Yves Brutsch, ancien porte-parole pour l'asile des Centres sociaux protestants, est l'invité de la rubrique Opinions de 24 Heures.
Dans une interview publiée par 24 heures le 20 mai dernier, le président du Parti socialiste suisse PSS), Christian Levrat, exprimait notamment son soutien à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et au projet d’accélération de la procédure d’asile, «compensée» par une aide juridique qui serait apportée aux requérants. Selon lui, «les idées qu’elle présente étaient déjà défendues par les milieux de l’asile dans les années 90».
Cette affirmation appelle une mise au point.
L’idée de compenser le durcissement et l’accélération de la procédure d’asile par une aide juridique permettant aux réfugiés de mieux faire valoir leurs motifs a effectivement beaucoup été discutée autour de l’arrêté urgent sur la procédure d’asile voté en 1990 sous l’impulsion du démocrate-chrétien Arnold Koller.
J’étais alors porte-parole pour les questions d’asile des Centres sociaux protestants (CSP), lesquels ont revendiqué les premiers, dès 1988, une véritable assistance juridique pour les requérants. De son côté, Christian Levrat a été, dans les années 90, chef du service juridique de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), une organisation «faîtière» coupée des réalités et sans structure démocratique.
Malheureusement, celui qui est aujourd’hui président du PSS a la mémoire courte. Et loin de correspondre aux idées «défendues par les milieux de l’asile», le projet de Mme Sommaruga suscite une opposition farouche chez tous ceux qui défendent les réfugiés sur le terrain.
Seule l’OSAR – qui s’était opposée avec succès, en 1990, aux propositions des CSP afin de conserver les subventions que lui accordait l’Office fédéral des réfugiés pour organiser la présence d’un observateur aux auditions de demandeurs d’asile – offre aujourd’hui sa caution à une aide juridique censée justifier un nouveau durcissement de la procédure, qui va encore beaucoup plus loin que ce que M. Blocher et, plus récemment, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf ont pu proposer. Comment comprendre ce paradoxe? Il vaut sans doute la peine de l’expliquer.
Lorsque j’ai eu l’honneur de présenter une proposition d’assistance juridique – appuyée à l’époque par la Fédération suisse des avocats, les Eglises protestantes et l’Union syndicale suisse notamment –, il s’agissait de trouver un équilibre dans une procédure d’asile n’ayant pas encore subi tous les outrages accumulés par les révisions législatives qui se sont succédé depuis vingt ans. De fait, il est scandaleux que des réfugiés, qui arrivent chez nous traumatisés, soient piégés par une procédure visant surtout à déclarer leurs motifs invraisemblables, sans même bénéficier de la pré- sence d’un défenseur, alors que le moindre malfrat bénéficie d’un avocat d’office s’il doit passer en jugement.
Le périodique Vivre Ensemble expliquait longuement, sous ma plume, en 1989 et 1990, que la présence d’un défenseur d’office permettrait d’améliorer qualitativement la procédure d’asile, et de la raccourcir. Car la longueur de cette procédure est essentiellement causée par l’arbitraire et la superficialité des décisions de l’Office fédéral des migrations (ODM), qui provoquent la multiplication des recours, demandes de réexamen et autres révisions. Le taux de succès (la moitié des requérants finissent par obtenir le droit de rester en Suisse, malgré une jurisprudence très restrictive) démontre que le problème réside bien dans la mauvaise qualité du processus initial de décision.
Le président du Parti socialiste et sa conseillère fédérale veulent aujourd’hui nous faire croire qu’ils entendent, vingt ans plus tard, reprendre cette idée. Mais la procédure qu’ils proposent n’a plus rien d’équitable. Elle tend systématiquement à entraver les recours et à priver le requérant du temps nécessaire pour organiser sa défense.
Le meilleur avocat du monde ne peut pas travailler sérieusement si on lui impose un délai de recours de quelques jours, au terme d’une ins- truction bâclée, là où toutes les procé- dures administratives prévoient un délai de recours de 30 jours. Cela d’autant moins que la procédure d’asile multiplie par ailleurs les chicanes (absence de droit de regard sur l’instruction du dossier, absence de féries pendant les congés de Noël, de Pâques et les vacances d’été, frais de procédure abusifs, etc.).
L’idée qu’il suffirait d’assurer la présence de conseillers juridiques de l’OSAR pour garantir l’équité de la procédure d’abattage que propose Mme Sommaruga, avec l’objectif de liquider en quelques semaines 80% des demandes d’asile en assignant les requérants à résidence dans des centres fédéraux à l’écart des agglo- mérations où ils pourraient trouver de l’aide, n’est hélas qu’une triste farce. Elle n’a rien à voir avec les propositions que j’ai eu l’honneur de défendre il y a vingt ans. Si l’OSAR, qui ne représente qu’elle-même, se rallie à ce projet, c’est encore pour des questions d’argent. Il s’agit pour elle de trouver de nouvelles subventions en s’alignant sur les désirs de l’ODM. Qui paie commande, c’est bien connu. Et le président du PSS, empêtré dans une stratégie électorale nauséabonde et cherchant à ménager la chèvre et le chou, ne fait que travestir la réalité quand il se réclame des «milieux de l’asile».
Ceux qui sont, sur le terrain, aux côtés des réfugiés, s’opposeront farouchement, aujourd’hui comme hier, à ce qu’on sacrifie la protection des personnes menacées de persécution aux dérives xénophobes qui ont envahi le débat politique suisse depuis des décennies.
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