mercredi 16 décembre 2009

L’INTERDICTION DES MINARETS EN SUISSe

Lu au Sénégal

Un vote préventif, discriminatoire et islamophobe



Un vote préventif, discriminatoire et islamophobe

Le 29 novembre dernier, 57% des Suisses ont voté contre les droits de l’Homme en acceptant une initiative populaire qui interdit désormais la construction de minarets pour mosquées. Au-delà du succès de la droite populaire qui a su exploiter les peurs existantes dans l’espace helvétique, c’est le phénomène de l’islamophobie qui se nourrit d’une mauvaise interprétation de l’islam. Mais le résultat est là : en voulant se protéger d’un péril virtuel, la Suisse pointe d’un doigt accusateur 400 000 de ses ressortissants et trahit par la même occasion ses propres principes sur les droits de l’Homme et les libertés religieuses.

Le monde tourne vite et tout change. Le meilleur exemple en ce moment : la Suisse. Quand en 1963 est inaugurée à Zurich la première mosquée portant un minaret, le maire d’alors a salué l’œuvre comme symbole du «caractère cosmopolite et libéral» de sa ville. Aujourd’hui, le minaret est perçu comme «symbole pour la prétention au pouvoir de l’Islam sur la Suisse». C’est l’avis des initiateurs du référendum qui a abouti à l’interdiction constitutionnelle de la construction de minarets dans la Confédération. Ce vote populaire aura sans doute des conséquences graves non seulement pour les musulmans européens mais aussi pour les non-musulmans.

démocratie directe
Le système démocratique de la Suisse donne à chaque électeur le droit de susciter un référendum, à condition de recueillir plus de 100 000 signatures dans un délai de 18 mois. C’est le 1er mai 2007 que deux partis de la droite populaire (Union démocratique du centre, Udc, et Union fédérale démocratique, Udf) ont lancé une initiative pour introduire dans la Constitution l’alinéa suivant : «La construction de minarets est interdite.» L’initiative a été acceptée avec 114 895 signatures.
La Suisse est donc le premier pays à interdire la construction des minarets. Mais selon son ambassadeur à Dakar, ceci ne change rien dans la pratique. L’amputation de ce symbole religieux n’empêchera pas les musulmans de continuer à exercer leur foi sur le territoire suisse. Un avis partagé par Mohammed Saïd Ba, enseignant-chercheur à l’université de Dakar : «Le fait d’interdire des minarets quelque part, ne me pose pas beaucoup de problèmes» car, dit-il, l’Islam n’est pas nécessairement liée aux minarets. «Un texte qui ordonne de construire des minarets n’existe pas», explique l’expert. Cependant, le minaret est devenu un édifice conjugal à la mosquée. D’abord, c’est un outil de communication ; et au-delà de cet aspect fonctionnel, il marque la présence d’une communauté musulmane sur un lieu en tant qu’élément d’identité religieuse.
Cette approche est contestée par les initiateurs du vote. Ceux-ci voient plutôt dans le minaret un «symbole d’une revendication de pouvoir politico-religieuse» qui contesterait «les droits fondamentaux (comme) l’égalité de tous et des deux sexes, devant la loi». Ce qui outre le chercheur Ba : «Ce qui me choque, ce sont les arguments avancés, et les intentions qui se cachent derrière ce vote.»
La Suisse compte 7,7 millions d’habitants, dont 400 000 musulmans. Parmi ces derniers, 80% sont Européens ou issus de pays musulmans laïques et moins de 20% se disent pratiquants. Aujourd’hui, quatre minarets existent dans la Fédération helvétique et seulement deux sont en planification. La Suisse est donc loin d’être «envahie» par la religion islamique et ses symboles.
Toutefois, l’idée que les musulmans veulent prendre le pouvoir dans ce pays et y introduire la Charia semble présente dans la population. Sinon, comment expliquer ce qui s’est passé le 29 novembre comme le résultat d’une manipulation de cette angoisse diffuse et virtuelle ? Le gouvernement suisse a lui-même fait la même interprétation après avoir échoué à contrecarrer l’initiative et ses tendances extrêmes.

