Paradoxe: le pays se plaint des immigrés au moment où ils se font rares. Et quand l’économie en a le plus besoin.
Pas un jour ne passe sans que les immigrés, l’intégration, l’islam, n’alimentent les polémiques en Allemagne. Ce week-end, la chancelière Angela Merkel a d’ailleurs enterré le modèle multiculturel et posé des conditions aux immigrants (lire ci-contre) . Pour tenter de calmer le jeu. Car le livre choc de Thilo Sarrazin mettant en garde ses concitoyens contre l’invasion musulmane a déjà été vendu à un million d’exemplaires!
Horst Seehofer, chef de la démocratie chrétienne bavaroise, veut stopper l’immigration arabe et turque. «Les étrangers viennent chez nous pour abuser de l’Etat social», estiment trois Allemands sur dix, selon une récente étude sur «le développement des idées d’extrême droite». Guido Westerwelle, ministre des Affaires étrangères et chef du Parti libéral, estime qu’il faut vérifier la contribution de chaque nouvel immigré à l’Allemagne.
Autant de débats qui semblent dépassés à la lecture des dernières statistiques officielles. Elles révèlent que, en 2008, pour la première fois depuis vingt-quatre ans, le nombre de personnes qui quittent l’Allemagne a dépassé celui des nouveaux arrivants. Une tendance confirmée en 2009 avec 721 000 immigrants, contre 734 000 partants.
Des chiffres inquiétants car les projections démographiques officielles, qui annoncent une réduction spectaculaire de la population active au cours des décennies à venir, partent d’un solde d’immigration positif de 100 000 à 200 000 nouveaux arrivants par année! «Un chiffre qui devrait même s’élever à 500 000 chaque année», estime Klaus Zimmermann, président de l’Institut économique allemand de Berlin (DIW). Si l’Allemagne, en dépit de son maigre taux de natalité, «veut conserver tout son potentiel économique».
Entrepreneurs inquiets
Contrairement aux craintes de Horst Seehofer et de Thilo Sarrazin, les nouveaux arrivants viennent aujourd’hui d’Europe de l’Est, et non de Turquie ou du monde arabe. En 2009, 130 000 d’entre eux venaient de Pologne, 56 000 de Roumanie, 29 000 de Bulgarie. Trente mille seulement venaient de Turquie, autant que des Etats-Unis.
«Le nombre de Turcs qui quittent l’Allemagne aujourd’hui est supérieur d’un tiers à celui de ceux qui y arrivent, souligne Memet Kilic, expert des Verts pour l’immigration. Un nombre croissant de jeunes très qualifiés ne trouvent plus la République fédérale attractive. Ils préfèrent les Etats-Unis, le Canada, ou Istanbul pour les jeunes Turcs. Le sentiment du pays d’accueil à leur égard est aussi déterminant que les lois en vigueur ou le niveau des salaires.»
Or, «les entreprises allemandes manquent déjà de 59 000 à 70 000 ingénieurs et techniciens supérieurs», constate Reiner Klingholz, expert démographe. Et les pays d’Europe de l’Est, qui ont les mêmes problèmes démographiques que l’Allemagne, ne lui serviront pas de réservoir de main-d’œuvre. Nombre de Polonais retournent déjà chez eux, où les conditions de vie et de travail leur sont plus favorables.
L’Allemagne aura donc toujours besoin des immigrés du monde musulman, des Turcs en particulier. Mais les polémiques actuelles n’y préparent guère les Allemands .
Michel Verrier, Berlin, pour 24 Heures
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