mercredi 2 décembre 2009

Surenchère

Surenchère

Paru le Mercredi 02 Décembre 2009
RACHAD ARMANIOS

SuissePrès de sept mille personnes sont descendues hier dans la rue, principalement à Lausanne et à Genève, pour dire «non» à l'exclusion, deux jours après le plébiscite de l'interdiction des minarets. Tandis que le succès de la droite populiste helvétique donne des idées à ses cousines un peu partout en Europe, ces manifestations sont un important signal que la Suisse n'a pas sombré comme un seul homme dans l'islamophobie.
Une islamophobie délicate à saisir: car au rejet pur et simple de l'altérité se sont ajoutées des craintes, exprimées à travers la discrimination. Or les partis ont échoué à apaiser ces peurs. Pis, ils semblent y avoir renoncé si l'on en juge la campagne molle et en ordre dispersé qu'ils ont menée. Au lendemain du vote, seuls les Verts se montrent conséquents en soutenant le projet de porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme. Quant aux autres partis, ils s'alignent face à la droite dure. L'UDC prévient: il faudra renoncer aux engagements internationaux de la Suisse plutôt que de revenir sur le vote populaire. «Il n'y aura plus de nouveaux minarets en Suisse», se couche le président du PDC Christophe Darbellay.
La première formation à avoir cédé, déjà avant le vote, a été le petit Parti évangélique. Soutenir le non lui a valu de fracassants départs. Il a voulu freiner l'érosion en proposant une «barrière de sécurité pour l'islam» sous forme d'une référence constitutionnelle au christianisme.
Puis, au lendemain du vote, Christophe Darbellay, encore lui, a immédiatement ressorti de ses tiroirs l'interdiction de la burqa. Alors que seules des touristes arabes s'accoutrent ainsi, le Valaisan veut prévenir plutôt que guérir, empruntant à l'UDC sa rhétorique préférée. Enfin, se désolant de n'avoir pas su répondre aux craintes des femmes durant la campagne, le président des socialistes Christian Levrat durcit le ton au nom de l'émancipation féminine. Il s'engouffre dans un piège. Ce sont bien l'UDC ou l'UDF, les pires détracteurs de l'islam, qui entravent en premier lieu l'émancipation féminine. Cela n'empêche pas de critiquer certaines pratiques comme le voile, mais sans en exagérer la portée, sans inventer des problèmes (burqas) ou faire croire que nous sommes démunis (mariages forcés).
Car les musulmans, de qui on exige un dialogue, demandent d'avoir des interlocuteurs qui les entendent. Mieux, des partenaires prêts à les aider à relever l'immense défi qui consiste à organiser la mosaïque de l'islam suisse, en respectant la pluralité des voix.
Mais, au lendemain du vote, la tournure des débats inquiète, sans étonner. En Suisse, c'est une habitude: les populistes donnent le la, les autres formations reprennent le refrain. Micheline Calmy-Rey et Doris Leuthard ne viennent-elles pas de plaider une restriction à la libre circulation pour protéger le marché local de l'emploi? L'UDC et le MCG se tordent de rire.



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Les musulmans veulent apaiser les craintes qu'ils suscitent

RACHAD ARMANIOS

Analysé comme un vote de la peur et de rejet, le plébiscite pour interdire les minarets a blessé les musulmans de Suisse ou les a mis en colère. Mais au-delà de ces sentiments, comment comptent-ils répondre au signal donné dimanche? A Genève, Lucia Dahlab, vice-présidente de l'Union des organisations musulmanes du canton (UOMG), en appelle à «la résistance contre l'exclusion, la discrimination, le racisme et la désinformation». Pourtant, Jean-François Mayer, fondateur du site spécialisé Religioscope, prévient: «Ceux qui ont voté pour interdire les minarets l'ont fait parce qu'ils ressentent l'islam et/ou les musulmans comme une menace, à laquelle ils ont voulu signifier un arrêt. Un discours de victimisation ou des plaintes face à 'l'islamophobie' n'ont guère de chance de contribuer à une transformation de la situation.»
Stéphane Lathion, président du Groupe de recherche sur l'islam en Suisse, ajoute: «Les partis, plutôt que de répondre aux craintes, ont nié les peurs des gens.» Hafid Ouardiri, de la Fondation de l'entre-connaissance, met plutôt en avant la machine à faire peur de l'UDC, mais en convient: «Ce vote désavoue les partis politiques et les musulmans qui n'ont pas su répondre au besoin d'un débat sur l'islam, avec des questions sur le droit des femmes, l'excision ou des demandes de dispense de cours pour raisons religieuses.» Ces demandes «éparses et isolées» sont attribuées aux musulmans dans leur ensemble, regrette-t-il. Reste qu'«il faut tirer des conséquences de ce vote de la honte. Nous devons redoubler d'efforts pour dialoguer et pour mieux organiser l'islam en Suisse.» Lucia Dahlab abonde: «Il s'agit pour les musulmanes et les musulmans de développer un discours sur leurs problématiques, de se réapproprier les sujets qui les concernent, mais aussi d'intervenir dans les autres débats de société.»
Ce qui est plus facile à dire qu'à faire tant il est vrai que l'islam n'est ni homogène ni univoque: «Je souhaite que les diverses faîtières musulmanes puissent s'unir au niveau suisse», commente Lucia Dahlab. A Genève, l'UOMG y travaille au niveau local.
«La campagne a obligé certains musulmans qui y rechignaient, comme les Bosniaques ou les Turcs qui sont pourtant les plus nombreux en Suisse, à s'exprimer dans le débat public. Il faut poursuivre cet élan», ajoute Stéphane Lathion.
Car, selon lui, les musulmans peinent à accepter le débat intra-communautaire et ses disputes consécutives. «C'est pourtant le seul moyen de montrer la pluralité de l'islam.» Une façon de tordre le cou aux amalgames entre musulmans et intégristes.
A ce propos, Lucia Dahlab reconnaît certaines lacunes: lorsque, comme dernièrement, une Soudanaise est condamnée à quarante coups de fouet parce qu'elle a porté des jeans, l'UOMG devrait pouvoir prendre distance: «C'est un projet que d'être plus réactifs et prendre plus souvent position. Mais nous devons avoir des discussions de fond.» Avec des gens comme Hani Ramadan, qui s'est distingué en soutenant la lapidation des femmes adultères? «Les musulmans doivent mieux s'organiser, probablement en laissant la place aux jeunes», reconnaît Hafid Ouardiri, qui se met volontiers dans le lot des «vieux routards» qui devraient un peu s'effacer. Mais l'introspection a ses limites: «Il faut arrêter de nous mettre au mur avec de faux arguments comme le terrorisme, la burqa ou la réciprocité (allusion aux discriminations des chrétiens dans des pays musulmans, ndlr). Nous ne sommes pas responsables de ça!», poursuit-il. Stéphane Lathion, lui, condamne la surenchère de certains partis, en particulier le PDC dont le président, Christoph Darbellay, «qui veut interdire des burqas portées seulement par des touristes».
Lucia Dahlab, elle, insiste: «Pour dialoguer, il faut être deux. Or quand je me présente voilée à un débat, je suscite immédiatement du rejet. Il est très difficile d'expliquer que ce n'est pas par soumission que je me voile.»
RACHAD ARMANIOS

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