La question de la libre circulation des personnes, au-delà de ce qu'elle doit à la controverse spécifique sur la politique européenne et aux problèmes internes de l'UDC, plonge ses racines dans une contradiction qui a marqué et continue à marquer la vie politique suisse depuis le début des années 60, entre la soif de main-d'œuvre étrangère de l'économie et la peur de la surpopulation étrangère dans une large partie de la population. L'évolution du statut de saisonnier, les initiatives xénophobes, la politique d'asile, la politique européenne et notamment la libre circulation des personnes, voilà autant de dossiers qui s'inscrivent, directement ou indirectement, entièrement ou partiellement, dans cette continuité. La Suisse a besoin des travailleurs étrangers, mais en même temps elle redoute les immigrants et s'évertue depuis plus de trente ans à en endiguer et à en contrôler le flot. Endiguer le flot Endiguer et contrôler le flot, c'est bien ce que veulent les adversaires de la libre circulation, qui considèrent que la votation du 8 février représente la dernière occasion, politiquement si ce n'est formellement, de refuser l'ouverture des frontières qu'implique à long terme, une fois toutes les réglementations transitoires arrivées à échéance, la mise en œuvre pleine et entière de la libre circulation des personnes. L'UDC s'était déjà opposée, vainement, en 2005 à l'extension de la libre circulation des personnes aux dix nouveaux Etats membres de l'UE. Elle s'est résignée à la défaite ou en tout cas fait mine de se résigner, à cette défaite. Mais les deux nouveaux candidats sont à de nombreux égards exemplaires comme repoussoirs, avec une forte différence de niveau de vie, de culture et de culture politique, un niveau élevé de corruption, ainsi qu'un problème tout à fait spécifique avec la communauté rom en Roumanie, au point qu'ils suscitent une solide méfiance à l'intérieur même de l'UE. L'UDC anticipe une défaite sur l'extension à la Bulgarie et à la Roumanie comme une sorte de blanc-seing à toutes les extensions futures. Il sera en effet difficile d'effrayer la population avec les candidats admissibles dans un avenir prévisible, comme la Croatie, par exemple, dont il faut rappeler que, contrairement à la Bulgarie et à la Roumanie, elle faisait partie, il y a encore nonante ans, du même univers politique et culturel que le nôtre, puisque intégrée dans l'empire austro-hongrois. Doublement inacceptable L'extension de la libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie est pour la majorité de l'UDC doublement inacceptable, dans la mesure où elle entre en résonance avec le renforcement de l'intégration à divers titres et des pressions de l'UE, en particulier dans le domaine de la fiscalité. Il y a là l'occasion non seulement de poser un verrou à l'immigration, mais encore de donner un coup de frein à l'intégration, après une série ininterrompue de défaites pour les adversaires de l'Europe, qui ont d'autant plus mal pris le paquet ficelé par les Chambres qu'il les privait d'une campagne simple et ciblée contre les seuls Bulgares et Roumains. S'agissant de l'immigration, il y a tout de même un formidable paradoxe dans l'attitude des milieux nationalistes à propos de la libre circulation. C'est bien l'intégration européenne qui a rétréci le cercle des immigrants aux ressortissants des pays européens plus les USA et le Canada et c'est bien à l'époque où la Suisse était la seule et unique maîtresse de ses frontières qu'elle les a largement ouvertes à l'immigration balkanique, et dans une moindre mesure turque, que dénonce aujourd'hui de la façon la plus virulente l'UDC. Une immigration largement nourrie par le statut de saisonnier, qui aura marqué, jusqu'à la fin des années 80, la politique suisse de la main-d'œuvre. Engagés pour neuf mois avec l'interdiction de faire venir leur famille et de changer d'employeur, entassés dans des baraquements, les saisonniers, italiens d'abord, puis espagnols, portugais et balkaniques, attendaient le sésame, le permis B qui leur était accordé au terme de quatre saisons effectuées en Suisse. Depuis la fin de la dernière guerre, le recrutement de la main-d'œuvre étrangère s'est progressivement élargi du plus proche au plus lointain. En 1948 un accord est signé avec l'Italie. En 1961 suit un accord avec l'Espagne. En 1964, un nouvel accord avec l'Italie prévoit la conversion du permis de saisonnier en permis B et accélère le regroupement familial pour les porteurs de permis B. Reprise durant les années 80 Après un ralentissement de l'immigration dans les années 70, dû aux effets de la première crise pétrolière en 1974, celle-ci reprend de plus belle dans les années 80. La zone de recrutement s'élargit alors au Portugal, à la Turquie et aux Balkans. En 1991, le Conseil fédéral adopte la politique dite des trois cercles (Europe - Canada, Etats-Unis et Europe de l'Est, reste de la planète). Les Yougoslaves, et parmi eux les Kosovars, ainsi que les Turcs basculent dans le troisième cercle. Ils ne peuvent plus venir comme saisonniers et ceux qui n'ont pas accompli quatre saisons en Suisse perdent tout espoir d'obtenir jamais un permis B. Nombre d'entre eux, et notamment les Kosovars, au moment où la répression s'accentue chez eux, se transforment alors en demandeurs d'asile. En 1998, le système des trois cercles est remplacé par une séparation du monde en deux: d'un côté l'UE, les Etats-Unis et le Canada, de l'autre le reste de la planète. L'un des arguments majeurs des adversaires de la libre circulation des personnes est que la Suisse n'a nul besoin d'un tel accord pour obtenir de la main-d'œuvre étrangère dont elle a besoin en faisant appel à qui elle veut comme elle veut. Si l'on admet que même cet exercice de pleine souveraineté nécessite un minimum d'organisation, il vaut la peine de rappeler les gémissements des différents acteurs du monde économique à l'époque où la Suisse n'avait effectivement pas besoin d'accords internationaux pour faire venir des saisonniers. C'était la grande foire d'empoigne pour la répartition des contingents de travailleurs étrangers, jamais suffisants, avec tout ce que cela suppose d'attentes déçues, de retards, de goulets d'étranglement et de rigidités et en fin de compte de frein à la croissance. |
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