mercredi 3 novembre 2010

A propos de la votation sur le renvoi des criminels étrangers

Charlotte Iselin et Isabelle Moret sont les invitées de la page Opinion de 24 Heures où elles débatent des prochaines votations sur le renvoi des criminels étrangers.

charlotte iselinLa loi et la pratique actuelles sont déjà très dures

Le 28 novembre, nous voterons sur l’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels» et sur le contre-projet direct du Conseil fédéral. Ce qui se joue dans cette votation va bien au-delà de la question apparemment posée.

C’est certain: la législation actuelle permet déjà aux autorités d’expulser une personne étrangère lorsqu’elle met en danger de manière grave et répétée la sécurité et l’ordre publics. Cela concerne tous les types de permis, y compris les permis C; les ressortissant(e)s de l’Union européenne sont visés comme ceux d’autres Etats.

C’est aussi certain: en cas de condamnation pénale, les autorités font un usage fréquent de cette possibilité d’expulser. On peut donc affirmer que les lois et la pratique actuelles sont déjà très dures. A tel point d’ailleurs que la Suisse s’est fait blâmer à plusieurs reprises par la Cour européenne, car des décisions prononçant l’expulsion de personnes étrangères condamnées violaient la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

En substance, la Suisse a été condamnée pour n’avoir pas respecté le principe de proportionnalité. De quoi s’agit-il? Dit simplement: «On ne tire pas sur des moineaux avec un canon.» Ce principe fondamental protège les citoyen(ne)s face aux interventions étatiques, qui doivent éviter de porter aux droits fondamentaux une atteinte excessive par rapport au but visé. L’Etat ne peut pas prendre des mesures lourdes de conséquences sans effectuer une balance des intérêts en présence. Ce principe est ancré dans la Constitution fédérale, mais aussi dans plusieurs conventions internationales. Cette protection des individus face à l’Etat vaut pour tout le monde, et donc aussi pour les personnes étrangères.

En proposant un système d’expulsion automatique en cas de condamnation pour certains délits, y compris de simples «abus» à l’aide sociale, l’initiative sur le renvoi s’attaque frontalement au principe de proportionnalité. Les personnes étrangères seraient ainsi privées de cette protection fondamentale. Ce système conduit donc aussi à une violation du principe d’égalité, puisque certains êtres humains ne seraient pas mis sur le même pied que les autres. Les droits humains prévus par les conventions internationales ne pourraient plus être respectés. Sur tous ces points, le contre-projet du Conseil fédéral n’offre pas d’alternative, car il prévoit aussi l’obligation d’expulser sans respect du principe de proportionnalité.

Le projet politique derrière l’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels» apparaît ainsi clairement: supprimer la notion d’égalité, réduire les droits humains à une simple décoration. Fondés sur l’amalgame entre nationalité et délinquance, l’initiative et le contre-projet conduisent à la suppression de droits fondamentaux. La rhétorique des moutons noirs ne doit pas nous aveugler. C’est bien d’une transformation radicale de notre société dont il est question. C’est à cela que les Juristes progressistes vaudois disent deux fois non.


isabelle moret 2Le contre-projet a le mérite d’être clair et cohérent

A force de trop promettre, l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels manque de crédibilité.

L’initiative est mensongère quand elle promet le renvoi de tous les moutons noirs. Nombre de personnes ne pourront être renvoyées: en vertu du principe fondamental de non- refoulement (pas de renvoi vers des pays où torture et traitements inhumains menacent), mais également en raison de problèmes pratiques, comme l’impossibilité d’établir la nationalité du délinquant ou le refus d’un pays de reprendre ses ressortissants. Les partisans de l’initiative ont beau bomber le torse, ils ne pourront changer cette donne.

L’initiative est également dangereuse pour la Suisse. En prônant un automatisme de renvoi, elle remet en cause les principes qui ont fait le succès et la solidité de notre Etat de droit. Sur un plan de politique extérieure, l’initiative mettra notre pays en grande difficulté politique vis-à-vis de l’UE. En effet, l’initiative entre en conflit direct avec l’accord sur la libre circulation des personnes – qui contient déjà des mesures strictes et précises quant au renvoi des criminels – comme l’a démontré encore récemment l’expertise indépendante du professeur Tobias Jaag, de l’Université de Zurich.

Soutenu par un large spectre politique – une partie de la gauche et l’ensemble des partis du centre-droite –, le contre-projet permet de pallier les graves défauts de l’initiative. Le principe inspirant le contre-projet est clair: les étrangers criminels ne respectant pas notre ordre juridique et les valeurs de notre Constitution doivent quitter la Suisse. A la différence de la législation actuelle, qui permet déjà des renvois, il a le mérite de stipuler un standard clair et cohérent, qui devra être appliqué de manière uniforme dans tout le pays. Le contre- projet va même plus loin que l’initiative, tout en étant plus conséquent. Le catalogue d’infractions y est, en effet, plus détaillé et plus complet. L’arbitraire est évacué au profit d’une meilleure prévention de la criminalité.

Une répression plus conséquente ne saurait résoudre l’entier du problème. Une meilleure intégration est une arme de prévention de premier plan contre la criminalité. Le contre-projet contient un article absolument central visant à une meilleure intégration: tout en clarifiant les compétences, il met en place des standards ambitieux, capables d’assurer une égalité des chances réelle pour tous. Cette intégration ne doit pas rester un simple vœu pieux. C’est sur le terrain, dans les villages, dans les clubs sportifs, que l’intégration doit être soutenue et portée.

En plus du renvoi des étrangers commettant de graves délits, seul un engagement pour une meilleure intégration permettra d’améliorer durablement la situation de tous. Que ceux qui sont tentés par le «deux fois non» y pensent au moment de voter et qu’ils n’oublient pas que, dans tous les cas, ils peuvent choisir à la question subsidiaire entre l’initiative et le contre-projet. C’est eux qui feront la différence.

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