LES EUROPEENS ET LEUR ISLAMOPHOBIE
Il n’est néanmoins pas le seul à être confronté à ce casse-tête. Partout en Europe, les idées d’extrême droite sont en plein boom. «Les Suisses ont voté tout haut ce que beaucoup de nos concitoyens européens, y compris Français, pensent tout bas», a déclaré Tareq Oubrou, l’Imam de la mosquée de Bordeaux, dans les colonnes du quotidien Le Monde. Presque tous les partis de l’extrême droite européenne ont félicité les Suisses et, à leur tour, ont exigé des lois comparables dans leur propre pays. Pour la Ligue du Nord italien, le signal est clair : «Oui aux clochers, non aux minarets.» La responsable politique du Parti populaire danois, Pia Kjaersgaard, s’est exclamée : «Hourra pour la Suisse.» En France, ce n’est pas seulement l’extrême droite qui s’est déclarée ravie du précédent helvétique. Dans le parti au pouvoir, Xavier Bertrand, Secrétaire générale de l’Ump, s’est interrogé sur l’utilité d’avoir des minarets en France pour la pratique d’un «Islam français».
Ce qui semble donner raison à l’enseignant-chercheur Mohammed Saïd Ba : «Compte tenu de l’interprétation que les initiateurs donnent aux minarets, on comprend que ce qui gène, ce ne sont pas les minarets, mais c’est la présence des musulmans.» Le «non» aux minarets serait en vérité un «non» à l’Islam. Si cette interprétation n’est pas fausse, il faut toutefois ajouter qu’il s’agit d’un «non» à l’Islam tel qu’il est perçu par les Européens aujourd’hui dans l’espace européen. «Ce serait erroné de penser que la moitié des Suisses sont des racistes. Ils ont plutôt peur d’une religion qu’ils ne connaissent pratiquement pas, et qui est mise en relation par les médias uniquement avec le terrorisme et les bombes», s’est prononcé l’écrivain égyptien Alaa Al-Aswani pour rééquilibrer les débats.
La peur des Européens face à l’Islam naît donc de la mauvaise interprétation faite de la religion du Prophète Mohamed (Psl). Faute de connaissances, les Européens ne peuvent pas distinguer entre celui qui croit et exerce sa foi conformément à l’Islam, et celui qui l’instrumentalise à des fins politiques. Les attentats terroristes, les prises d’otages, les mariages forcés, les meurtres d’honneur… tout ce que les médias mettent quotidiennement à leur «Une» est interprété comme étant l’Islam. Mais peut-on vraiment en vouloir aux Européens ? A-t-on jamais vu des manifestations populaires en pays musulmans contestant les violences faites au nom de l’Islam ? Cette peur de l’Islam s’accompagne d’un certain esprit de vengeance comme argument de réciprocité : «Si les chrétiens sont persécutés et n’ont pas le droit de construire des lieux saints, pourquoi devrait-on donner aux musulmans ce droit chez nous ?»
L’un des messages de l’islamophobie est l’amplification du risque d’invasion. Il est une des théories de noyautage des sociétés européennes qui seraient dirigées par des gouvernements musulmans aidés par des organisations dites islamistes.

