mardi 22 septembre 2009

Minarets et campaniles, même destins

Avec talent et modestie, Bernard Gachet a montré que quand l’honnête homme prétend s’occuper de ce qui touche à l’architecture religieuse ou à l’histoire des civilisations, il doit faire preuve d’humilité, de patience et de tact. Tel n’est visiblement pas le cas de M. Freysinger, qui depuis lurette préfère la péroraison tapageuse à la méditation ou à l’étude.
Avec quelques amis, il s’en prend donc aux minarets, dont il ressent l’érection sur le territoire national comme une concurrence inadmissible.

La proie et l’ombre
Admettons que l’on essaye de comprendre le point de vue d’un « ennemi » de l’islam : vouloir interdire les minarets, c’est se tromper de cible par pure ignorance. Car le minaret n’a pas de valeur sacrée, n’ayant pour but que d’appeler les croyants à la prière. Cet appendice architectural est donc un proche parent des campaniles chrétiens. Dans la mosquée-cathédrale de Cordoue ou dans celle de Séville, on a du reste simplement modifié la partie supérieure du minaret pour accueillir des cloches après la « Reconquista » qui s’achève en 1492. Très souvent en effet, les églises et cathédrales catholiques ont repris alors l’emplacement des mosquées.


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Cette parenté fonctionnelle permet d’illustrer l’un des problèmes juridiques que pose l’initiative contre les minarets: en vertu de l’égalité des droits des citoyens, de la liberté de ceux-ci de choisir leur religion, l’interdiction du moyen d’appeler les fidèles de l’une des religions reconnues officiellement en Suisse impliquerait d’office une interdiction symétrique pour les autres. Elle rendrait donc impossible de futurs clochers ou campaniles, catholiques ou protestants.

Ainsi, tels des croisés d’opérette, les partisans de l’initiative confondent l’ombre et la proie : ils croient conquérir l’étendard de leur adversaire en essayant de dérober la queue de son cheval. Et dévoilent leurs motivations païennes, une des composantes classiques de l’idéologie d’extrême-droite.

Une querelle entre parents
Entre les trois religions du livre, les querelles plurimillénaires incessantes masquent des liens de parenté étroits. Quand il fonde la religion musulmane, Mahomet puise nombre de rites dans le judaïsme, dont de nombreuses tribus arabes avaient alors adopté la foi. Dans l’architecture religieuse, les influences réciproques entre Monde chrétien et Monde arabo-musulman sont fréquentes au Moyen-âge. L’historien Titus Burkhardt relève que Saint Bernard de Clairvaux recrutait ses ouvriers des deux côtés de la Méditerranée. Il ajoute que la structure des cathédrales gothiques, dont la première fut consacrée à Sens en 1164, s’inspirent des nervurées croisées en pierre des mosquées de Cordoue et de Tolède (Christo de la Luz) et des coupoles en brique des mosquées de Perse (Titus Burckhardt, «Chartres, et la naissance de la cathédrale», Bâle 1999).
Même à l’époque de l’Inquisition, on a su conserver les traces architecturales des anciens occupants musulmans. La mosquée-cathédrale de Cordoue est sans aucun doute le manifeste le plus émouvant du respect, certes partiel, qu’ont su manifester les acteurs de la «Reconquista» espagnole envers les lieux de culte de l’Islam. La cathédrale s’insère au cœur des travées de la mosquée sans occulter le mirhab, son lieu le plus sacré, dans un dialogue architectural exemplaire.
Sur le plan de la civilisation, on mentionnera pour mémoire les échanges féconds entre le monde arabo-musulman et l’occident chrétien. Les textes d’Aristote ne nous sont connus que grâce aux commentaires et aux traductions des philosophes arabes, dont le cordouan Averroès (Ibn’ Rušd). Il en va de même pour les mathématiques (l’algèbre, le zéro), l’astronomie et la géographie (Ibn’ Khaldun).

Une ignorance commune de l’histoire des religions
Cette parenté et ces influences réciproques ont de tout temps provoqué la rage des extrémistes des deux bords. Il y a une complicité idéologique entre celui qui précipite un avion contre les twin towers et celui qui veut abattre les minarets. Et une même instrumentalisation des médias, avec le but de stimuler l’ignorance des masses.
L’inquiétude face à l’Islam est fondée sur la radicalisation d’une part de ses adeptes, due à l’actuelle domination du courant wahhabite. D’origine récente, elle s’est notamment développée grâce à la puissance économique fournie par la rente pétrolière. Rheinhardt Dozy, dans son histoire des musulmans d’Espagne, en pressentait déjà l’émergence au XIXe siècle. Il établissait alors un parallèle entre le mot d’ordre de la secte wahhabite, “Le coran, rien que le coran” et celui lancé par Luther, “la bible, rien que la bible”. Même dans l’émergence interne de courants radicaux, Islam et Christianisme ont donc des destinées parentes.

La facétie contre la sottise
A l’heure du prosélytisme débridé sur l’internet, s’en prendre aux minarets est aussi vain que ridicule. L’initiative ne peut atteindre qu’un objectif, blesser et stigmatiser la communauté musulmane modérée.

Si, fatalité improbable, nos concitoyens choisissaient d’avilir la Constitution avec les sottises des amis de M. Freysinger, il resterait à l’assemblée des croyants la possibilité de la facétie. En programmant par exemple la sonnerie de leurs téléphones portables pour que l’appel à la prière retentisse quotidiennement, simultanée et démultipliée, à travers un pays d’effrayés ayant perdu toute sagesse.

Francesco Della Casa

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