La Suisse serait-elle en train de devenir le royaume des référendums anti-étrangers ? Dimanche, le peuple helvétique est appelé à se prononcer sur un texte de loi qui vise à priver de droit de séjour les étrangers condamnés pour un délit grave. Pour Gilbert Casasus, professeur en études européenne à l'Université de Fribourg, une partie de l'électorat se radicalise..
En cette fin de novembre, la Suisse s’apprête à vivre un dimanche électoral auquel elle nous a malheureusement trop habitués depuis quelques années. Après les référendums sur l’asile, l’accueil des étrangers et l’immigration en 2006 et celui sur l’interdiction des minarets en 2009, voilà que le peuple suisse va vraisemblablement se prononcer pour la privation du droit de séjour pour les criminels étrangers, « indépendamment de leur statut et de tous leurs droits à séjourner en Suisse ». Sont visées notamment toutes les personnes qui « ont été condamnées par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d'une autre nature tel que le brigandage, la traite d'êtres humains, le trafic de drogue ou l'effraction; ou si elles ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale ».
Fruit d’une initiative populaire, déposée comme à l’accoutumée par ladite Union Démocratique du Centre (UDC), ce référendum ne laisse planer aucun doute sur l’idéologie profondément xénophobe de ce parti. Parce que conscient des effets négatifs que pourrait entraîner l’adoption de ce texte par le peuple, le Conseil fédéral, soit le gouvernement suisse, a décidé de proposer « un contre projet » destiné à « préciser les motifs de révocation, (à) tenir davantage compte du degré d’intégration lors des décisions (et à) réserver le principe constitutionnel de la proportionnalité des mesures prises par l’autorité et le droit international public ». Toutefois, parce que trop proche de l’initiative de l’UDC, ce contre projet est également combattu par une grande partie de la gauche et par l’ensemble des organisations de défense des droits de l’homme.
De même, nombre de juristes s’insurgent contre l’initiative de l’UDC. Ils la jugent contraire à plusieurs clauses de la Convention européenne des droits de l’homme et en contradiction parfaite avec les accords de libre circulation des personnes que la Confédération helvétique a conclus avec l’Union Européenne. Celle-ci a d’ailleurs d’ores et déjà manifesté ses plus vives inquiétudes et menacé Berne à demi-mot de remettre en cause l’avenir des négociations bilatérales qu’elle a menées depuis une dizaine d’années avec la Confédération helvétique. Enfin, de nombreuses voix s’élèvent contre cette initiative, la considérant tout simplement comme inapplicable car se heurtant, et heureusement, à trop de garde-fous et de recours juridiques.
Mais tous ces avertissements ne semblent pas faire mouche. De plus en plus, les étrangers, criminels ou non, deviennent les parfaits boucs-émissaires d’une Suisse repliée sur elle-même. Alors qu’elle doit sa prospérité au plus de 1,8 million d’immigrés qu’elle accueille sur son territoire, la Confédération helvétique n’est donc pas à l’abri d’un racisme, par nature honteux et dégradant. Notamment promu par un parti de plus en plus proche de l’extrême droite, il gagne du terrain chez un électorat que l’on n’aurait jamais soupçonné, il y a quelques années, de sympathies xénophobes. Ainsi de nombreux citoyens, électeurs de la droite traditionnelle, désirent désormais apporter leur suffrage à l’initiative de l’UDC.
Car c’est bel et bien au centre-droit que se joue l’avenir politique de la Suisse. Officiellement qualifiés de « bourgeois », les partis de la droite centriste n’arrivent guère plus à se positionner au sein d’un échiquier politique qu’ils ont dominé durant plusieurs décennies. Parce qu’incapables de rompre leurs alliances nationales, cantonales et locales avec l’UDC, ils sont même prêts à abandonner leurs propres idées pour faire allégeance à celles de l’Union Démocratique du Centre. Si les chrétiens-démocrates, souvent fidèles aux principes humanistes de la religion, s’opposent en grande majorité à cette initiative, il n’en est pas toujours ainsi chez certains libéraux et chez nombre de leurs électeurs dont beaucoup se reconnaissent dans les thèses de la droite dure. Déjà très proches des milieux patronaux et fervents partisans du néolibéralisme économique, ces libéraux, que l’on nomme « radicaux » en Suisse romande, prennent désormais leurs distances vis-à-vis de positions qui naguère avaient fait leur force.
Il y a quelques semaines, ils ont renoncé à leur engagement européen et renvoyé aux calendes grecques une adhésion éventuelle de la Suisse à l’Union européenne. Quant aux idées de la philosophie libérale, elles sont de plus en plus reléguées au second plan. Reste alors aux libéraux, dignes de ce nom, le soin de se démarquer de l’UDC et de ne pas tomber dans le piège que celle-ci tend avec succès aux responsables de leur parti. Car en Suisse, comme partout ailleurs en Europe, la démocratie ne saurait accepter la remise en cause de l’État de droit et les atteintes portées aux libertés individuelles qui s’appliquent à chaque citoyen, quelle que soit sa nationalité.
Marianne2 offre sa tribune à Gilbert Casasus, professeur en études européennes à l'Université de Fribourg
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