VOTE PREVENTIF contre peur virtuelle
En effet, depuis les premières vagues d’immigration en Europe, des mutations importantes ont eu lieu. Au même moment où les Européens désertent la religion chrétienne dont les principes sont de toutes les façons perçues comme strictement individuels, et où les prêtres regrettent les bancs vides des églises, les musulmans sont retournés à leur religion. Le chercheur Mohamed Saïd Ba explique : «A l’époque (Ndlr : années 70, 80) le monde musulman traversait une crise d’identité. On voyait des musulmans qui ne priaient pas, qui buvaient de l’alcool… Mais il y avait à côté des gens qui travailler pour appeler à un retour vers l’Islam. Alors, pendant que les Occidentaux s’éloignaient de plus en plus de leur religion, les musulmans revenaient vers la leur.» C’est ce retour là que les Européens décrivent comme de la radicalisation sous le vocable «islamisme.»
Mais pour l’universitaire Ba, cette crainte européenne est compréhensible : «Je comprends celui qui a vécu avec une vision unique du monde pendant plusieurs siècles et qui, un beau jour, se rend compte qu’il est envahi par d’autres visions. C’est gênant et cela peut donner des angoisses.»
Dans un sondage réalisé en 2000, l’hebdomadaire allemand De Spiegel a révélé que presque la moitié des Allemands voit en l’Islam une menace pour la culture occidentale. Cette menace n’est peut-être pas encore réelle, mais dans l’imaginaire des Européens, elle pointe à l’horizon.
«Mieux vaut prévenir que guérir», a déclaré Christian Waber, directeur des affaires administratives de l’Udf. Le vote suisse est donc un vote préventif devant une peur virtuelle. Mais c’est également un vote affirmatif qui ne veut pas seulement dire : «Si tu viens chez moi, accepte mes règles !», mais en plus : «Si tu veux vivre sur mon territoire, tu dois t’assimiler à 100 %». En interdisant un symbole de la religion musulmane, la Suisse exige des musulmans l’abandon de l’identité.

A QUAND LE REVEIL EUROPEEN ?
L’imam de la mosquée de Genève, Youssef Ibram, a été sollicité à plusieurs reprises avant le vote. Il lui a été demandé par exemple : «Pourquoi l’Arabie Saoudite interdit aux chrétiens la construction d’églises ?», une question, qui, selon lui, doit être posée aux Saoudiens. Il y a ici un problème pour les Européens. Ils ne font pas de différence entre le musulman iranien, saoudien et sénégalais. Musulman est musulman pour eux, dans un monde où n’existent que noir et blanc. «Nous ne sommes pas responsables pour Bin Laden, ni pour Al Qaida, ni pour les Talibans en Afghanistan. Nous ne sommes pas responsables de ce qui se passe en Pakistan. Nous ne sommes responsables que de nous-mêmes.» Quand est-ce que les Européens comprendront-ils cela ? Et quand est-ce qu’ils se réveilleront pour remarquer que leurs politiques envers les musulmans vont à l’encontre de leurs propres principes ?
Pour la démocratie et l’Etat de droit en Europe, le dimanche 29 novembre 2009 est un drame. Un commentateur allemand, complètement traumatisé par le résultat, va plus loin : «Dimanche dernier a déclenché un choc, voire un séisme politique. Il s’agit de l’effacement des acquisitions du siècle des Lumières, d’un retour dans un temps des idéologies, des dogmes de croyance et des préjugés. C’est un coup de pied brutal contre la raison et le savoir.» De l’avis de l’imam de Bordeaux, «les valeurs de liberté, égalité, citoyenneté et démocratie, même les valeurs chrétiennes universelles d’accueil de l’étranger, toutes se trouvent ainsi bafouées, remplacées par la loi du talion».
Selon les Nations unies, le gouvernement suisse et des experts juridiques, la volonté du peuple transgresse les droits de l’Homme, et particulièrement ceux du droit à la liberté religieuse. Une plainte devant la Cour européen des droits de l’Homme est déjà en préparation. Pour Tareq Oubrou, le 29 novembre est la journée de l’intolérance. Son jugement : «Beaucoup de Suisses doivent avoir honte de cette votation». Néanmoins, il reste optimiste : «Ni la Mosquée du Prophète (Psl) à Médine ni celle de La Mecque n’avaient de minaret. Faisons alors comme les premiers musulmans, inspirons-nous de notre environnement contemporain et ne restons pas figés dans le passé.» Il reste à espérer que les Européens s’inspirent de cet exemple, et réalisent enfin qu’effectivement, le monde tourne vite et que le temps de l’ouverture vers l’autre est venu. Qui a peur de la mondialisation ?

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