HONTE | Ce camp sauvage près du port de Calais a abrité jusqu’à 1500 clandestins dans des conditions de vie indignes. Un article de Jean-Noël Cuénod à Calais pour 24 Heures.
© PHILIPPE HUGUEN / AFP | La gale, la vermine, un unique point d’eau et des cabanes de toiles au milieu des détritus. Telle était jusqu’à hier la triste réalité des clandestins dans le port de Calais. Une «jungle» qu’une opération de police doit nettoyer aujourd’hui.
«Est-ce ainsi que les hommes vivent?» C’est ainsi qu’ils vivent au lieu-dit «la jungle», au port de Calais: dans les détritus, les cabanes de toiles en plastique, avec la gale, la vermine et pour seul point d’eau une méchante bouche à incendie. Voilà donc cette jungle que veut détruire Eric Besson, ministre français de l’Immigration. La vaste opération de police est prévue pour aujourd’hui.
Un peu plus grande qu’un terrain de football, la jungle se situe au bord d’une route dénommée – cela ne s’invente pas – chemin de Pont-Trouille. Il s’agit d’une surface sablonneuse sur laquelle poussent de façon espacée des bouleaux et des vernes. Ces hommes et ces gamins ont entre 10 et 25 ans. Ils viennent d’Afghanistan pour la plupart, mais aussi du Kurdistan irakien et iranien, du Pakistan, toutes régions vermoulues par les guerres et la misère. Ils étaient 1500 à s’y entasser cet été pour quelques centaines actuellement.
L'eldorado britannique
Calais représente pour ces damnés de la route l’ultime étape de ce parcours que leurs familles ont financé à prix d’or auprès de filières de passeurs. Chaque nuit, ils tentent de s’introduire dans les trains routiers qui traversent la Manche pour passer clandestinement dans l’eldorado britannique, espérant y trouver du travail au noir. Du moins est-ce l’image parfois trompeuse que leur projettent les passeurs mafieux de leurs pays d’origine. Des mafias qui se trouvent visiblement aux commandes de la jungle.
«Hé là, vous n’allez pas pénétrer tout seul dans la jungle! Pour la visiter, ne nous lâchez pas d’une semelle.» L’homme au béret de chasseur alpin vissé sur la tête qui m’interpelle, mérite bien son surnom: Moustache. Avec la toute menue Fanny (21 ans), il sert de guide aux journalistes. Ils font partie de ces nombreux bénévoles qui, avec un dévouement quotidien, aident les clandestins à se nourrir, à se laver, à se vêtir, avec les moyens du bord. Pourquoi faut-il un guide? «Récemment, une journaliste a été violée. En janvier dernier, un jeune Afghan a été poignardé à mort lors d’une bagarre avec un de ses compatriotes. Il ne faut pas se le cacher, la violence existe dans la jungle. En concentrant autant de jeunes dans un lieu sans hygiène, comment voulez-vous qu’il en soit autrement? La plupart de ces gars restent entre six mois et un an à la jungle», ajoute Moustache. Fanny tient aussi à souligner la gentillesse à son égard de ces oubliés de la mondialisation.
L’épicerie des passeurs
Une cahute plus grande est particulièrement fréquentée: «C’est l’«épicerie» de leur quartier.» Moustache explique son importance capitale: «Il y a six «épiceries» de ce genre dans la jungle, une par quartier. Elles sont organisées par les principaux passeurs qui dirigent tout le camp. Ils achètent les vivres dans le Lidl d’à côté et les revendent beaucoup plus cher aux immigrants, qui ne se rendent pas au supermarché, de crainte d’être arrêtés par la police. Fanny renchérit: «Ils ne se gênent pas! Dans l’épicerie que nous venons de voir, un pack de Coca est mis en vente pour… 6 euros». Au lieu de… 2.09 euros.»
Les mafias tiennent les filières de passeurs qui tiennent à leur tour les clandestins, privés de la moindre parcelle de droit, taillables et corvéables à merci. Parfois, les passeurs abusent sexuellement des nombreux mineurs qui survivent dans ce cloaque calaisien.
«Venez plus loin, il y a un chef passeur qui est en train de nous écouter», avertit Moustache. Un type plus âgé et beaucoup mieux vêtu que ses compatriotes roule les mécaniques en arborant sur le front une paire de Ray-Ban en guise de couronne pour ce roitelet d’une Cour des Miracles moderne.
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