Le Conseil communal craint les débordements. Organisateur de la conférence, Oskar Freysinger ne lâchera pas l’affaire.
«Une évaluation des risques a été faite, et nous en sommes arrivés à la conclusion que le danger de débordements était trop élevé.» C’est en ces termes que Michel Dubuis, président socialiste de Savièse (VS), a annoncé jeudi après-midi la décision du Conseil communal (exécutif) d’interdire la visite du politicien néerlandais Geert Wilders, prévue le 11 juin prochain dans son village. Le leader populiste avait été convié par le parlementaire UDC Oskar Freysinger à tenir une conférence dans la salle communale sur la thématique des «problèmes liés à l’islamisation de l’Europe» et à y présenter son film polémique, Fitna. Ce court métrage est actuellement sous le coup d’une procédure judiciaire pour comparaison entre le Coran et Mein Kampf d’Adolf Hitler (LT du 21.05.2011).
Le choix d’interdire cette manifestation se justifie, selon le président de commune, par une évolution rapide de la situation ces derniers jours. «Des rendez-vous en vue de l’événement se sont répandus sur Internet, et un appel à une contre-manifestation a été lancé, souligne Michel Dubuis. Face à un tel cas, les autorités communales sont démunies sur le plan sécuritaire.» La décision du conseil, réuni en assemblée extraordinaire, s’est faite à l’unanimité des voix. Seul l’élu UDC Jean-Luc Addor s’est récusé: chef de campagne d’Oskar Freysinger, l’homme est aussi celui qui avait réservé la salle en vue de l’événement.
Pour Oskar Freysinger, justement, cette interdiction est incompréhensible: «Nous avons agi dans la plus grande transparence. J’avais informé le président il y a deux mois, le contrat de location avait été signé à l’époque. Michel Dubuis ment clairement quand il fait mine de découvrir seulement maintenant de quoi il s’agit.» Autre son de cloche auprès des autorités saviésanes, qui rappellent que la halle des fêtes avait été réservée pour une réunion politique ordinaire, et non pas pour un «invité extraordinaire». Oskar Freysinger n’adhère pas à cet argument: «Geert Wilders est un personnage élu, qui joue le jeu de l’Etat de droit. Par contre, je constate que des individus tels que l’islamiste biennois Nicolas Blancho, qui prônent des mesures contraires à notre loi, peuvent se réunir sans problème. Il s’agit d’une restriction injuste de la liberté d’expression, et un signe inquiétant pour la démocratie.»
Face à cette accusation, Michel Dubuis tempère: «Nous n’avons aucune velléité de censure, il s’agit uniquement d’une question de sécurité. En tant que président de commune, je me dois d’assurer avant tout la sûreté de mes concitoyens. Le représentant de l’UDC (Jean-Luc Addor, ndlr) n’a pas pu nous donner de garanties suffisantes en ce sens jeudi matin.» Un argument balayé par Oskar Freysinger: «L’organisateur est tenu de garantir la sécurité à l’intérieur de la salle, et nous avions d’ailleurs prévu un service d’ordre à cet effet. Pour ce qui se passe autour, c’est à la police cantonale de jouer.» Le politicien assure d’ailleurs avoir reçu un préavis positif du commandant de la police valaisanne en début de semaine. Une affirmation démentie par le porte-parole des forces de l’ordre, Jean-Marie Bornet: «Nous n’avons absolument pas pris position sur ce cas. Nous ne nous substituons pas aux décisions des autorités. Il ne faut pas instrumentaliser la police cantonale.»
Malgré le camouflet communal de Savièse, Oskar Freysinger n’entend pas baisser les bras: «Il n’est absolument pas question que je cède. J’ai invité cette personne, j’ai tout fait dans l’ordre, et les autorités font un scandale de dernière minute alors que tout aurait pu se passer calmement.» Un nouveau lieu de rendez-vous a d’ailleurs déjà été trouvé: la cave à vins de Dominique Giroud, à Sion. Catholique traditionaliste et proche ami de l’élu UDC, l’encaveur s’est distingué ces dernières années par ses prises de position tranchées contre l’avortement ou la gay pride (LT du 20.04.2011). «Il s’agit d’un homme courageux, qui trouve cette restriction de la liberté d’expression scandaleuse», assure Oskar Freysinger. Contacté en cours d’après-midi, Dominique Giroud n’était pas disponible pour répondre à nos questions.
■ Le commentaire de Christoph Blocher, ancien conseiller fédéral, stratège de l’UDC
«Je ne peux pas comprendre cette décision de la commune de Savièse. En Suisse, on doit pouvoir inviter tout le monde. Je n’ai jamais manifesté contre les communistes qui sont invités en Suisse, alors que cette idéologie a fait plus de morts que les nazis! En Suisse, on doit avoir la possibilité de parler, et cela vaut pour tous les politiciens. Peut-être que Wilders est trop à droite, mais pourquoi ne peut-il pas parler? Je ne connais pas son film, je ne veux pas le voir, mais pourquoi interdire les choses?»
■ Le commentaire de Pierre Maudet, conseiller administratif libéral-radical de la Ville de Genève
«Sur ces questions, je suis par principe très libéral et hostile à des interdictions préventives. Ce fut le cas dans l’affaire Dieudonné [interdit par deux fois de spectacle à Genève, ndlr], alors même que je ne l’apprécie pas du tout. Dans ce domaine, c’est la norme pénale antiraciste qui fixe la limite. Mais interdire d’emblée, cela fait de la publicité et cela va à fin contraire.»
Nicolas Gschwind dans le Temps
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire