Alors que la chancelière Angela Merkel déclare que le «multiculti» a échoué, le président se rend ce lundi en Turquie en plein débat sur la place des musulmans en Allemagne.
Tandis que le chef de l’Etat allemand Christian Wulff se rend ce lundi en Turquie, la chancelière Angela Merkel a durci le ton sur l’intégration des étrangers. Lors d’un discours samedi devant les Jeunesses conservatrices (JU), elle a déclaré que le projet de «société multiculturelle» avait définitivement échoué. «Le multiculti est mort!», a-t-elle insisté sous les applaudissements nourris.
Ce constat d’échec du «multiculturalisme» n’est pas nouveau. La gauche et les écologistes, qui avaient prôné les sociétés parallèles vivant dans un respect mutuel, ont fait machine arrière ces dernières années. Mais les déclarations de la chancelière interviennent dans un contexte particulier, à cinq mois d’élections régionales importantes dans le Bade-Wurtemberg et après la parution, début septembre, du brûlot anti-islamique de Thilo Sarrazin.
Le livre de l’ancien membre social-démocrate du directoire de la Bundesbank est un succès de librairie avec déjà plus de 700 000 exemplaires vendus. Depuis, l’Allemagne est plongée dans un débat enflammé sur l’intégration et la place de l’islam dans la société.
Les langues se sont déliées et les conservateurs ont repris à leur compte les positions de Thilo Sarrazin. Horst Seehofer, le patron de la droite bavaroise (CSU), a pris la tête de la fronde en réclamant la semaine dernière un arrêt de l’immigration «turque et arabe». Une vraie provocation au moment même où Angela Merkel recevait le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. «Nous sommes en faveur d’une société avec la culture allemande comme référence identitaire», a-t-il répété samedi. «Nous avons un million d’immigrés qui refusent de s’intégrer […] Il ne doit plus y avoir d’immigration issue de milieux culturels qui rejettent notre culture», a ajouté Alexander Dobrindt, le secrétaire général du parti. Enfin, la jeune ministre CDU de la famille, Kristina Schröder, a réclamé un débat sur le «racisme musulman» contre les Allemands.
La chancelière pense quant à elle que «l’islam fait partie de l’Allemagne», se rangeant derrière les déclarations controversées du chef de l’Etat lors de la cérémonie anniversaire des vingt ans de la réunification. «Plus de 2500 imams officient chaque semaine dans les mosquées. Ignorer la réalité n’est pas une réponse aux problèmes qui nous attendent», a-t-elle déclaré samedi. La chancelière a pris une nouvelle fois en exemple Mesut Özil, le footballeur allemand d’origine turc de l’équipe nationale. «Ce n’est pas le seul exemple d’une intégration réussie», dit-elle.
Sa position divise profondément les conservateurs. «La chancelière désoriente nos adhérents. Avec elle, il ne sera pas possible de gagner des voix», ont critiqué au cours du week-end des responsables des Jeunesses conservatrices.
Par ailleurs, plusieurs sondages inquiétants – mais sans nouveauté – ont attisé la controverse sur la place de l’islam dans la société. La Fondation Friedrich-Ebert, proche du Parti social-démocrate (SPD), a publié une enquête révélant que 37% des Allemands étaient favorables à «une Allemagne sans islam». Environ 13% des Allemands prôneraient même un «Führer» pour diriger le pays. Ils étaient 15,4% il y a quatre ans… On ne constate aucune évolution significative concernant le racisme. «Le niveau de la xénophobie est même moins élevé qu’en 2002 et 2004», constatent les experts.
L’échauffement des esprits inquiète néanmoins les 4 millions de musulmans qui vivent en Allemagne (environ 5% de la population). «Le débat a quelque chose de positif, car nous pouvons enfin nous expliquer», estime l’iman de la mosquée Khadija à Berlin-Pankow, Abdul Basit Tariq. «Mais les campagnes de haine risquent de déclencher des réactions violentes parmi les extrémistes musulmans», craint-il. «Imaginez un attentat en Allemagne ou en Europe. Ce serait une catastrophe pour nous tous», dit-il.
Les organisations de la communauté turque ont demandé des excuses à Horst Seehofer pour ses propos jugés «irresponsables». La communauté juive s’est invitée dans un débat qui, selon elle, se «radicalise». Le secrétaire général du Conseil central des Juifs d’Allemagne y voit un «danger pour la cohésion sociale». Le débat actuel est «sans rapport avec le sujet, hypocrite et hystérique», insiste Stephan Kramer. «Horst Seehofer nous prépare un terrain favorable à l’extrémisme», ajoute le chef du groupe parlementaire écologiste, Jürgen Trittin.
Dans ce contexte, le discours mardi du président de la République fédérale allemande sera très attendu devant le parlement turc.
Christophe Bourdoiseau, Berlin, pour le Temps
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