L'initiative de l'UDC soumise au vote le 28 novembre n'est pas applicable telle quelle. Principal obstacle? Le renvoi automatique des étrangers condamnés est contraire au droit international et au principe de proportionnalité. Et l'application de l'initiative serait incompatible avec l'Accord de libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE. A Fribourg, Patrick Pochon, chef du Service de la population et des migrants, explique pourquoi le canton n'expulse que 5 à 8 personnes par an.
La campagne sur l'expulsion des délinquants étrangers, voulue par l'UDC au mépris des principes généraux du droit suisse et international, et désirée par le Conseil fédéral dans le respect de l'ordre juridique, soulève de nombreuses questions. Quelle est au juste l'attitude du Service de la population et des migrants (SPOMI) envers les criminels étrangers? Chef du service, Patrick Pochon répond sans détour.
«L'Hebdo» estime entre cinq et huit les renvois de délinquants décidés chaque année à Fribourg, alors que les tribunaux en condamnent des dizaines. Confirmez-vous ces chiffres?
Patrick Pochon: Je confirme, mais je précise. Présentés comme cela ils ne signifient rien. Nous prenons en compte les seuls cas où la condamnation est le motif unique, d'autres cantons annoncent tous ceux où elle s'ajoute à d'autres motifs. Nous comptons les personnes ayant un droit au séjour, soit les permis C, dont l'expulsion est décidée pour la seule raison de leur condamnation. Et seulement dans les cas où la décision a été exécutée. D'autres cantons ajoutent les permis B et les étrangers en situation irrégulière et les renvois non exécutables.»Sur une année, nous examinons en gros dix révocations de permis C pour un motif pénal. Sept débouchent sur une décision de renvoi, deux ou trois seront remises en cause par les tribunaux supérieurs, ou ne seront pas exécutables pour des raisons pratiques. Les raisons de certaines décisions ne résident pas uniquement dans la condamnation pénale. Il peut s'y ajouter d'autres motifs: le manque d'intégration sociale ou la dépendance de l'aide publique par exemple.»En prenant en compte ces motifs de refus multiples, on arrive entre 22 et 25 révocations de permis C par an. A quoi s'ajoutent les permis B et les étrangers en situation irrégulière.
Mais quand même, cinq à huit, ça ne vous paraît pas faible?
Non. Nous recevons les jugements, et nous avons des juristes spécialisés qui pondèrent tous les éléments d'appréciation et les comparent avec la jurisprudence. Elle nous oblige à prendre en compte tous les éléments pour et contre le renvoi, en pesant l'intérêt public de la Suisse à expulser, et les intérêts privés de l'étranger et de ses proches à rester. Ce chiffre résume ces examens. Si le SPOMI décidait de l'augmenter, en fixant un quota ou en durcissant sa pratique, ses décisions ne passeraient pas les tribunaux supérieurs. On n'est pas là juste pour se faire désavouer.
Quels sont les aspects de la condamnation pris en compte?
Le premier, c'est la durée de la peine, qui mesure la gravité de la faute. A partir d'un an, le Tribunal fédéral estime qu'elle est assez grave pour justifier l'expulsion, même si la peine a été assortie d'un sursis. Le type de délit est aussi important. Un gros trafic de stupéfiants, la violence, un viol sont appréciés plus sévèrement.»Nous devons regarder encore d'autres éléments pour mesurer le danger que le condamné présente: les rapports psychiatriques, du Patronage, etc. Et bien sûr la situation du condamné, dans le cadre du principe de proportionnalité et du droit international, par exemple la Convention européenne des droits de l'homme, qui protège la famille. Dans un cas où nous avions prononcé l'expulsion d'un violeur condamné à trente-cinq mois de prison, le Tribunal cantonal a jugé que notre service n'avait pas assez tenu compte de l'évolution possible de la situation du recourant. Ce jugement nous oblige à prendre davantage cet aspect en considération à l'avenir.
A votre sens, qu'est-ce que l'acceptation de l'initiative de l'UDC changerait à votre pratique?
Dans un premier temps, certainement beaucoup: l'autorité n'aura aucune marge de manœuvre et devra renvoyer automatiquement dans les cas prévus par l'initiative. L'examen actuel n'aura plus lieu d'être. Le gros point d'interrogation sera l'attitude du Tribunal fédéral qui pourrait prendre en compte les principes généraux du droit sur recours et «tirer» les décisions vers l'ordre juridique. Contre l'avis du peuple qui, s'il accepte l'initiative, dira clairement qu'il ne veut pas de ça.»Le contre-projet, préservant notre capacité d'examen, ne changerait pas fondamentalement la pratique, mais donnerait une impulsion claire vers plus de sévérité et une pratique harmonisée entre les cantons. C'est une impression, à vérifier dans les faits.
Et que fera-t-on alors des délinquants qui doivent être renvoyés mais qui ne peuvent pas l'être?
Ce qu'on fait maintenant, car nous avons déjà des décisions bloquées. Il y en aura simplement davantage. Si l'Etat de destination refuse de reprendre ses ressortissants, ce qui est le cas de nombreux pays africains, le renvoi forcé restera impossible. Restera la possibilité de tenter d'inciter d'une manière ou d'une autre les condamnés à accepter leur renvoi. C'est un peu tout ce qu'on pourra faire, et c'est une gageure.
Propos recueillis par Antoine Rüf dans la Liberté
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