services, rappelant que l’Irakien dispose encore en Suède d’une possibilité de recours. Sur l’arrestation à Zurich: «Il n’y a pas eu de piège. Si la décision du TAF est tombée au moment où Monsieur K. était à Zurich, c’était un hasard. La loi a été appliquée.»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire