C'est du jamais-vu, ou presque! A peine les 114 895 signatures de l’initiative antiminarets étaient-elles déposées hier à Berne, que le Conseil fédéral prenait déjà position contre le texte. Un article de Nadine Haltiner dans 24 Heures.
Une démarche extraordinaire pour les sept Sages, qui ont pour habitude de communiquer officiellement juste avant que le projet passe au parlement. C’est bien simple: on n’avait plus vu ça depuis 1934. Le Conseil fédéral était alors sorti du bois immédiatement pour lutter contre une initiative des socialistes visant à combattre la crise économique, au moment même où planait sur l’Europe «la menace communiste ». C’est dire si le gouvernement considère aujourd’hui le projet antiminarets, lancé par des élus UDC et de l’Union démocratique fédérale (UDF), comme sensible.
«Eviter une polémique inutile»
Mais pourquoi un tel empressement? Le gouvernement céderait- il à la panique? A vrai dire, dans son communiqué, il s’adresse moins à ses citoyens qu’aux pays étrangers, prioritairement musulmans. «Cette initiative demandant que l’interdiction de construire des minarets soit inscrite dans la Constitution fédérale a été lancée par un groupe de citoyennes et citoyens suisses, précise-t-il. Il ne s’agit pas d’une initiative du gouvernement (…) Il n’y a pas de doute que le Conseil fédéral invitera le peuple suisse et le parlement à la rejeter.» Que craint donc le gouvernement en agissant de la sorte? «Un malentendu» répond Oswald Sigg, porte-parole du Conseil fédéral. Nous avons toutes les peines du monde à expliquer le fonctionnement de notre démocratie directe à l’étranger, où notre système est méconnu. En expliquant que ce projet ne vient pas de lui, mais qu’il s’agit d’une question de la population, le Conseil fédéral veut éviter une polémique inutile.» C’est que tout le monde a en tête la crise suscitée par les caricatures de Mahomet au Danemark, à la fin de l’année 2005. Ambassades attaquées, drapeaux brûlés et menaces de boycott avaient suivi la publication des dessins dans la presse. Autant de risques qui pourraient aussi guetter la Suisse. «L’idée est d’éviter une éventuelle radicalisation de certaines personnes, parce qu’on a vu ce qu’ont provoqué les caricatures danoises», analyse Guido Balmer, porte-parole de l’Office fédéral de la police.
Calmer le jeu
«Calmer le jeu.» Tel est donc le mot d’ordre du Conseil fédéral, qui préfère arroser le terrain pour éviter tout incendie. Et cela fait des mois qu’il oeuvre dans ce sens. Face à des initiants qui dénoncent «une accélération de l’islamisation rampante en Suisse» et fustigent des minarets «symboles de l’impérialisme islamique», Berne a déjà dû se justifier plus d’une fois. «Les représentations suisses dans les pays musulmans ont mené ces derniers mois une campagne d’explication de notre démocratie», ajoute Guido Balmer.
En janvier dernier, Micheline Calmy-Rey a rencontré le secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique pour dédramatiser l’affaire. En mars, plusieurs dirigeants musulmans se sont dits préoccupés par l’initiative. Et, en début d’année, lors de son voyage diplomatique au Maroc et en Egypte, Pascal Couchepin a aussi dû s’expliquer.
Aujourd’hui, le communiqué du Conseil fédéral sonne comme un nouvel appel au calme. Ne craint-il pas au contraire de susciter l’effet inverse?
«Le Conseil fédéral ne donne pas plus de poids à l’initiative en prenant position maintenant », conclut Oswald Sigg.
Reste que les initiants se frottent déjà les mains pour ce coup de pub inattendu.
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